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Avec son «œil bionique», Claude espère revoir assez «pour se rebalader dans les champs» (VIDÉOS)

Avec son «œil bionique», Claude espère revoir assez «pour se rebalader dans les champs» (VIDÉOS)
Second Sight

Ça lui est "tombé dessus" à 18 ans. "Au moment où je passais mon permis", se souvient Claude. "Ça", c'est une rétinite pigmentaire, une maladie génétique rare, qui fait progressivement baisser la vue jusqu'à devenir aveugle. A l'aube de ses 50 ans, Claude, agriculteur tout juste retraité qui souhaite rester anonyme, a donc dû s'habituer au noir complet après avoir composé quasiment toute sa vie avec une vision défaillante.

Si avec le soutien de sa femme et de ses enfants, Claude a toujours réussi à se débrouiller - il a toujours travaillé - la cécité complète lui à fait perdre en autonomie. Une indépendance qu'il aimerait retrouver, du moins, suffisamment pour "se dépasser" et pouvoir à nouveau "se balader dans les champs", confie-t-il pudiquement, lorsque nous le rencontrons à l'Institut de la vision à Paris. Cet espoir n'est pas tout à fait vain. Car depuis novembre 2014, Claude, porte de drôles de lunettes sur le bout du nez. Il y a quelques mois, il a en effet subi une opération pour recevoir un "œil bionique".

Bien loin de Terminator

L'expression renvoie aux fantasmes les plus fous. Et pourtant, nous ne sommes pas dans un film de science fiction et Claude n'a rien d'un Terminator. La prothèse Argus II que porte cet homme réservé est un implant rétinien développé par Second Sight. Cette société américaine travaille depuis 1998 au développement et à l'amélioration de ces prothèses qui permettent de rendre la vue aux personnes atteintes de rétinite pigmentaire.

Une caméra miniature fixée sur une paire de lunettes envoie les images enregistrées à un petit boîtier, porté en bandoulière. Celui-ci transforme les images en pulsations électriques qui sont elles-mêmes envoyées à la prothèse via un système sans fil, comme on peut le voir dans la vidéo ci-dessous. "Ces pulsations visent à stimuler les dernières cellules vivantes de la rétine, entraînant la perception de motifs lumineux dans le cerveau", explique le dossier de présentation de Second Sight.

Mais n'allez pas croire que Claude, et tous ceux qui ont été implantés, retrouvent la vue comme vous et moi. Non, le dispositif permet seulement de restituer une partie de la fonction visuelle. Concrètement, les patients voient des "flashs" et des formes, qui sont fonction du contraste de ce qu'il y a en face d'eux et qu'il leur faut ensuite interpréter. Une faculté qui s'apprend au cours des vingt séances de rééducation qui suivent l'opération. Les dix premiers rendrez-vous se font en hôpital pour apprendre à identifier les objets et les motifs qui y sont associés. Les dix suivants ont lieu au domicile du patient pour travailler sur la locomotion et donner des conseils pratiques pour le quotidien.

Claude commence tout juste cette phase d'apprentissage. Depuis février dernier, il a fait cinq séances de rééducation. Encore un peu tôt pour arriver à distinguer tout ce qui l'entoure, avoue-t-il. Mais suffisant pour "voir" la différence avec avant. "Les passages piétons, ça j'arrive à les distinguer!", s'exclame-t-il. Les grandes bandes blanches sur le bitume noir offrent un contraste assez fort pour être reconnues plus facilement. A l'inverse, "quand il y a trop de soleil, je vois tout blanc", raconte-t-il, alors que comme le notent ses enfants, il n'a pas encore pris le réflexe de passer en mode inversé. Celui-ci permet d'inverser les contrastes lorsque la lumière est trop intense.

A gauche, ce que filme la caméra installée sur les lunettes, à droite ce que voit réellement le patient.

C'est cette phase de rééducation que Claude juge la plus dure. Quand il y a environ cinq ans, le professeur qui le suit à Nice lui parle de cette opération, lui et sa famille n'hésitent pas un instant. "Il y avait tout à gagner, ça ne pouvait pas être pire", assurent ses enfants, Aurélie et Julien, toujours très présents auprès de leur papa. L'agriculteur du Vaucluse candidate au protocole mais se fait recaler par deux fois. La troisième sera la bonne. Ni l'opération, qui dure tout de même quatre heures, ni les nombreux allers-retours entre Avignon et Paris ne lui font peur. Le jeune retraité attend désormais avec impatience la fin de la rééducation pour profiter de son implant au mieux.

Certains patients implantés depuis plus longtemps que Claude peuvent obtenir des résultats assez incroyables. Les vidéos ci-dessous montrent par exemple le cas de Jeroen. Ce patient néerlandais de 36 ans, opéré il y a deux ans, a pu reprendre des activités qui étaient devenues complètement inaccessibles. Aujourd'hui, il peut notamment tirer à l'arc ou faire du ski. "Lorsque je suis devenu aveugle, qui aurait cru qu'un jour je pourrais jouer à Robin des Bois?", s'amuse-t-il. "Me rendre dans un bar me procure beaucoup d'émotions. Etre capable de voir les lumières, la silhouette des gens, c'est formidable", ajoute-t-il également.

Cela fait désormais un peu moins de dix ans que le système mis au point par Second Sight est posé sur des patients. Une période qui permet d'avoir un certain recul sur le bénéfice des opérations. Grégoire Consendai, vice-président Europe de Second Sight, explique au HuffPost qu'il y a deux paramètres à prendre en compte pour évaluer ce bénéfice.

"On mesure d'abord la fonction visuelle, un peu comme les tests que vous faites chez l'ophtalmo, mais adaptés à une vision très basse. On estime que 96% des patients ont un bénéfice de fonction visuelle, dont 60% ont un bénéfice moyen, c'est-à-dire qu'ils voient, par exemple, les mouvements de leurs mains", détaille-t-il. "On évalue ensuite la manière dont les gens intègrent le système à la vie quotidienne. C'est ce qu'on appelle la vision fonctionnelle et 77% des patients intègrent le dispositif de manière utile. C'est-à-dire arriver à suivre les lignes au sol, repérer les passages piétons etc.", poursuit-il, indiquant que le gain d'autonomie est la priorité.

Une centaine de patients dans le monde

Cette prouesse technologique, qui concerne seulement une centaine de patients à travers le monde pour le moment, a un prix. Entre la prothèse, l'opération et le suivi, "il faut compter environ 95.000 euros", indique Grégoire Consendai. Claude lui a été le premier en France a bénéficié du "Forfait innovation".

Cette mesure, mise en place par le ministère de la Santé en 2011 et développée par Marisol Touraine, permet à des patients d'accéder plus facilement à des innovations technologiques onéreuses en prenant en charge les frais liés au dispositif. Grâce à ce forfait, 36 patients au total devraient recevoir la prothèse Argus II, les opérations se déroulant dans trois hôpitaux associés: les Quinze-Vingts à Paris et les CHU de Bordeaux et Strasbourg. La première moitié des patients opérés sera par ailleurs associée à un projet de recherche afin de mieux évaluer les performances de l'implant.

Grégoire Consendai ne manque pas de louer cette initiative. "La France est un des seuls pays au monde à avoir un tel système. En Allemagne, il y a bien un dispositif similaire mais il est tout de même plus complexe. Il est très important qu'il y ait de plus en plus de pays qui mettent en place de tels forfaits. C'est important pour les patients, bien sûr, mais aussi pour nous industriels, pour pouvoir développer nos produits et surtout les améliorer", juge-t-il.

D'autres horizons en vue

Avant d'être associée à la mesure gouvernementale, l'entreprise Second Sight a pourtant dû livrer "une bataille difficile", selon les mots de son vice-président Europe. En effet, obtenir les autorisations de mise sur le marché en Europe et aux États-Unis n'a pas été une mince affaire. "En l'absence de données et de recul, les autorités peuvent faire preuve de frilosité face aux innovations. Mais on comprend leur position. C'est à nous de convaincre que le système est suffisamment sûr et efficace pour être autorisé", estime Grégoire Cosendai.

Aujourd'hui, les études de Second Sight se poursuivent pour élargir le champ d'application des prothèses de l'œil. Un essai clinique se déroule actuellement à l'Université de Manchester pour essayer d'adapter Argus II à une autre maladie plus répandue que la rétinite pigmentaire, la dégénérescence maculaire liée à l'âge ou DMLA. Si la première pathologie concerne 1,5 million de personnes dans le monde, ce sont entre 20 et 25 millions de personnes qui sont touchées par la DMLA selon Second Sight.

Un autre implant, la prothèse corticale Orion, est également à l'étude. Posée sur l'aire visuelle du cerveau, elle permettrait, par des stimulations électriques, de remédier aux problèmes de "communication" entre le cerveau et les yeux, en cas de nerf optique endommagé (ce qui peut arriver après un glaucome ou certains accidents). "Orion a été implantée de manière fiable chez des animaux et nous espérons les autorisations pour poursuivre l'étude sur l'homme cette année", précise Grégoire Consendai. Des pistes qui sont autant d'espoir pour les aveugles et déficients visuels qui bénéficieront peut-être un jour, comme Claude, d'un "œil bionique" qui leur changera la vie.

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