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Rendre criminel les voyages dans certaines zones est-il constitutionnel?

Rendre criminel les voyages dans certaines zones est-il constitutionnel?

À l'instar de l'Australie, le chef conservateur Stephen Harper souhaite criminaliser les voyages des Canadiens dans certaines zones du monde. Une telle loi passerait-elle le test de la Constitution canadienne?

Un texte de Christine Bureau

« Un gouvernement conservateur réélu fera en sorte que le fait de se rendre à des endroits désignés par le gouvernement comme étant des foyers d'activités terroristes sera une infraction criminelle. »

— Stephen Harper

Vérification faite : tout dépendra du projet de loi.

L'annonce du chef conservateur est en effet venue avec très peu de détails. Les zones « désignées » restent inconnues, tout comme les peines qu'encourraient les Canadiens qui se rendraient dans ces zones.

Pour le professeur de droit public de l'Université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau, la réponse sur la question constitutionnelle est nuancée et dépendra du projet de loi final. Mais en attendant, « il y a certainement des arguments à faire valoir pour dire que ça pourrait être anticonstitutionnel », soutient-il.

Il cite notamment le droit de religion, qui pourrait être évoqué par ceux qui voudraient par exemple aller en pèlerinage dans ces zones « désignées ».

L'interdiction de voyage évoquée par Stephen Harper comprend des exceptions pour les journalistes, les travailleurs et certains diplomates, mais aucune jusqu'à maintenant sur les voyages à des fins religieuses. « En l'absence de cette exception-là, il y aurait un problème par exemple avec cet article de la Charte », fait-il valoir.

L'article 6 sur la liberté de circulation ainsi que l'article 7 sur le droit à la liberté pourraient également poser problème, selon lui.

Or, Stephen Harper pourrait aussi utiliser la Charte pour défendre un éventuel projet de loi en évoquant l'article 1.

« Il pourrait plaider que oui, ce projet vient limiter la liberté de religion, par exemple, mais que c'est tout à fait raisonnable, légitime et justifiable dans une société libre et démocratique parce que ça vient favoriser la sécurité, qui est une fin qui a été reconnue par la jurisprudence comme pouvant effectivement justifier des limitations de certains droits et libertés », explique-t-il.

« Ce qui pourrait sauver la loi, c'est de multiplier les exceptions, donc multiplier les fins légitimes. »

— Guillaume Rousseau, professeur de droit public à l'Université de Sherbrooke

Au-delà de l'applicabilité, le message

Reste encore la question de l'applicabilité. En Australie, la loi interdit les voyages dans le district de Mossoul, en Irak, et la région de Raqqa, en Syrie. Les contrevenants, une fois de retour au pays, sont passibles de 10 ans de prison.

Mais comment prouver qu'un citoyen canadien, par exemple, s'est rendu dans une zone sous contrôle du groupe armé État islamique parce qu'il a acheté un billet pour la Syrie?

En droit pénal et criminel, la preuve doit être extrêmement forte pour être acceptée, rappelle le Pr Rousseau. Dans le cas où un tel projet de loi serait en vigueur, il deviendrait difficile de prouver qu'une personne est allée entre telle et telle date dans la région de Mossoul, par exemple.

Mais si une loi est d'abord « un outil pour gérer les droits », il rappelle qu'elle a aussi un second objectif.

« Une loi c'est aussi, au-delà de l'aspect technique et des droits de la personne, un message que le législateur envoie à la société. Il y a un côté plus politique, autrement dit, à la loi. »

— Guillaume Rousseau, professeur de droit public de l'Université de Sherbrooke

Un message envoyé par le gouvernement conservateur au Parlement, à ses électeurs ainsi qu'à ceux qui seraient tentés par l'une de ces zones éventuellement « désignées ». « Il reste que les gens qui se rendraient là auraient une espèce d'épée de Damoclès », conclut le Pr Rousseau.

« Soyons clairs : il n'y a absolument aucun droit au pays qui protège la possibilité de voyager dans une zone sous gouvernance terroriste. Ce n'est pas un droit de la personne », a répondu Stephen Harper à un journaliste, en fin de sa conférence de presse dimanche.

Or, en droit, « le principe de base, c'est que tout est permis, sauf si une loi vient l'interdire », résume le Pr Rousseau. Sinon, c'est la liberté qui prime.

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