Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

«100% Lemire» ou Daniel Lemire en toute lucidité

Daniel Lemire : en toute lucidité
Courtoisie Tandem

Quand Daniel Lemire poussait ses premiers gags, aux Lundis des Ha ! Ha !, il y a 30 ans et des poussières, encore bien peu d’humoristes jouaient du coude pour se tailler une place au soleil. Pierre Verville, André-Philippe Gagnon, Michel Barrette, Ding et Dong, le Groupe sanguin, et les jeunes baveux de Rock et Belles Oreilles étaient les principaux combattants dans l’arène, et celle-ci était encore suffisamment grande pour accueillir tous ces jeunes talents. Depuis, le paysage s’est passablement élargi et l’horizon s’est approfondi, à un point tel qu’on peut se demander si l’offre ne dépasse pas la demande.

Mais, pour celui qui s’amène ces jours-ci avec son 10e one man show, 100% Lemire, peu de choses ont bougé. Certes, ses tournées se sont raccourcies, en passant d’environ 120 à 60 prestations par année. Un choix du principal intéressé, qui reconnaît sans amertume que «le marché n’est plus le même», qu’il est «beaucoup moins présent et plus dans la même situation», et qu’il y en a maintenant «des plus jeunes et des plus fous». «C’est la vie, et je suis bien content pour eux, lance-t-il. Moi, je ne le referais pas, de toute façon. Ça ne me manque pas.»

Pour le reste, Daniel Lemire demeure toujours le même. Son timbre de voix reconnaissable entre mille, les «à un moment donné» qui parsèment sans cesse ses propos, ses fins de phrases qui se muent en début d’éclat de rire, la résonnance est pareille à nos oreilles. L’œil vif, il observe l’actualité avec la même acuité qu’à ses débuts, offre un point de vue lucide et intelligent sur les événements, tout en nuançant constamment ses affirmations d’une grande lampée d’humilité. L’auteure de ces lignes, qui a sensiblement le même âge que la carrière de l’homme, l’aurait écouté pendant des heures au bout du fil. On aimerait lire ses éditoriaux dans un grand quotidien ou sur un blogue, se surprend-on à penser en discutant avec lui. Ou, encore, l’entendre donner son opinion à la radio ou à la télévision. Or, le sage Lemire préfère se concentrer sur ce qu’il adore, dérider les foules. Même si le trac lui déchire encore les entrailles à chaque fois qu’il entame l’aventure d’un nouveau spectacle. Comme aujourd’hui.

«Il n’y a rien de pire que ça, juge-t-il. C’est un mauvais moment à passer, comme on dit! (rires) C’est très dur sur les nerfs. Quand le spectacle est rodé, il y a une fébrilité, mais je ne suis plus nerveux au point d’être malade avant d’entrer en scène. La demi-heure avant, c’est l’un des pires moments, mais quand tu es devant les gens et que tu les fais rire, c’est un feeling qui est dur à battre!»

Cynisme et austérité

Daniel Lemire a pris beaucoup de notes depuis la fin de sa dernière tournée, qui coïncidait avec le printemps érable de 2012. 100% Lemire, dont la mise en scène est assurée par Denis Bouchard, reflétera donc ses préoccupations politiques et sociales de l’instant, arrosées de son habituel ton caustique.

«On ne réinvente pas la roue, avise-t-il. Je reste fidèle à ce que j’ai toujours fait. L’écriture est un peu différente, la manière de voir la vie aussi, mais on s’entend que ce n’est pas un show du Cirque du Soleil! (rires) C’est axé sur le contenu, les textes, avec, évidemment, quelques personnages connus.»

Ainsi, Oncle Georges se spécialise désormais dans le coaching de vie et les séances de yoga, non pas parce qu’il a pris de la maturité, mais parce qu’il a vu là un créneau payant, et Ronnie s’intéresse à la légalisation de la marijuana. Dans ses portions de stand up, Daniel Lemire se promet d’écorcher les politiques d’austérité du gouvernement Couillard, qu’il perçoit comme une «aberration totale».

«Je trouve ça assez étonnant. D’autant plus que ce sont les libéraux qui ont gaspillé le plus ! C’a été prouvé, un peu partout dans le monde, que ce n’est pas une bonne idée. Ça installe un climat de grisaille. J’avais le goût de rire de ça.»

Les croyances conservatrices des sénateurs américains et des troupes de Stephen Harper, de même qu’Yves Bolduc et sa prime de départ, devraient également y goûter joyeusement.

«Les politiciens blâment souvent les humoristes et les caricaturistes de contribuer au cynisme vis-à-vis eux. J’aurais le goût de leur dire : je m’excuse, mais on peut difficilement faire une meilleure job que vous! (rires)»

Sévère envers ceux qui dirigent, Daniel Lemire voit-il Infoman comme sa digne descendance, le nouveau porteur du flambeau d’un style qu’il a participé à imposer? Sa modestie, encore une fois, prend la parole à sa place.

«C’est plus fort que ça, je trouve. Jean-René Dufort a vraiment une formation de journaliste ; moi, ce n’est pas nécessairement le cas, et le gag a plus d’importance. Il y a un côté informatif important dans Infoman, ce n’est pas fictif du tout. C’est l’une des meilleures émissions d’information en ondes actuellement! (rires) La recherche est rigoureuse. Chaque fois, il met le doigt sur ce qui cloche, et ce n’est jamais démagogue. Il a tellement le tour que même ses victimes ne peuvent pas être fâchées!»

Comme en 1970

Daniel Lemire aimerait-il revoir le Québec descendre dans la rue comme il y a trois ans et manifester haut et fort son insatisfaction envers le Parti libéral? Pas à tout prix.

«C’est bon signe que les gens réagissent, estime-t-il. En même temps, taper de la casserole tous les soirs…(rires) Mon humble analyse, c’est qu’il n’y a aucun parti politique qui a cristallisé la grogne de 2012. Ç’a comme tombé. Il continue d’y avoir des assemblées de quartiers, ç’a politisé des gens, mais c’est très underground. On ne le sent pas concrètement. Et les médias se font un devoir de ne pas trop en parler…»

«Au début des années 1970, le contexte était un peu le même, se souvient le comique. Les libéraux étaient revenus au pouvoir malgré l’enquête sur le crime organisé et il régnait un climat de corruption terrible, avant que le Parti Québécois ne prenne le pouvoir. Ça ressemble un peu à cette époque-là. Mais le PQ cristallisait l’insatisfaction du peuple. Alors qu’en ce moment, il n’y a pas vraiment de mouvement auquel on peut s’identifier…»

«Québec solidaire?», lui suggère-t-on.

«Ce n’est pas un parti si organisé que ça, répond Lemire. Ils ont quelques vedettes, mais ce n’est pas comme le PQ qui, à l’époque, était un club d’étoiles : Camille Laurin, Jacques-Yvan Morin, Claude Charron, Robert Burns, Lise Payette… En ce moment, c’est plus mollo. On n’est pas en guerre civile, mais on a le droit, en tant que citoyens, de se dire que ça n’a pas de bon sens.»

On le répète, on aimerait que Daniel Lemire ait une tribune bien à lui, à rayonnement plus vaste que la scène, pour cogiter à voix haute. Mais l’as communicateur est réaliste. Il a quelques idées de sitcoms pour le petit écran dans ses cartons, mais garde en tête que les diffuseurs reçoivent des tonnes de propositions, jusqu’à dresser «des piles qui vont jusqu’au plafond» sur leurs bureaux. Il apprécie les rendez-vous radiophoniques comme La soirée est (encore) jeune, mais se reconnaît peu dans le contenu des antennes commerciales, qu’il considère «compressées» et où pullulent les publicités. «Je sais que ç’a été une grande mode, qu’à un moment donné, tout le monde s’en allait à la radio, mais moi, me lever à trois heures du matin pour animer… Pas sûr que je ne me serais pas ouvert les veines la première semaine! (rires) Ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, même si c’est un médium que j’aime beaucoup.»

Serait-il prêt, un jour, à faire lui-même le saut en politique? Il n’a jamais reçu de demandes concrètes en ce sens, si ce n’est que des invitations à aller appuyer un candidat ça et là.

«Je pense qu’ils ont compris que j’avais plus ou moins d’intérêt à faire ça, hasarde Daniel Lemire. Par contre, ça m’intéresse. Il va falloir que des choses changent…»

Daniel Lemire présentera 100% Lemire en première montréalaise jeudi, à la salle Pierre-Mercure, puis à Québec, à la salle Albert-Rousseau, le 19 mars, avant de partir en tournée. Le calendrier complet est disponible au www.daniellemire.com.

INOLTRE SU HUFFPOST

Michel Barrette et compagnie - Juste une affaire de gars

11 spectacles d'humour à ne pas manquer en 2015

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.