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«Je ne représente pas une menace», dit un sympathisant de l'État islamique

«Je ne représente pas une menace», dit un sympathisant de l'EI
Facebook/Radio-Canada

Un jeune homme à Winnipeg qui affiche publiquement son soutien au groupe armé État islamique (EI) sur les sites de médias sociaux ne croit pas qu'il constitue une menace à la société, malgré le fait qu'il défende les attentats réalisés contre les policiers et soldats sur sol canadien.

« Je pense que si un pays fait la guerre à un autre pays, un autre peuple ou une autre communauté, il doit s'attendre à ce que ce genre de chose lui arrive », a précisé Aaron Driver, 23 ans, lors d'un entretien téléphonique avec CBC/Radio-Canada. « Donc il ne faut pas s'étonner lorsque [les contre-attaques] arrivent. Ils l'ont bien cherché. Ils l'ont mérité. »

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a effectué une descente policière chez le jeune homme le 4 juin et a saisi du matériel informatique. Aaron Driver, qui porte le pseudonyme Harun Abdurahman sur Twitter, a exprimé dans les médias sociaux son appui à l'EI et aux combats de ses militants.

La GRC demande à ce que le jeune homme signe un engagement de ne pas troubler l'ordre public, une ordonnance préventive en vue de protéger le public avant qu'une infraction criminelle ne soit commise. La force de l'ordre considère que le radicalisé constitue une menace à la sécurité.

Des documents présentés en cour allèguent qu'Aaron Driver « participera sciemment à une activité d'un groupe terroriste, ou y contribuera, directement ou non, dans le but d'accroître la capacité du groupe terroriste de se livrer à une activité terroriste ou de la faciliter, en vertu de l'article S.810.01 du Code criminel ».

Suivi par les services secrets

L'homme radicalisé est inscrit à la liste de surveillance du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) depuis octobre 2014 pour avoir publié des tweets encourageant l'État islamique. Aaron Driver faisait souvent part de ses allégeances sur les médias sociaux, et Twitter a fermé son compte à plusieurs reprises.

Selon le jeune adulte, l'attentat mené en octobre par Michael Zehaf-Bibeau à Ottawa n'était que des « représailles ». Il maintient également que le meurtre du caporal Nathan Cirillo au Monument commémoratif de guerre était « justifié » en raison du rôle que joue le Canada dans les bombardements en Syrie ainsi qu'en Irak.

« Ce ne sont pas des attaques sur des centres commerciaux ou sur les places publiques, comme dans une église. Elles visent les policiers et les soldats, des personnes qui font partie du 'système'. C'est tout à fait différent », affirme M. Driver.

« C'est mon opinion... ce sont mes croyances personnelles. Et je ne crois pas que mes opinions ni les propos que j'ai publiés sur Internet aient influencé ou incité qui que ce soit à préparer ou à commettre des attentats. Alors, je ne vois rien de mal à ça. »

Aaron Driver

Il a ajouté qu'il croit que « le principal problème [pour le public], c'est que je suis Canadien, en sol canadien, et je n'oppose pas qu'on cible les soldats et les policiers pour ce qu'ils font aux musulmans ».

Une interrogation pointue

Adam Driver a été arrêté à un abribus tôt le matin du 4 juin. Il raconte qu'une fourgonnette blanche non identifiée s'est approchée de lui et que plusieurs agents armés l'ont entouré et l'ont ensuite emmené au poste.

« Je pense qu'ils espéraient trouver quelque chose après m'avoir arrêté... quelque chose de culpabilisant sur mon disque dur ou sur mon cellulaire », a expliqué le radicalisé. « Ils s'attendaient à découvrir une mine d'or de preuves irréfutables, mais ils n'ont rien trouvé. Je pense que c'est pour ça qu'on m'a enfin libéré. »

La GRC a interrogé M. Driver deux fois pendant sa détention. Lors des deux séances d'interrogatoire, qui ont duré environ quatre heures chacune, les agents de police se concentraient surtout sur un retweet que le jeune adulte avait diffusé, raconte Adam Driver. M. Driver a refusé de préciser à Radio-Canada le contenu du tweet, mais il soutient que le message a suscité un intérêt particulier chez la GRC.

« Essentiellement, j'ai retweeté un tweet d'un combattant de la liberté ou d'un recruteur en Syrie. L'interrogateur m'a demandé à maintes reprises pourquoi je l'ai fait, à quoi je pensais, ce que j'espérais à gagner en faisant ça », a-t-il dit.

Aaron Driver ne se souvient pas exactement de ce qui l'a motivé à partager le tweet, mais il croit qu'il le trouvait amusant.

Après huit jours, le sympathisant de l'État islamique a été libéré sous caution. Il doit maintenant se conformer à 25 restrictions imposées par un juge.

La chrétienneté cède à l'islam

Aaron Driver est né en Saskatchewan au sein d'une famille chrétienne, mais au cours de son enfance la famille s'est installée au Nouveau-Brunswick, en Ontario, en Alberta et finalement, au Manitoba. Il a connu une enfance difficile non seulement à cause des « déracinements » multiples, mais aussi parce que sa mère est décédée d'un cancer du cerveau lorsqu'il avait sept ans.

Son père s'est ensuite remarié et s'est inscrit aux Forces canadiennes. Aaron déclare qu'il ne s'est jamais très bien entendu avec son père ni avec sa belle-mère, et que leurs relations sont plutôt tièdes.

À l'âge de 14 ans, son père l'a attrapé en train de fumer de la marijuana et a envoyé le jeune à London, en Ontario, pour vivre avec sa sœur. Au cours des trois prochaines années, il avait de mauvaises fréquentations et il a souvent eu des démêlés avec la police.

Pourtant, lorsqu'il a appris que sa copine était enceinte de lui, le jeune homme a décidé de mettre de l'ordre dans ses affaires.

« C'est pour ça que j'ai arrêté de boire et de prendre de la drogue et de faire la fête. J'ai commencé à lire la Bible, parce que je me suis dit que je devais bientôt assumer beaucoup de responsabilités », atteste-t-il.

Aaron Driver constate que c'est la Bible qui l'a poussé vers l'islam.

« J'ai décidé que c'était impossible que [la Bible] soit la parole de Dieu, alors j'ai commencé à écouter des débats religieux pour trouver réponses à mes questions. Il y avait beaucoup de débats entre chrétiens et athées, ou entre chrétiens et musulmans, et les musulmans décimaient les arguments des chrétiens. »

Aaron Driver

Le jeune homme dit que sa transition de musulman dévot à extrémiste radical est le résultat de recherches qu'il a faites sur Internet au sujet des enjeux au Moyen-Orient.

« Quand on voit ce qui se passe en Syrie, c'est tout à fait enrageant, mais ça déchire le cœur aussi. Et si on sait que quelque chose ne va pas, alors il faut agir, même si ce n'est qu'en parlant aux gens pour les sensibiliser à ce qui se passe », souligne-t-il.

« Il faut faire quelque chose. La population doit connaître la vérité sur ce qu'on fait aux musulmans. Alors je pense que c'est pour ça [que je suis devenu extrémiste]. »

Aaron Driver

Bien qu'Aaron Driver défende les actes de représailles pour les injustices à l'égard des musulmans, il déclare qu'il n'a pas le caractère violent.

« Je n'ai pas un passé violent. Je n'ai eu qu'une poignée de bagarres de toute ma vie, explique-t-il. Je ne crois pas que je représente une menace aux Canadiens. »

Une des conditions de libération de M. Driver est d'assister à des séances de counseling religieux : « je crois que la GRC veut que je sois "déradicalisé" », dit-il.

Pour changer de point de vue, Aaron Driver estime qu'il faudrait que « l'Occident arrête de tuer les musulmans, qu'il arrête ses bombardements, qu'il stoppe les arrestations... qu'il assume la responsabilité de ses actions criminelles et qu'il essaie de régler ses propres problèmes au lieu de se mêler des affaires des autres ».

Radio-Canada a communiqué avec la GRC pour qu'elle se prononce sur l'enquête. Un porte-parole affirme que l'agence policière n'a rie à ajouter pour l'instant.

Un reportage de Caroline Barghout

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