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Le patron de l'armée dément toute intervention inopportune sur les crimes sexuels (VIDÉO)

Le patron de l'armée dément toute intervention inopportune sur les crimes sexuels

Le chef d'état-major Tom Lawson assure que l'équipe qu'il a mandatée pour donner suite au rapport accablant sur les inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes (FAC) a les coudées franches, contrairement à des informations obtenues par CBC.

Il dément ainsi lui avoir demandé d'ignorer certaines des principales recommandations faites par la juge à la retraite Marie Deschamps, dont celle de créer un centre indépendant pour recevoir et traiter les plaintes des militaires.

Dans une directive de mise en oeuvre envoyée à 21 hauts gradés de l'armée le 25 février dernier et obtenue par CBC, le général Lawson semble pourtant rejeter l'idée de créer un centre indépendant.

« Les autorités actuelles chargées du système d'enquête et de justice en cas d'inconduite sexuelle demeureront les mêmes », écrivait alors le numéro un des Forces canadiennes, sous un titre de rubrique intitulé « Hypothèses ».

Ces hypothèses « établissent les fondements du système des exigences et de l'intention de la présente directive de mise en oeuvre », écrit le général Lawson, qui créait du même coup l'Équipe d'intervention stratégique des Forces armées canadiennes - Inconduites sexuelles (EISF-IS), dirigée par la majore-générale Christine Whitecross.

C'est cette équipe qui doit présenter un plan d'action répondant aux recommandations de Mme Deschamps.

Le rapport Deschamps n'avait pas été divulgué publiquement au moment où le général a rédigé cette directive, mais le bureau du chef d'état-major en avait obtenu une copie préliminaire. La juge à la retraite, qui a d'ailleurs reçu la directive de l'état-major, a finalement dévoilé son rapport le 30 avril, dans une conférence de presse conjointe avec le général Lawson.

Des « hypothèses » mal interprétées, dit Lawson

« La directive que j'ai publiée [...] comprenait des hypothèses de planification, fournies à la majore-générale Whitecross pour guider ses travaux », affirme cependant Tom Lawson dans une déclaration envoyée à la presse mercredi après-midi.

« Ces hypothèses de planification ne devraient aucunement être perçues comme des contraintes qui lui sont imposées ou des ordres lui imposant d'ignorer les recommandations contenues dans le rapport final. Une telle supposition est tout simplement fausse. »

— Le chef d'état-major Tom Lawson

Soulignant que Mme Whitecross et son équipe « examinent maintenant activement diverses options afin de déterminer quelle est la meilleure façon de mettre en œuvre chacune de ces recommandations », le général Lawson admet que « de nombreuses discussions ont eu lieu » au sujet de la création d'un centre indépendant, une recommandation qu'il accepte « en principe ».

Le général Lawson soutient que la majore-générale Whitecross « examine attentivement » des modèles en vigueur en Australie, en France et aux États-Unis, comme le recommandait le rapport Deschamps, « afin de formuler des recommandations concernant la meilleure façon de procéder au Canada ».

« Il pourrait s'agir par exemple d'un élément inspiré du modèle australien, qui donne du pouvoir aux victimes, mais qui renforce également la capacité de la chaîne de commandement à diriger et à se soucier du bien-être de ses militaires, et à rendre compte régulièrement à leur chef de la Force de défense par l'intermédiaire du comité des chefs de service. Nous examinons également le système américain, qui est géré par un général deux étoiles qui relève d'un secrétaire adjoint de la Défense », écrit-il.

« Bien que nous ne soyons pas certains du meilleur modèle à adopter au Canada, et par conséquent, de la façon dont nous mettrons en œuvre cette recommandation, nous sommes très conscients de la nécessité de mettre sur pied un centre libre de toute influence de la part de la chaîne de commandement. »

— le général Tom Lawson, chef d'état-major des Forces armées canadiennes

L'indépendance, une nécessité

Selon le rapport Deschamps, la création d'un centre indépendant « est une étape importante vers l'amélioration des processus de traitement des cas de harcèlement sexuel et d'agression sexuelle, en plus d'être un moyen de montrer aux militaires que les FAC prennent au sérieux le problème des comportements sexuels inappropriés. »

Elle recommandait aussi que les corps policiers puissent faire enquête sur des cas d'inconduite sexuelle, si la plaignante le souhaite.

Le bureau du chef d'état-major avait refusé d'accorder une entrevue à CBC dans le cadre de son enquête. Un porte-parole, Jordan Holder, avait déclaré que le général Lawson n'avait émis aucune directive qui ne pouvait pas être changée. Une telle modification demanderait une nouvelle directive de mise en oeuvre, et le bureau de la majore-générale Christine Whitecross affirme ne pas en avoir reçu.

De passage à Winnipeg la semaine dernière pour rencontrer des militaires, Christine Whitecross a dit ne pas être au courant de contraintes qui lui auraient été imposées. « Je ne sais pas où ils sont allés chercher ça », a-t-elle déclaré. « Mes ordres sont clairs. Mon mandat est de former une équipe, et d'avoir un plan d'action pour répondre aux 10 recommandations. »

Quelle définition pour le harcèlement sexuel?

Dans sa directive de mise en oeuvre du 25 février, le général Lawson écrivait aussi que la définition de harcèlement sexuel ne sera pas modifiée, en dépit de la recommandation de Mme Deschamps.

« La définition de harcèlement telle qu'établie par le Conseil du Trésor [...] demeurera en vigueur », écrit-il. Mme Deschamps a plutôt recommandé aux FAC d'adopter « une définition simple et large du harcèlement sexuel qui englobe toutes les dimensions des relations entre les militaires au sein des FAC ».

Officiellement, la direction de l'armée a affirmé dans la foulée du rapport Deschamps qu'elle va revoir « plusieurs de ses définitions relatives à des comportements sexuels inappropriés ».

Quelle marge de manoeuvre pour la majore-générale Whitecross?

Plus tôt dans la journée, le bureau du ministre de la Défense du Canada, Jason Kenney, avait réagi à la nouvelle de CBC. « Le chef d'état-major a accepté les recommandations du rapport Deschamps et agit en ce sens. La majore-générale Chrstine Whitecross a clairement dit qu'elle ne sent aucune contrainte dans son travail » peut-on y lire.

« Les Forces armées canadiennes étudient la meilleure façon de mettre en oeuvre les 10 recommandations du rapport et le ministre soutient cet effort ».

Dans les faits, le général Lawson n'a accepté d'emblée que deux des dix recommandations du rapport Deschamps : que l'armée reconnaisse qu'il y a un problème d'inconduites sexuelles et qu'un changement de culture s'impose. Les huit autres recommandations du rapport ont été acceptées, mais seulement « en principe ».

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair, dit être « très déçu » et « très préoccupé par la directive du général Lawson ». Les Forces armées canadiennes semblent « revenir aux bonnes vieilles habitudes » en « décidant d'avance » de rejeter les recommandations de Marie Deschamps, alors qu'elle ont « l'obligation », selon lui, de les suivre.

« Le problème est avec le gouvernement. Parce que, jusqu'à nouvel ordre, le militaire relève de l'administration civile. [...] Le ministre Kenney a une obligation d'État de suivre l'entièreté des recommandations. »

— Thomas Mulcair, chef du NPD

Le chef libéral Justin Trudeau affirme pour sa part que l'approche du général Lawson est « injustifiable » et que l'armée devrait « immédiatement » mettre en œuvre les recommandations du rapport. « Nous sommes en 2015. Il est temps qu'elle le fasse. »

Il estime lui aussi que le gouvernement Harper devrait se mêler de ce dossier. « Je trouve que ça devrait être une décision et une volonté politique de s'assurer que nous protégeons les droits de tous les Canadiens, quel que soit leur milieu de travail », affirme M. Trudeau.

CBC a montré la directive de mise en oeuvre à trois anciens hauts gradés de l'armée. Ils ont tous conclu que la note du général Lawson pourrait limiter l'autonomie de la majore-générale Whitecross, chargée d'étudier les recommandations du rapport.

La porte-parole du Parti libéral en matière de Défense nationale, Joyce Murray, est aussi de cet avis. « Oui, il s'agit clairement de contraintes. Et il s'agit de contraintes sur un cadre réglementaire qui est proposé par Mme Deschamps pour répondre à cette culture hostile [aux femmes et aux minorités sexuelles] dans les Forces armées canadiennes ».

Selon Joyce Murray, le gouvernement conservateur doit maintenant clarifier la situation. « Le ministre [de la Défense, Jason Kenney,] a été invisible quand le rapport est sorti. E il n'a jamais fait de déclaration au sujet de son intention de régler le problème, d'accepter cette recommandation », a-t-elle déclaré, avant que le bureau du ministre Kenney ne réagisse à la nouvelle.

Il est à noter que le général Tom Lawson prendra sa retraite d'ici quelques semaines. Le gouvernement a déjà annoncé qu'il sera remplacé par Jonathan Vance. C'est donc lui qui recevra le plan d'action que prépare l'équipe de la majore-générale Whitecross, au plus tard le 4 septembre prochain.

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