Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Des insectes pour résoudre des crimes

Des insectes pour résoudre des crimes
Radio-Canada.ca/Nicolas Steinbach

Des insectes pourraient-ils aider les enquêteurs à résoudre des crimes? Une recherche sans précédent menée par le professeur d'écologie Gaétan Moreau, de l'Université de Moncton, pourrait exercer un impact important sur des enquêtes policières dans le monde.

Un texte de Nicolas Steinbach

Le professeur Moreau et ses étudiants viennent de lancer cette recherche qui vise à en apprendre davantage sur la décomposition des corps dans des contenants fermés. Quinze porcs seront utilisés pour l'expérience au Nouveau-Brunswick et quinze autres en Allemagne. Cette étude en simultané sur deux continents va s'étendre sur une centaine de jours.

« [C'est la première fois] qu'en terme de quantité on fait ça. Généralement, les études médico-légales sont faites avec trois ou quatre carcasses [...] C'est un des gros problèmes [...] C'est important de répliquer les expériences parce que si on veut mettre une personne en prison en se basant sur ce genre de preuves là au niveau médico-légal, c'est important d'avoir suffisamment d'unités de réplication », explique Gaétan Moreau.

L'expérience débute dans une porcherie à Salisbury dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Le professeur et ses trois étudiants débarquent des valises, des barils et des poubelles. Ils y disposent ensuite des porcs. Ç'a été testé, dit Gaétan Moreau. La taille idéale est un porc de 50 livres. C'est ce qui représente le mieux un humain en matière de décomposition de la partie thoracique de l'animal.

Les contenants vont être disposés dans un champ à Cocagne de façon à reproduire différentes scènes de crimes. L'étude vise à répertorier les insectes à différentes étapes de la décomposition à l'intérieur et à l'extérieur des valises, barils et poubelle. Une poubelle laissera passer plus facilement les insectes. Dans le cas de la valise, les mouches pondront leurs larves le long de la fermeture. Le baril ne laissera pratiquement rien passer. L'expérience est sans précédent pour son ampleur et son large échantillonnage.

« Nous, à l'Université de Moncton, on est très bon et reconnu à travers le monde dans la modélisation. On va être capable de dire : "Regardez [...], si vous avez tel insecte avec telle combinaison de décomposition ça va faire tant de jours que votre cadavre est là et ainsi on est capable de déterminer un intervalle post-mortem". Depuis combien de temps le cadavre est accessible aux insectes. [...] On va pouvoir aller plus loin sur quels insectes vont venir coloniser. [...] Si dans une enquête criminelle on trouve des informations différentes dans quelque chose qui a été dans une poubelle que celles qu'on a trouvées, nous, ça nous indique effectivement qui s'est passé de quoi. Peut-être que le cadavre n'a pas été mis directement dans la poubelle après le décès. Ça nous donne des indices supplémentaires », précise Gaétan Moreau.

Déterminer le moment de la mort est extrêmement important puisque cela peut aider les enquêteurs à trouver des témoins potentiels, même des suspects.

Un partenariat avec la GRC

L'agent Jean-Philippe Michaud travaille au sein de l'unité des crimes majeurs de la GRC à Calgary. C'est aussi un étudiant de Gaétan Moreau, qui est son directeur de thèse. Il ne fait pas partie de l'expérience ces jours-ci, mais il était présent l'an dernier lorsqu'ils ont observé et analysé la présence d'insectes sur des porcs dans des rideaux de douche. Jean-Philippe est probablement le membre de la GRC le plus spécialisé en entomologie médico-légale. Les recherches de Gaétan Moreau sont, selon lui, essentielles pour renforcer la discipline, mieux comprendre les scènes de crime et répondre à la demande.

« Ce qui se passe dans des enquêtes de meurtre, on retrouve des cadavres à l'air libre, dans des maisons, mais aussi dans des poubelles ou des valises. Si vous faites des recherches, dernièrement il y a un corps qui a été retrouvé à Tokyo, deux ou trois corps dans des États américains. Il y a quelques années, le cas Magnotta, où il y a eu des membres qui ont été envoyés avec des valises, des boîtes, dans différents endroits. Donc, c'est quelque chose qui est assez fréquent. Avec la valise, ce qui va être intéressant, c'est le délai de colonisation et il y a aussi le facteur de chaleur à l'intérieur de la valise et l'impact sur la carcasse », affirme Jean-Philippe Michaud.

L'Université de Moncton se distingue

« Nous, c'est tout récent. Ça fait 10 ans qu'on fait du médico-légal. Mais ça fait 10 ans qu'on en fait de bons [...]. Ce qui est particulier avec l'Université de Moncton, c'est qu'on est suivi à travers le monde parce que nos travaux ont amené une rigueur scientifique », souligne Gaétan Moreau.

Selon le professeur, les données manquent, ce qui peut avoir des conséquences sur la force de la preuve. Il évoque un procès du début des années 2000 aux États-Unis (Westerfield contre Van Dam), lorsque quatre entomologistes ont témoigné et ont donné des temps différents de durée post-mortem, le juge a demandé au jury de ne pas tenir compte de la preuve entomologique.

« Dans les dernières années, j'ai eu la chance de réviser toute la littérature mondiale sur les cadavres des carcasses animales en extérieur. C'est très peu. C'est surprenant. On est très loin de CSI, des choses qu'on voit à la télévision. Il n'y a pas beaucoup de littérature et on ignore encore [beaucoup]. On ne sait pas, par exemple, ce qu'est l'effet des vêtements sur un cadavre, l'effet de la taille. Ç'a été testé dans le passé, mais plutôt à titre anecdotique et ça ne vaut pas grand-chose devant un jury », indique Gaétan Moreau.

Des données bientôt publiées

Dans le champ à Cocagne, les contenants sont bien espacés de façon à ce que chaque scène puisse recueillir ses propres insectes. Les étudiants vont y retourner tous les jours durant l'été pour prendre des échantillons.

Gaétan Moreau a l'intention de publier les résultats de la recherche dans des magazines scientifiques. Il espère aussi qu'ils pourront être utilisés comme modèles comparatifs pour des enquêtes criminelles, peut-être même des deux côtés de l'océan, étant donné que l'étude se déroule en même temps en Allemagne.

M. Moreau a aussi un projet avec la GRC. Le professeur a récemment été approché pour élever dans son laboratoire, à l'Université, des insectes trouvés sur des scènes de crime. Le projet doit encore être approuvé.

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.