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Agences de placement : travail égal, salaire tronqué

Agences de placement : travail égal, salaire tronqué
CBC

« Je fais le même travail que mes collègues, mais je suis payée moins cher et n'ai pas d'avantages sociaux. C'est frustrant et dégradant », rage Acsana Fernando.

Un texte de Christian Noël

L'étudiante de 35 ans parle au rythme d'une mitraillette : les syllabes s'enchaînent en saccade, elle passe rapidement d'une idée à l'autre. Elle en a gros sur le coeur et elle veut tout raconter en même temps.

« Je travaille au même endroit depuis presque un an, mais je suis traitée différemment des autres employés. » Parce que son employeur ne l'a pas embauchée directement, mais plutôt par le biais d'une agence de placement.

Le salaire devrait normalement être suffisant pour elle et son père malade, qui partage son appartement. Mais ce n'est pas le cas. « C'est 20 $ l'heure. Mais le centre verse mon salaire à l'agence de placement, qui en garde une bonne partie. Moi, je ne reçois que le salaire minimum, soit 11 $ l'heure. Et en plus, sur le chèque de l'agence, il y a une déduction de 7 % pour frais de service. »

Acsana se sent flouée, mais elle hésite à se plaindre. « Je crains de perdre mon emploi, dit-elle, comme c'est arrivé à mon ami Miguel. »

Employés de seconde classe

« C'est un véritable racket », selon Deena Ladd, du Centre de défense des travailleurs, basé à Toronto. « Les agences de placement contrôlent l'accès au marché du travail et imposent des frais dispendieux. Ça crée des employés de seconde classe. »

« Parfois, l'agence de placement se trouve dans le même édifice que la compagnie cliente, explique Deena Ladd. Une personne qui se cherche un emploi est donc envoyée au bureau voisin, sans savoir qu'elle fait affaire avec une deuxième entreprise. Elle l'apprend en recevant son chèque. »

Ces agences de placement « se multiplient de façon impressionnante », critique-t-elle. Au Québec et en Ontario, environ le tiers des emplois affichés le sont par le biais d'une agence. Et les revenus du secteur ont doublé en 10 ans au Canada, pour atteindre 11 milliards de dollars.


Réforme ontarienne

La situation touche toutes les provinces canadiennes, mais particulièrement l'Ontario, où vivent la moitié des travailleurs d'agences.

Le gouvernement de Kathleen Wynne reconnaît que la nature changeante du marché du travail nécessite une modernisation de son code du travail, afin de mieux protéger ses travailleurs. Un peu comme a tenté de le faire le défunt gouvernement Marois à Québec, il y a deux ans.

Une série de consultations publiques a été entamée cette semaine, menée par deux avocats spécialisés dans le droit du travail. « Notre mission est d'étudier la mise en place de nouvelles normes pour protéger les travailleurs, déclare l'avocat John Murray, tout en soupesant les besoins de flexibilité des employeurs. Nous devrons trouver un équilibre ».

Création d'emplois

Les agences de placement se défendent d'agir de façon inappropriée. Elles assurent agir comme intermédiaires entre les chercheurs d'emplois et les entreprises qui ont des besoins urgents et ponctuels. Une étude de l'Institut économique de Montréal indique que « les entreprises qui utilisent ce type de services et qui misent sur la flexibilité de la main-d'oeuvre ont tendance à mieux performer financièrement, ce qui se traduit par une plus grande création d'emplois », écrit l'économiste Youri Chassin.

Mais l'économiste Erin Weir, du Syndicat des métallos, ne partage pas cet avis. « Le problème, c'est qu'il y a plus d'emplois à temps partiel, de salaire très bas et le travailleur n'a aucune sécurité d'emploi. C'est un problème pour les travailleurs précaires et aussi pour toute l'économie parce que si les gens ont moins d'argent, ils dépensent moins. »