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Migrants: Pourquoi cette crise explose maintenant

Pourquoi la crise des migrants explose maintenant

L'image est d'une cruauté glaçante. Le cliché du petit Aylan Kurdi, enfant syrien échoué sur la plage de Bodrum en Turquie, incarne à lui seul l'échec de l'Europe face à l'explosion de la crise des migrants. Car oui, si le phénomène migratoire s'est intensifié ces trois dernières années, l'année 2015 devrait enregistrer un afflux record de réfugiés en Europe.

Et pour cause, si Frontex a estimé à 283.000 le nombre de migrants entrés illégalement dans l'Union européenne en 2014, l'agence européenne table désormais sur une fourchette allant de 500.000 à un million de migrants pour cette année. Car depuis le mois de janvier, ce sont plus de 330.000 migrants qui ont déjà traversé la Méditerranée. Outre le seul continent européen, le monde connaît en ce moment « le mouvement de réfugiés le plus important depuis la Deuxième Guerre mondiale », explique au HuffPost le chercheur et spécialiste des questions migratoires François Gemenne, précisant que le nombre de déplacés a atteint cette année le nombre de « 60 millions de personnes ».

Alors que jusque-là l'immigration en Europe se limitait à des populations fuyant (entre autres) la Libye, la Syrie ou l’Érythrée en proie à de violents conflits via la Méditerranée et les îles italiennes, l'été 2015 a vu se développer de nouvelles routes à l'image de celle de la Grèce et de sa continuité dans les Balkans. Aujourd'hui, nous comptons huit axes principaux pour rejoindre l'Europe. Neuf, si l'on prend en compte l'ouverture d'un passage en Arctique. De l'Espagne à l'Italie, de l'Ukraine à l'Albanie en passant par la Turquie. Un phénomène inédit qui pose la question suivante : pourquoi cette crise explose maintenant? Le point sur les raisons de cette accélération.

Enlisement du conflit en Syrie

Derrière chaque phénomène migratoire, il y a une catastrophe humanitaire. Sur ce point, la situation syrienne est l'un des éléments expliquant l’accélération de la crise. Pour se faire une idée, les pays limitrophes de cette zone de conflit, le Liban, la Turquie, la Jordanie, l’Égypte et l’Irak « accueillent à eux seuls 3,8 millions de réfugiés de Syrie », notait en juillet Amnesty International. Un chiffre qui permet à la fois de relativiser l'ampleur de l'afflux de migrants en Europe et de bien se rendre compte de l'ampleur du phénomène. Les 100.000 réfugiés que Donald Tusk, président du Conseil européen, veut répartir en Europe paraissent en effet dérisoires à côté de ces millions de personnes fuyant les zones de guerre. Pris en étau entre le régime de Bachar Al Assad et l'avancée des jihadistes de Daech, les Syriens n'ont malheureusement qu'une planche de salut : la fuite.

En outre, dans les camps de réfugiés syriens en Turquie, au Liban et en Jordanie, l'aide humanitaire s'est réduite et les conditions de vie se sont détériorées, selon le Haut commissariat pour les réfugiés de l'ONU. Clairement, la situation est intenable. L'exemple tragique du petit Aylan Kurdi vient le rappeler. Originaire de Kobane, ville kurde « martyre » face aux assauts interrompus de Daech et quelque peu esseulée par la communauté internationale, sa famille n'avait pas d'autre choix que de quitter cet enfer. Et ce, malgré les itinéraires dangereux que choisissent les passeurs. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les Syriens, avec 11,7 millions de personnes, sont les réfugiés les plus représentés de la crise migratoire. Au passage, « les Proche et Moyen-Orient concentrent un tiers des réfugiés », rappelle Le Monde. « Il y a toujours un délai entre le début d'un conflit et la prise de conscience qui mène à quitter son pays. Aujourd'hui, on assiste à une forme d'exode venant d'une Syrie dévastée par la guerre », précise au HuffPost Patrick Simon, directeur de recherche à l'Institut national des études démographiques.

Météo et « effet loupe »

« Pourquoi ces dernières semaines les réfugiés arrivent plus nombreux? Premièrement, la mer est plus calme en été. Les trafiquants auront donc tendance à choisir davantage cette période pour effectuer des traversées », indique François Gemmene qui insiste que ce sont les passeurs qui « orientent » et « gèrent » par défaut le flux de migrants, en raison notamment de l'absence de politique européenne sur cette question. Une explication météorologique confirmée par les nombreux récits publiés cet été, rapportant les cohabitations fortuites entre touristes et réfugiés dans les îles grecques, à Kos notamment.

En revanche, François Gemenne met en garde contre un « effet loupe » altérant la réalité de la situation. « Cet afflux, sans le nier, est quelque part une illusion. On se concentre ponctuellement sur des situations précises, extrêmement dramatiques à certains endroits », qui selon lui « faussent le jugement ». « Si on a cette impression de masse, c'est surtout parce que l'Union européenne s'est mise sous la coupe des passeurs puisque ce sont eux qui déterminent quand, combien et comment les gens arrivent ». « Ce qui explique surtout l'afflux de ces dernières semaines, c'est l'influence croissante que les trafiquants ont acquise dans la détermination des flux migratoires vers l'Union européenne », ajoute-t-il.

Le changement de position de l'Allemagne

La décision de l'Allemagne de cesser de renvoyer les demandeurs d'asile syriens vers le pays d'entrée dans l'Union européenne semble avoir un effet incitatif. Ceux qui hésitaient encore à faire le voyage par peur d'errer en Europe sans aucun statut ou, pire, d'être renvoyés à la case départ, voient là une occasion unique de tenter leur chance pour obtenir l'asile politique. C'est en partie cette décision qui peut mener des milliers de migrants à investir par milliers des trains direction Berlin ou Munich, via l'Autriche. Un éventuel appel d'air que relativise néanmoins François Gemmene, pointant des drames survenus bien avant le changement de position de l'Allemagne envers les réfugiés syriens.

Et en effet, cela fait plusieurs années que la situation est critique, à Lampedusa ou ailleurs, alors que l'Allemagne n'avait pas encore adopté cette mesure que certains estiment comme étant en partie responsable de l'afflux de migrants en Europe. « On attire l'attention sur certaines situations de crises locales, à Kos, à Lampedusa, en Turquie, à la frontière hongroise, mais qui sont le résultat des stratégies et des itinéraires choisis par les trafiquants, car ce sont eux qui déterminent l'endroit où les réfugiés arrivent en Europe ». Selon le chercheur, ce n'est pas tant ce qui est promis à l'arrivée qui détermine le nombre de migrants, mais bien une convergence de facteurs mêlant absence de politique européenne et contrôle des flux par les trafiquants. Par ailleurs, la politique ferme de la Grande-Bretagne envers les réfugiés ne les empêche pour autant pas de se masser à Calais au péril de leurs vies. Preuve s'il en est que les causes sont plus complexes que les réponses liées aux seules conditions d'accueil.

Ce faisant, le chercheur regrette « l'échec du projet politique européen », dans la mesure où l'UE « découvre qu'elle a elle-même créé les conditions de cette crise » notamment au travers d'enjeux sécuritaires dans les régions concernées auxquels elle n'a pas su répondre. Le spécialiste préfère donc alerter sur « le caractère structurel de cette tragédie » notamment en raison du « décalage entre la perception des événements, et la globalité du phénomène », plutôt que sur une éventuelle « explosion » de la crise qui tient surtout, selon lui, d'une erreur de lecture.

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