Jacques Cartier, le chef de la nation Siksika Issapoomahksika, plus connu sous le pseudonyme de Crowfoot, Louis David Riel, le général James Wolfe, le chef cri des Prairies Pitikwahanapiwiyin, plus connu sous le pseudonyme de Poundmaker, sont les cinq personnages que Moridja Kitenge Banza a choisi de mettre sur ses billets.
« Je trouvais que tous ces personnages, de par leur provenance - Français, Anglais, Métis et Premières Nations -, représentaient le Canada. Ils ont construit le pays », lance l'artiste dans la galerie Joyce Yahouda, où est exposée sa série d'impressions de 200 cm par 95 cm sur papier glacé.
Comment représenter, sur une image si peu banale, un pays? La Banque du Canada a invité, fin 2014, les Canadiens à faire part de leurs observations sur les principes qui guident la conception des billets de banque du pays. Près de 2000 personnes y ont répondu.
En ce qui concerne les considérations qui devraient entrer en ligne de compte dans la conception des billets, les répondants ont indiqué vouloir une meilleure représentation des femmes, du multiculturalisme canadien, des faits marquants de l'histoire canadienne ou encore des Autochtones.
Pendant six mois, Moridja Kitenge Banza a fouillé dans l'histoire canadienne, avec l'aide d'un historien, à la recherche de personnes qui ont construit le pays, avec quelques lignes directrices : des personnes qui ont oeuvré autour de la politique, mais pas de religieux ni de syndicalistes.
Les années 1800 - sauf pour Jacques Cartier et le général Wolfe - étaient aussi à prendre en compte. « Pour remplacer la reine sur le billet de 20 $, je voulais une femme, mais je n'en ai pas trouvé », précise, presque en s'excusant, l'artiste.
Enfin, un détail, mais de taille : l'image. Il fallait que des photos ou des peintures des personnages existent. En ce qui concerne les chefs autochtones et Louis Riel, Moridja Kitenge Banza a trouvé des photos dans les archives du Canada; pour le général Wolfe, c'est une peinture, et enfin pour Jacques Cartier, il semble qu'il n'existe qu'une seule image. D'ailleurs, l'artiste se questionne : « Comment être sûr que c'est bien lui? »
Observant les œuvres, Séverine Giroux, une professeure en arts plastiques, est admirative : « J'aime vraiment ça! Je trouve ça très intéressant, les têtes d'Indiens au milieu des autres personnages historiques. Les couleurs ressortent bien aussi. Et je trouve que c'est politiquement intéressant de retravailler l'histoire, même si l'artiste ne cherche pas à nous l'imposer. »
« Il redonne la place aux peuples autochtones. Cela faisait des années que je n'avais pas vu la tête à Louis Riel, et je trouve qu'effectivement, il pourrait avoir sa place. »
— Séverine Giroux, professeur en arts plastiques
Louis Riel, personnage controversé, aimé des uns, détesté des autres, « l'histoire officielle et officieuse, cela montre la complexité de l'histoire, celle que l'on veut garder ou pas », poursuit l'artiste.
« Je voulais travailler sur les billets de banque parce que c'est un lieu de mémoire où on impose, on choisit des personnages, une histoire, une direction que l'on veut donner à cette mémoire. Cette mémoire est collective. Le but de mon exposition n'est pas d'accuser ou de juger, mais je pose la question : si dans la vraie vie, les billets de banque étaient comme ça aujourd'hui, qu'allait être l'histoire? »
Au cas où vous vous posiez la question, et même si l'artiste concède que son geste est assez politique, la valeur des billets n'a aucun lien avec l'importance dans l'histoire des personnages choisis. Ce sont des raisons esthétiques qui ont primé.