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L'analphabétisme au Québec, bombe à retardement littéraire (VIDÉO)

L'analphabétisme au Québec, bombe à retardement littéraire (VIDÉO)

Le Québec est bien mauvais élève. Il se classe à l’avant-dernier rang des provinces canadiennes sur le plan de la littératie et ce, alors que l’école est obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans depuis 1988. Il est estimé que 53% de la population n’atteint pas le seuil souhaitable pour fonctionner correctement dans une société qui gagne en complexité à chaque année. De ce nombre, 19% est incapable de lire et d’écrire.

Les enfants apprennent à associer les lettres à des sons dès leur arrivée à l’école. Mais de leur demander de résumer ce qu’ils ont lu est une tâche ardue quelques années après. « On a beau être capable de lire de façon hachurée un ensemble de mots, si cette lecture-là ne génère pas de sens, on ne lit pas. On décode », explique Diane Mockle, ex-présidente de la Fondation pour l’alphabétisation.

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C’est cette incapacité de bien comprendre sa langue maternelle qui entraîne des problèmes au quotidien. Plus de la moitié des Québécois ont de la difficulté à comprendre le sens d’un article de 300 mots du Journal de Montréal. Certains ne peuvent pas lire une prescription du médecin, ni même comprendre la carte du métro de Montréal.

Leurs barrières communes ? La honte, bien souvent, la peur d’être jugés en raison de leurs lacunes, les mauvais souvenirs reliés à l’école. Les ressources, elles, se font de plus en plus rares en raison des compressions imposées par le gouvernement provincial.

Il serait pourtant payant d’investir en éducation. Une hausse de

1% de la littératie globale entrainerait une augmentation de 32 milliards de dollars du revenu total des Canadiens, selon l’économiste Pierre Fortin. Et c’est vrai pour chaque tranche de 1%.

Une célèbre étude américaine menée en 1995 a démontré qu’à l’âge de quatre ans, les enfants de familles aisées avaient entendu trente millions de mots de plus que ceux dont la famille bénéficiait de l’aide sociale.

L’expérience de la langue serait donc étroitement reliée aux revenus des familles, ont conclu les chercheurs. Mais encore aujourd’hui, les enfants ne partent pas sur un pied d’égalité en arrivant à l’école. La lecture n’est pas encouragée, voire inexistante à la maison dans certains quartiers plus pauvres.

« On devrait prendre en considération qu’un jeune d’un milieu défavorisé qui arrive à l’école n’arrive pas avec les mêmes compétences qu’un jeune issu d’un autre milieu, explique Marie-Ève Boucher, formatrice à l’organisme La Boîte à lettres. Ça, il faut en prendre acte, puis adapter le système scolaire en fonction de ça pour mieux répondre à ces jeunes-là puis atteindre la mission, qui est de socialiser puis instruire les jeunes qui passent à l’école. »

Qui plus est, la responsabilité est souvent reléguée à l’école pour transmettre les savoirs préalables pour comprendre un texte, fait valoir le philosophe en éducation Normand Baillargeon.

« Pour quelqu’un qui n’a pas les préalables pour comprendre "laïcité", "démocratie", "Grèce ancienne", "philosophie", pour parler de choses dont on parle en ce moment dans les médias, si on ne connaît pas ces mots-là, on n’est pas capables de lire. On est capables de déchiffrer les mots. Mais on n’est pas capables de lire et de comprendre. »

Diane Mockle, de la Fondation pour l’alphabétisation, constate que l’obtention d’un diplôme correspond « très souvent » à la fermeture du dernier livre. La lecture est enfermée dans un cadre scolaire pour faire ses devoirs ou se préparer à un examen, mais devient inutile sur le marché du travail.

« Si cette activité-là n’est pas soutenue à l’extérieur de l’école, la lecture ne devient qu’un outil. Non pas pour développer ses horizons, pour découvrir de nouvelles choses, pour développer sa créativité, mais devient utilitaire pour obtenir le diplôme – le papier – qui nous permettra d’aller travailler », déplore-t-elle.

Dans cette même logique, les travailleurs ne seront compétents que dans la lecture de textes qui sont relatifs à leur créneau d’emploi, poursuit Diane Mockle. C’est pourquoi il est important d’adopter une lecture différente qui permet de réfléchir sur autre chose que la « sphère professionnelle étroite » de chacun.

Les plus récentes réformes en éducation ont eu pour but de former de la main-d’œuvre, non pas des citoyens, affirme sans détour Martin Bibeau, vice-président de l’Alliance des professeurs de Montréal.

« En 2015, pour beaucoup d’enfants de la réforme, le français, ça sert à quelque chose, ce n’est pas quelque chose », nuance-t-il.

Et au fil du temps, même l’importance utilitariste de la langue en vient à s’étioler. Près d’un cinquième des adultes qui détiennent un diplôme universitaire peinent à maîtriser les compétences de base en français.

« On diplôme des avocats, des ingénieurs, etc. Nommez-les, les professions libérales, ils font des fautes et vous avez parfois de la misère à comprendre quand ils écrivent », explique Martin Bibeau.

Les acteurs du milieu éducatif, déjà débordés par les failles du système, tentent de garder leur tête hors de l’eau malgré les réformes et compressions qu’on leur impose.

« Quand j’ai appris que le gouvernement voulait couper en éducation au point de ne plus compter les élèves en difficulté et d’augmenter les ratios, c’est un mal de cœur qui m’est venu, laisse tomber Michèle Henrichon, enseignante à l’école Baril à Montréal. Je ne peux pas comprendre qu’on va couper encore avec le taux d’analphabétisme qu’on a présentement, alors que les besoins dans nos écoles sont criants. »

Marie-Ève Boucher, de l’organisme en alphabétisation populaire La Boîte à lettres, s’inquiète du manque de ressources spécialisées qui pourraient empirer la situation actuelle. Aussitôt que des élèves seraient « nuisibles » pour les autres, ils seraient transférés en classe spécialisée.

« On sait que les jeunes qui sortent des classes spéciales ressortent avec des compétences vraiment faibles en lecture et en écriture, pour nous ça va empirer le problème », dit-elle.

Un cercle vicieux qui ne s’arrêtera pas tant que les professeurs n’auront pas les ressources nécessaires pour subvenir aux différents besoins des dizaines d’élèves devant eux.

Le ministère aura beau manigancer avec les statistiques de diplomation, tenter une nouvelle réforme en éducation, soumettre des grilles de correction complaisantes, le problème reste entier. La moitié de la population est handicapée sur le plan littéraire.

« C’est quelque chose qui devrait faire l’objet d’une mobilisation nationale, lance Normand Baillargeon. Mais n’oubliez pas aussi qu’il y a probablement 49% des gens qui ne sont pas capables de lire sur le sujet. Et donc de s’en offusquer. »

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