La célèbre Flore laurentienne du frère Marie-Victorin aura 80 ans le 1er avril. Il s'agit d'un livre phare dans l'histoire des sciences au Québec, une œuvre monumentale qu'on peut encore lire et utiliser aujourd'hui.
Un texte de Yanick Villedieu
L'ouvrage impressionne. Avec ses 917 pages grand format, ses 22 cartes et ses 2800 dessins, il est le fruit d'une trentaine d'années de travail. Marie-Victorin et ses collaborateurs ont en effet recueilli, classé, caractérisé des dizaines de milliers de spécimens pour dresser ce panorama détaillé de la flore du sud du Québec. Une flore qui couvre un territoire allant de l'Outaouais au Bas-du-Fleuve, de la frontière américaine à l'Abitibi et au lac Saint-Jean et Saguenay - donc, ce qu'on peut appeler la Laurentie, un découpage, il est vrai, plus politique que géologique ou botanique.
Ce qui est aussi remarquable de cette flore, c'est que, pour l'époque, elle était très bien illustrée. Savante (noms latins des plantes, descriptions précises, termes techniques précis en français, classifications, etc.), elle était aussi vulgarisée.
Pas étonnant qu'elle ait connu une « carrière » exceptionnelle pour un livre de cette nature : après la première édition de 1935, elle a eu une deuxième édition, avec des mises à jour, en 1964, puis une troisième, en 1995. Elle est toujours disponible aux Presses de l'Université de Montréal. Et elle est partiellement en ligne sur le site www.florelaurentienne.com.
La Flore laurentienne a un caractère tout à fait inusité de par ses commentaires ethnobotaniques et écologiques, selon le botaniste et conservateur de l'Herbier Marie-Victorin de l'Université de Montréal, Luc Brouillet.
Grand botaniste, Marie-Victorin a été plus qu'un scientifique. Il a aussi été un bâtisseur, notamment du Jardin botanique de Montréal, son autre grande réalisation avec sa Flore laurentienne.
Plus encore, il a aussi été un bâtisseur de la communauté scientifique canadienne-française. Professeur à l'Université de Montréal dès 1920 (quand l'université s'affranchit de la tutelle de l'Université Laval, dont elle était une succursale), il a fondé l'Institut botanique, en 1922, puis cofondé l'ACFAS, en 1923. Rappelons que l'ACFAS, l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences, a été à l'avant-garde de la formation d'une culture et d'une élite scientifiques de langue française. Toujours dans le but d'éveiller les jeunes à la science, l'inlassable frère des écoles chrétiennes a aussi été le promoteur des cercles des jeunes naturalistes, au début des années 30, un mouvement qui compta rapidement des dizaines de milliers de membres.
Marie-Victorin a été un environnementaliste avant le mot, préoccupé au premier chef par la conservation de la nature et de ses ressources, selon René Audet, qui dirige l'Institut des sciences de l'environnement de l'Université du Québec à Montréal.
Figure intellectuelle majeure de l'entre-deux-guerres, Marie-Victorin a été un précurseur de la modernité et de la Révolution tranquille. En formant une génération de chercheurs influents, dont l'écologiste Pierre Dansereau. En affirmant que l'avenir du Québec passait par l'éducation, la science et la recherche. Et en se faisant le champion de l'ouverture au monde du Québec; pas du repli sur soi, comme l'explique Yves Gingras, historien des sciences à l'Université du Québec à Montréal.
Né en 1885, Conrad Kirouac, dit frère Marie-Victorin, est mort en 1944 dans un accident d'auto. Il avait 59 ans.
On peut écouter deux de ses conférences présentées en 1943 dans son émission La cité des plantes, à Radio-Collège, sur les ondes de Radio-Canada.
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