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Le litige territorial à l'origine de la crise d'Oka n'est toujours pas réglé (VIDÉO)

Crise d'Oka: Le litige territorial n'est toujours pas réglé (VIDÉO)

Même si la municipalité d'Oka et la communauté de Kanesatake ont convenu de travailler à protéger la pinède, le litige qui a entraîné la crise d'Oka n'est toujours pas réglé. Les Mohawks de Kanesatake revendiquent encore le territoire de la pinède et les terres adjacentes. Mais Ottawa s'apprêterait à mettre un baume sur les plaies du passé.

Un texte de Francis Labbé

Pour le traditionaliste John Cree, rien n'a vraiment changé du point de vue de la question territoriale. C'était pourtant la cause même de la crise. La preuve, en 2010, des tensions sont survenues dans la pinède, parce qu'un promoteur immobilier souhaitait y exploiter des terrains.

« Nous sommes toujours au point de départ. Nous n'avons pas progressé d'un pouce, c'est une lutte constante », affirme celui qui est considéré comme le leader spirituel des traditionalistes de Kanesatake.

Le fédéral a acheté les terrains convoités par la municipalité d'Oka pour l'agrandissement du terrain de golf et l'aménagement de logements, mais ces terrains n'ont pas été transférés au conseil de bande. Ils ont le statut de terres de la Couronne.

« C'est la même chose pour les autres terrains achetés par Ottawa depuis la crise; ils sont inoccupés et nous en aurions bien besoin », explique le grand chef Serge Simon.

« Pour pouvoir mettre la main sur ces terrains, nous devrions utiliser la loi S-24 [NDLR - Loi sur le gouvernement provisoire du territoire de Kanesatake] et la communauté est divisée sur cette loi », explique le grand chef.

« Cette loi vise à municipaliser Kanesatake. Nous ne sommes pas une municipalité, nous sommes une nation », explique le grand chef Simon.

Volonté commune de rapprochement

Le jeudi 9 juillet 2015 pourrait aussi être une date qui passera à l'histoire. D'un commun accord, Kanesatake et la municipalité d'Oka ont convenu de travailler à protéger définitivement la zone de la pinède.

« Le maire d'Oka Pascal Quevillon, et le grand chef de Kanesatake, Serge Otsi Simon, ont déclaré que les membres de leur conseil respectif ont entrepris des pourparlers visant à préserver et conserver la forêt identifiée dans le périmètre de l'actuelle pinède d'Oka », écrit la municipalité d'Oka dans un communiqué.

« Nos deux communautés désirent, avec l'appui de leurs élus respectifs, tenir un dialogue qui va permettre d'assurer la sauvegarde patrimoniale de ce territoire. La protection de notre environnement et la mise en valeur de l'histoire de nos communautés demeureront une priorité réciproque. »

Un problème historique

La crise d'Oka a pris naissance bien avant le projet d'agrandissement du golf. 273 ans plus tôt, en 1717, la communauté religieuse des Sulpiciens reçoit du roi de France la Seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes, où l'on retrouve des terres utilisées par les Mohawks.

Au fil des décennies, les Sulpiciens vont vendre ces terres à des Blancs, puis à la municipalité d'Oka vers la fin des années 40. Ce que vont toujours contester et dénoncer les Mohawks.

« On n'était pas supposés de soumettre aucune terre aux Sulpiciens. Ils devaient être ici comme un organisme de charité. Ils n'avaient aucun titre sur les terres », soutient Serge Simon.

« Il y avait des territoires d'usage des Mohawks », ajoute le chercheur Pierre Trudel, de l'UQAM. « C'est le cas des terres de la commune de la Seigneurie, et ce territoire-là, c'est justement là-dessus qu'on voulait agrandir le golf et, surtout, construire 60 habitations. »

Pour le traditionaliste mohawk John Cree, la crise d'Oka était inévitable.

« Si je vous installe dans un carré, mais que j'y entre aussi et vous repousse continuellement, jusqu'à ce que vous soyez à la limite, qu'allez-vous faire? Vous allez me repousser à votre tour en disant : "c'est assez". C'est exactement ce qui nous est arrivé. »

— John Cree, traditionaliste

Ottawa admet son erreur

En 2008, survient alors un revirement important. « Ottawa, 18 ans après, sous toute réserve parce qu'il négocie, bien sûr, a reconnu une faute fiduciaire », explique Pierre Trudel. « Le gouvernement fédéral aurait dû empêcher les Sulpiciens de vendre la commune à la municipalité d'Oka. »

Ottawa entreprend donc des négociations avec Kanesatake. Des discussions qui ont toujours cours, mais qui, selon le grand chef Serge Simon, seraient sur le point de déboucher sur une entente.

« Je ne peux pas en discuter dans le détail parce qu'on a des ententes de confidentialité; il y aura une conférence de presse », explique le grand chef. « Mais on a déjà des ententes de principe. Il devrait y avoir une annonce. »

« Ces processus sont toujours longs », ajoute Pierre Trudel. « La durée de l'examen des revendications territoriales a tendance à se calculer en termes d'années et non de mois. »

Une entente qui vaut de l'or?

Cette éventuelle entente entre Ottawa et Kanesatake, destinée à dédommager la communauté pour la perte d'usage du territoire, ne mettra pas un terme à toutes les revendications territoriales des Mohawks.

Elle pourrait toutefois leur rapporter plusieurs millions de dollars. Les Mohawks d'Akwesasne, qui vivent une situation comparable, doivent se prononcer sur une offre de 240 millions de dollars d'Ottawa. Une consultation doit être tenue dans les prochaines semaines.

Autant d'argent pourrait servir au développement économique de Kanesatake. Le grand chef rêve d'investissements, comme un centre culturel traditionnel jumelé au parc d'Oka de la SEPAQ.

« Imaginez-vous, avoir un centre culturel mohawk à l'entrée du parc d'Oka, avec un village authentique iroquois, avec les palissades en arrière. Tous les visiteurs pourraient venir voir le village authentique, avec les longues maisons. Ça aiderait beaucoup la communauté. »

— Le grand chef du conseil de bande de Kanesatake, Serge Simon

Michel Beaulne estime que la région d'Oka et de Kanesatake aurait grandement besoin d'investissements de ce genre. « Le plus gros problème, ça a été de faire en sorte que les gens reviennent à Oka », raconte-t-il.

Il était propriétaire d'un restaurant à Oka, mais a décidé de quitter la municipalité en 1994, faute de clients. À propos des enjeux territoriaux de Kanesatake, son idée est bien arrêtée.

« Il faut régler la question », affirme celui qui a cofondé la Chambre de commerce d'Oka, fusionnée depuis avec celle de Saint-Eustache-Deux-Montagnes.

« La plupart des magasins qui ont fermé n'ont pas rouvert. Ceux qui ouvrent de petits magasins survivent, mais ne font pas fortune. Le monde a encore peur d'y aller. Il faut faire en sorte que les gens reviennent dans ce superbe coin des Laurentides », plaide-t-il.

MARS 1990
Ellen Gabriel
Des Mohawks dressent une barricade sur un petit chemin de terre inutilisé l\'hiver. Le club de golf veut agrandir son terrain de neuf trous sur les terres revendiquées par les Mohawks, où se trouve un cimetière ancestral.
11 JUILLET 1990
PC/Paul Chiasson
À la demande du maire d\'Oka, Jean Ouellette, la Sûreté du Québec lance un assaut raté contre les Mohawks. Ils érigent une deuxième barricade sur la route 344, qui traverse le territoire de Kanesatake. Le caporal Marcel Lemay, de la SQ, est atteint mortellement au thorax.
KORLCC
Solidarité à Kahnawake, sur la Rive-Sud : des Mohawks bloquent l\'accès du pont Mercier quelques heures avant l\'assaut policier à Kanesatake.
KORLCC
L\'équipe de la station de télévision CTV arrive par la voie des eaux à Kahnawake. Les policiers de la SQ bloquent tous les accès à la réserve.
12 JUILLET 1990
PC/Ryan Remiorz
Le ministre des Affaires autochtones du Québec, John Ciaccia, se rend derrière les barricades de Kanesatake. Il est accueilli par Ellen Gabriel, porte-parole de la communauté. John Ciaccia a vertement critiqué l\'intervention policière et le rôle du maire.
PC/Ryan Remiorz
Le conflit s\'enlise dans des négociations intermittentes avec différents représentants de la communauté mohawk. La route 344 demeure fermée.
KORLCC
Sur la route 232, des Mohawks de Kahnawake observent les citoyens de Châteauguay qui manifestent leur mécontentement.
Ellen Gabriel
Le mouvement prend de l\'ampleur. Plusieurs Premières Nations du Canada et des États-Unis prennent la route pour appuyer leurs frères et soeurs de Kanesatake.
8 AOÛT 1990
PC/Paul Chiasson
Des Warriors patrouillent dans le territoire de Kanesatake. Le gouvernement fédéral de Brian Mulroney nomme un médiateur le juge Allan B. Gold. Le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, invoque la Loi sur la défense nationale pour recourir à l\'armée.
20 AOÛT 1990
KORLCC
Quelque 3000 militaires sont déployés à Kahnawake et à Kanesatake. Ils remplacent les policiers de la SQ épuisés après 41 jours de siège.
PC/Bill Grimshaw
À quelques mètres de la barricade de Kanesatake, un Métis du Québec pose un geste de solidarité et de paix en déposant une plume dans le canon d\'un tank de l\'armée.
PC
Confrontation entre un militaire et un Warrior à Kanesatake.
KORLCC
Après 58 jours, le pont Mercier est rouvert.
KORLCC
Une saisie menée par l\'armée sur l\'île de Tekakwita à Kahnawake provoque une flambée de violence. Des dizaines de Mohawks sont blessés ainsi que 10 soldats.
KORLCC
Quelques jours avant la fin du siège, le révérend Jesse Jackson se rend à Kahnawake. Le gouvernement du Québec va le remercier pour son geste, mais aussi l\'informer de l\'immédiateté du dénouement de la crise.
PC/Bill Grimshaw
Isolés et assiégés, les Warriors de Kanesatake, dont celui que l\'on surnomme Noriega, se rendent après 78 jours de siège.
PC/Ryan Remiorz
Des dizaines de Mohawks seront arrêtés. Après un procès très médiatisé, trois seront condamnés à des peines de moins de cinq ans. Parmi les Blancs ayant participé aux émeutes de Châteauguay, 15 seront condamnés à verser 500 $ à un organisme de charité.