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Denys Arcand: «J'ai consacré toute ma vie au cinéma»

Denys Arcand: «J'ai consacré toute ma vie au cinéma»

Vendredi, dans le cadre du Festival de la Ville de Québec (FCVQ), c’était classe de maître avec Denys Arcand en première loge. Même s’il était accompagné de la productrice Denise Robert, également sa compagne dans la vie, il n’y en a eu que pour le cinéaste du Déclin.

Le rendez-vous avait lieu au Cabaret situé sur la Place d’Youville. Vers les 15 heures, on pouvait voir une file d’attente composée d’un public varié, étudiants et baby-boomeurs. L’après-midi, certains l’ont passé à quelques mètres de là profitant des dernières chaleurs de l’été donnant à Québec des allures estivales.

Mais, sans que le théâtre-cabaret soit totalement bondé, des sièges vides ici et là, il y avait quand même du monde pour cette leçon de cinéma animé par l’essayiste, Carl Bergeron, un fin connaisseur du cinéaste dont il a scruté la carrière dans son ouvrage Un cynique chez les lyriques.

Le FCVQ a profité de la venue du cinéaste de 74 ans pour lui consacrer une rétrospective incluant, entre autres, Jésus de Montréal, La maudite galette ou Les invasions barbares. La leçon de cinéma suivait justement la présentation du film Réjeanne Padovani. «Il n’y a pas eu grand monde, tout au plus six ou sept personnes», a lâché Denys Arcand.

Pourtant, Réjeanne Padovani n’a pas vieilli d’un poil, a-t-il souligné. «Déjà en 1973, je mettais en scène le système de collusion entre le maire de Montréal, le ministre des Transports du Québec et la mafia italienne. C’est la commission Charbonneau avant l’heure! Alors oui, je reste très fier de ce film», a-t-il indiqué.

Le peuple québécois est selon Arcand un peuple corrompu. «C’est dans notre ADN. On est corrompu depuis l’époque de la colonie en 1760 et l’intendant François Bigot. On ne fera pas des Québécois des Suisses ou des Suédois du jour au lendemain.»

Hollywood, la plus grande menace

On l’a bien constaté, le cinéaste n’a pas perdu de sa verve faisant parfois frémir l’audience avec des propos souvent acerbes et sans concession sur l’état de notre société. Occasion pour Arcand de se lancer dans une diatribe sur la façon qu’ont les gens de «consommer» du 7e art.

«Aujourd’hui, tout va si vite. Le cinéma est une succession de scènes rapides. Les spectateurs trouvent mes films trop lents parce qu’ils ont maintenant l’habitude de regarder la télévision avec une télécommande qui leur permet de changer de chaine toutes les trois secondes.»

D’après lui, on vit dans l’époque du «sampling» sur laquelle trône la zappette. «Les choses fonctionnent par vagues, a-t-il expliqué. Qui sait dans cinquante ans ou plus si le public ne va pas retourner à une certaine "contemplation" des images?».

Un membre du public a bien tenté de savoir si Arcand était content de voir plusieurs jeunes réalisateurs québécois réussir à l’international comme Xavier Dolan, Jean-Marc Vallée ou Denis Villeneuve.

«Je vois plein de choses intéressantes, mais en ce moment, ils travaillent tous à l’étranger. C’est possible qu’on en perde. Regardez l’Australie, son industrie a été décapitée par Hollywood. C’est la plus grande menace que je vois pour notre cinéma.»

La leçon s’est poursuivie avec la présentation d’un long extrait de la mini-série Duplessis (1978) où sont réunis deux premiers ministres du Québec, d’abord Maurice Duplessis, alité sur un lit d’hôpital et le second, Adélard Godbout, premier ministre encore en exercice.

Pendant plus de six minutes, les deux hommes, l’un nationaliste et l’autre fédéraliste, se confrontent et s’invectivent sur deux visions toujours d’actualité. «C’est Couillard contre Bouchard», a rétorqué Denys Arcand, démontrant là encore que rien n’a vraiment changé.

Au Québec, il ne se passe rien

S’en est suivi une discussion avec le public sur un Québec qui avance à pas de tortue. Le pessimisme cher à Arcand s’est révélé ici avec le plus de verve détaillant ses rapports d’amour-haine qu’il continue d’entretenir envers les siens.

«Nous sommes un peuple conquis, a-t-il rappelé. Au fond, tout vient de là. En même temps, c’est très agréable de vivre ici, parce que c’est l’endroit le plus paisible du monde. On est la seule nation qui n’a jamais connu de famine, de guerre, d’épidémie ou de catastrophe. Tous mes films parlent de cela. Il ne se passe rien, car rien ne se passe.»

Les réactions du public ne se sont pas faites attendre. Un homme a demandé à prendre la parole. «Monsieur Arcand, j’ai également un rapport amour-haine avec vous, lui a-t-il lancé. Je suis un jeune réalisateur. Vous êtes pour moi une figure paternelle. Pourtant, j’entends dans votre discours un renoncement, et je me demande quel héritage vous désirez laisser à la nouvelle génération de cinéastes.»

Le cinéaste a pris un petit moment avant de répondre et puis, après une bonne respiration: «J’ai consacré toute ma vie au cinéma. Sur mon lit de mort, je pourrai dire que j’ai fait mon possible. Quand vous serez rendu là, je vous souhaite de pouvoir dire que vous avez vous aussi fait le meilleur film possible. Moi, j’y suis parvenu, c’est quand même pas si mal comme legs.»

Le FCVQ se poursuit jusqu’au 27 septembre

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