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Comment le revirement de la Turquie pourrait couper les vivres du groupe État islamique

Comment le revirement de la Turquie peut couper les vivres de l'État islamique

C'est fait. Pour la première fois depuis le lancement de la coalition menée par les États-Unis contre l'Etat Islamique, Ankara participe aux hostilités. Violemment frappée sur son sol à Suruç (32 morts), la Turquie s'est vue contrainte de sortir de son immobilisme dangereux, qualifié par certains spécialistes de "double jeu" piégeux. Double jeu qui consistait en substance à jouer la montre avec les coalisés et Daech, groupe auquel Recep Tayyıp Erdoğan a longtemps refusé le qualificatif de "terroriste". "La République de Turquie est déterminée à prendre toutes les précautions pour défendre la sécurité nationale", ont annoncé les services du Premier ministre turc après les opérations de ce vendredi 24 juillet. Preuve s'il en est que la Turquie semble pour une fois s'être positionnée clairement.

Avec ces premières frappes menées contre des positions de l'Etat Islamique, Ankara a donc jeté sa première pierre. Reste à savoir maintenant à quel point le gouvernement turc exercera son pouvoir de nuisance sur son "arrière-cour". Pour l'heure, les signaux envoyés ces dernières 24 heures semblent aller dans le sens de la coalition internationale. Et de par sa position géographique stratégique et des moyens dont elle dispose, la Turquie pourrait bien faire basculer le conflit à la faveur des Occidentaux.

L'ouverture de ses bases à l'aviation américaine

La veille des bombardements menée par l'aviation turque, Washington faisait savoir que la coopération entre les États-Unis et la Turquie "se poursuit et s'intensifie dans le combat contre le groupe EI, leurs efforts communs pour ramener la sécurité et la stabilité en Irak, ainsi qu'une résolution politique du conflit en Syrie". Comprendre: Ankara ouvre enfin ses bases aériennes aux appareils américains. "L'accès aux bases turques comme la base aérienne d'Incirlik augmentera l'efficacité opérationnelle de la coalition", a par ailleurs déclaré à l'AFP un responsable militaire américain sous couvert d'anonymat.

Et cela est tout sauf anecdotique. Depuis plusieurs mois, les États-Unis enjoignent la Turquie (membre tardif de la coalition) à ouvrir ses bases aériennes. Un dossier pour le moins sensible qui a d'ailleurs fait l'objet de tensions diplomatiques entre les deux parties au mois d'octobre dernier. Or depuis l'attentat de Suruç, la donne a changé. Le pouvoir turc ne pouvait plus se permettre de rester immobile, position qui aurait été comprise comme un aveu de faiblesse par les jihadistes. L'extension de sa coopération avec Washington va donc dans le sens du revirement stratégique opéré par Recep Tayyıp Erdoğan comme en atteste également l'opération antiterroriste lancée ce vendredi à Istanbul. Et parmi les plans turcs, le contrôle de la frontière turco-syrienne est devenu un enjeu majeur.

Le contrôle de la frontière turco-syrienne

Accusée -à raison- par les Occidentaux de fermer les yeux sur le flot d'aspirants jihadistes européens qui traversent sans difficultés la frontière turco-syrienne, la Turquie semble là aussi changer son fusil d'épaule. Selon le quotidien Hürriyet citant des responsables turcs, le gouvernement envisage aussi de déployer des dirigeables au-dessus des 900 km de sa frontière syrienne et de doubler celle-ci par un mur afin d'empêcher les mouvements des jihadistes. Là aussi, il s'agit d'un revirement stratégique majeur. Soupçonné d’avoir soutenu Daech pour affaiblir Bachar al-Assad, le pouvoir turc avait ces derniers temps augmenté ses effectifs à la frontière sans pour autant venir prêter main forte dans les zones kurdes, notamment à Kobané.

Là aussi, c'était la logique du "double jeu" qui l'emportait. La raison de son immobilisme à la frontière ? "Ankara se sent moins menacée par ce groupe jihadiste que par l'émergence d'une force autonome kurde en Syrie, qui pourrait éventuellement s'allier aux Kurdes de Turquie et d'Irak pour créer un grand Kurdistan", expliquait la chercheuse Jana Jabbour dans les colonnes du HuffPost. Or depuis l'attentat de Suruç, la Turquie a bien compris que cette position ambivalente ne la protégeait pas du péril jihadiste. Et si l'armée turque devient clairement interventionniste sur les zones frontalières, elle pourrait frapper là où Daech aurait le plus mal: à son portefeuille.

Sectionner le nerf de la guerre

Selon de récentes estimations, le trafic de pétrole de contrebande représente quelque 38% des recettes de Daech (plus d'un milliard de dollars). Soit la part la plus importante de son budget. L'or noir extrait des raffineries prises par l'Etat Islamique s'écoule via des réseaux clandestins bien en place notamment en Turquie.

De fait, une part importante de ce pétrole se retrouve dans le pays notamment en raison de son coût élevé et de la porosité de sa frontière avec la Syrie."Si de gros volumes sortent de Syrie, ils sont écoulés en Turquie", expliquait au HuffPost Pierre Terzian de Pétrostratégies. En contrôlant davantage ses frontières et en mettant fin à ce petit manège, Recep Tayyıp Erdoğan se retrouverait en capacité de sectionner le nerf de la guerre des jihadistes et donc, d'affaiblir considérablement l'organisation terroriste.

Si le gouvernement turc est vraiment décidé à poursuivre le revirement stratégique auquel nous assistons, il serait peut-être en mesure (avec l'aide des services de renseignements satellites occidentaux de surcroît) d'asphyxier géographiquement et économiquement Daech. Mais encore faut-il le vouloir. Car en se positionnant ainsi, Ankara prendrait le risque de passer pour un allié objectif des Kurdes. Reste donc à savoir si la Turquie est prête à sacrifier une part de sa sécurité pour des questions de politique intérieure ou si elle envisage de se jeter à fond dans la bataille.

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