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Trois fois plus de pétrole sur les rails et toujours les mêmes wagons fragiles DOT-111 (VIDÉO)

Trois fois plus de pétrole, mais toujours les mêmes wagons (VIDÉO)

Deux ans après la tragédie de Lac-Mégantic, le transport de pétrole par train poursuit sa forte croissance au Canada. Pourtant, des dizaines de milliers de wagons-citernes dont la faiblesse a été démontrée continuent de circuler sur les chemins de fer.

Un dossier de Thomas Gerbet

Ce qu'il faut savoir :

  • La majorité des wagons-citernes qui transportent du pétrole sont encore des vieux DOT-111 comme ceux impliqués dans la tragédie de Lac-Mégantic.
  • Le renforcement des wagons imposé l'an dernier s'est révélé insuffisant. Ils ne sont toujours pas assez robustes pour éviter la perforation en cas d'accident.
  • Un modèle encore plus résistant commencera à être construit dans les prochains mois.
  • Plusieurs s'interrogent sur la capacité de l'industrie à vite remplacer autant de wagons.

La Montréalaise Vera Granikov est témoin de la croissance du transport de pétrole par rail au Canada. Elle n'a qu'à observer la voie de chemin de fer qui passe presque sous son balcon du quartier Pointe-Saint-Charles : « On a remarqué, j'imagine parce que les trains sont plus longs et plus lourds, que la maison vibre beaucoup plus que quand nous avons déménagé ici [en 2008] ».

Montréal est un point de passage majeur du pétrole de l'Ouest canadien vers les États-Unis. Si Vera Granikov se fait plus souvent réveiller la nuit, c'est parce que le transport de brut sur rail continue sa fulgurante croissance. Entre la fin 2013 [après la tragédie de Lac-Mégantic] et la fin 2016, il aura plus que triplé, selon une estimation documentée par Transports Canada.

La majorité des wagons-citernes qui font la navette sur les rails du pays sont des vieux DOT-111, construits avant 2011. Le même modèle que ceux qui ont été perforés à Lac-Mégantic le 6 juillet 2013.

« Si un accident arrive, que ce sont ces wagons là, malheureusement, les chemins de fer n'y peuvent rien », reconnaît Gérald Gauthier, le vice-président de l'Association des chemins de fer du Canada. Le Canadien National et le Canadien Pacifique, qu'il représente, ne sont pas propriétaires des wagons. « On n'a pas le choix de le transporter », précise-t-il. Les propriétaires, ce sont les expéditeurs pétroliers ou les entreprises de location de wagons à long terme, comme Procor.

Tout ce que peuvent faire les compagnies de chemins de fer, c'est augmenter les inspections de wagons et prendre des mesures pour renforcer la sécurité.

Exemples d'autres ajouts à la sécurité depuis le 6 juillet 2013

  • La vitesse des convois a été réduite à 64 km/h dans les régions métropolitaines de recensement [zones urbanisées]. Le CN s'est même imposé 56 km/h.
  • Les municipalités reçoivent, chaque année, la liste trimestrielle des matières dangereuses contenues dans les trains qui passent sur leur territoire.
  • Investissement dans la modernisation des voies.
  • Installations de détecteurs pour identifier la chaleur des roulements ou des fissures.

Le 2 juillet 2014, près d'un an après le drame de Lac-Mégantic qui a coûté la vie à 47 personnes, Transports Canada a imposé une nouvelle norme technique aux DOT-111 avec la présence d'un demi-bouclier de tête notamment. Mais ce renforcement s'est révélé à son tour innefficace.

L'accident de Gogama, dans le Nord de l'Ontario, en janvier 2015, a démontré que les DOT-111 renforcés ont quand même été éventrés.

Dans un document daté du 20 mai 2015 de Transports Canada, on peut lire : « Même une fois conformes à la nouvelle norme, [les wagons-citernes DOT-111] ne sont pas assez robustes et à l'épreuve des collisions pour résister à l'impact d'un accident, ce qui pose un risque important de rupture de la citerne et d'un rejet de marchandises dangereuses en cas d'accident ».

En coordination avec les États-Unis [puisque les wagons vont et viennent par-delà la frontière], la ministre Lisa Raitt a donc annoncé, dans les derniers mois, l'imposition graduelle d'un nouveau type de wagon : le DOT-117 [ou TC 117]. Il sera formé d'un acier plus épais, aura un bouclier plein et une protection thermique appelée « chemise ». Selon le principal constructeur américain, le modèle serait de 6 à 8 fois plus sûr que le DOT-111.

Les usines de production de wagons vont tourner à plein régime dans les prochaines années. Surtout les américaines, puisqu'au Canada, il n'y en a qu'une : National Steel Car, à Hamilton, en Ontario. « Même si on disait à tous ces gens-là : demain matin, il nous faut des nouveaux wagons. Il faudrait les construire. Il y a un rythme de production et on ne peut pas excéder la cadence », explique Gérald Gauthier, de l'Association des chemins de fer du Canada.

« Au Canada, toute compagnie qui ne respecte pas ce délai ferme ne sera pas autorisée à utiliser ces wagons pour expédier du pétrole brut », précise la porte-parole de Transports Canada, Mélany Gauvin, dans un courriel.

« Cet échéancier est ambitieux, mais nous sommes convaincus que l'industrie le respectera. »

— Mélanye Gauvin, porte-parole de Transports canada

L'échéancier sera-t-il respecté ?

« Non, ce calendrier n'est pas réaliste », analyse Jacques Vandersleyen, ancien régulateur de la Société nationale des chemins de fer belges. Transports Canada reconnaît lui-même dans un document avoir « également considé un échéancier de mise en oeuvre plus long afin de donner plus de temps aux intervenants pour moderniser ou construire de nouveaux wagons-citernes ».

Le poids est lourd sur les épaules des propriétaires de wagons qui devront dépenser des milliards de dollars. Un DOT-117 coûte 200 000 $ à produire. La compagnie Procor, qui possède 27 000 wagons, a refusé de répondre à nos questions. « Les intentions de Procor sont privées et confidentielles », a répondu un représentant.

L'industrie n'a en fait aucune obligation de rendre des comptes à Ottawa sur l'avancement de la modernisation des wagons-citernes. Le gouvernement parle d'« une approche volontaire » dans ses documents. « Déjà, au départ, on permet le laxisme quant à la planification », regrette Jacques Vandersleyen, « on se demande qui dirige ».

Dans un courriel, Transports Canada indique que l'industrie sera en mesure de construire « entre 38 000 et 44 000 wagons-citernes par année » et d'en remettre en état 7500 autres. Des chiffres qui font fortement douter l'expert. Nos recherches nous ont permis de découvrir que les usines continuent toujours de produire l'ancien modèle de wagons-citernes.

Pendant ce temps, dans son jardin de Pointe-Saint-Charles, à quelques mètres de la voie ferrée, Vera Granikov s'impatiente. Il y a quelques années, des wagons-citernes ont déraillé juste devant chez elle... Heureusement, ils étaient vides.

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