Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Rendez-vous du cinéma québécois: jasette avec Xavier Dolan

Rendez-vous du cinéma québécois: jasette avec Xavier Dolan
Vivien Gaumand

Attendue, la Leçon de cinéma de Xavier Dolan aux Rendez-vous du cinéma québécois? Et comment. D’abord prévue à la Cinémathèque québécoise, la discussion avec le jeune surdoué du septième art, qui avait lieu jeudi, a finalement été relocalisée à la Maison Théâtre, rue Ontario, et des billets supplémentaires ont été mis en vente, car la demande était trop importante.

Le garçon de 25 ans a été accueilli par une chaleureuse ovation debout, et la séance de questions-réponses, animée par Marie-Louise Arsenault, n’a connu aucun temps mort. Suspendue aux lèvres du prodige adulé de partout, l’assistance l’a religieusement écouté raconter son parcours et détailler sa vision du métier, et s’est régalé de ses confidences pleines de candeur et de passion.

Voici quelques faits saillants de l’échange. Vendredi, Jean-Marc Vallée sera le dernier à se prêter au jeu de la Leçon de cinéma.

Ce que Xavier Dolan a dit sur…

Sa première expérience d’acteur

Xavier Dolan a joué pour la première fois devant la caméra à l’âge de quatre ans, dans la série Miséricorde, de Réjean Tremblay et Fabienne Larouche, réalisée par Jean Beaudin. Son père, Manuel Tadros, qu’on connaissait alors en tant que chanteur, n’avait lui-même pas encore décroché son premier contrat de comédien, dans Omertà, de Luc Dionne. Encore aujourd’hui, Xavier garde en tête des images du tournage de Miséricorde. «J’ai su dès que j’ai été sur un plateau que j’aimais cette atmosphère, s’est remémoré Xavier. J’ai eu une sorte de piqûre.» Son enfance dans le milieu de la télévision l’a amené à côtoyer beaucoup d’adultes, qui jasaient sans réserves devant lui de relations amoureuses et autres sujets de «grandes personnes», ce qui explique sa grande maturité.

Son bagage de cinéphile

Xavier Dolan ne fréquentait pas les cinémas de répertoire avec ses parents quand il était petit. Au contraire, il nomme Matilda et Jumanji quand on lui demande quels films ont bercé sa jeunesse.

«Mon père m’emmenait voir des films qui n’étaient pas de mon âge, et ma mère lui en voulait pour ça», a blagué Xavier, en citant à cet égard Die Hard et Terminator.

Quelques mois avant d’entamer l’aventure Mommy, il a vu pour la première fois le classique québécois Les bons débarras, de Francis Mankiewicz. La déclaration d’amour de la jeune Charlotte Laurier à sa mère, interprétée par Marie Tifo, a inspiré à Xavier la tirade d’Anne Dorval sur l’espoir, à la fin de Mommy.

Il a évidemment été question de Titanic, long-métrage qui a véritablement éveillé Xavier Dolan aux beautés du grand écran. Le gamin de 8 ans était allé voir l’œuvre de James Cameron au cinéma Le Parisien, avec sa mère, un soir de tempête de neige de décembre. «Toutes les ambitions de ce film sont plus grandes que nature», a dit Xavier, pour expliquer comment Titanic lui a donné envie de rêver grand. C’est aussi grâce à Titanic qu’il a développé une fascination pour les personnages féminins étoffés.

Le financement de son premier film, J’ai tué ma mère

À 18 ans, déjà déterminé à faire carrière comme acteur et réalisateur, Xavier n’a pas ressenti le besoin de passer par l’école des court-métrages pour assimiler les rouages de sa profession. «Je savais que les idées que j’avais étaient formatées pour le long format», a-t-il justifié.

Afin de trouver les sous pour financer J’ai tué ma mère, Xavier a «beaucoup surfé sur Desjardins.com», de son propre aveu! Alors qu’il croyait avoir accumulé 60 000$ avec ses engagements d’enfant-acteur, il a «découvert dans un onglet inexploré des fonds cachés, un trésor». C’était en septembre 2008. Son conseiller financier aurait bien voulu lui accorder plutôt un prêt sur ses placements, mais notre jeune entêté a refusé. Il a ensuite investi entre 150 000 et 175 000$ de son propre argent dans la production de J’ai tué ma mère. «Jean Coutu!», a-t-il lancé jeudi, sous les rires de la foule, en faisant référence à la campagne de publicité qui le mettait en vedette à la fin des années 1990 et qui lui a permis de se monter un joli pécule. «J’avais 19 ans, j’avais compris que c’était ma seule passion, ma seule carte à jouer. J’ai compris que si je ne me battais pas pour avoir ma place, celle-ci ne tomberait pas du ciel.» Pour faire sa place, il a donc misé sur sa passion plutôt que «sur un condo ou sur un char», a abandonné ses études collégiales et a mangé du Kraft Dinner pendant plusieurs mois. «J’ai juste un secondaire 5, mais il fallait tout gambler.»

La réaction de sa mère devant J’ai tué ma mère

«J’en ai très courtement parlé avec ma mère. On a très peu parlé de J’ai tué ma mère ensemble. Dans l’intimité, on s’est dit des choses qu’il ne serait pas approprié de dire ce soir, mais on n’en a pas parlé très longuement.»

Y a-t-il des scènes de J’ai tué ma mère que Xavier aimerait refaire, aujourd’hui? «Toutes, a avoué le cinéaste. Il y a des trucs qui étaient sincères dans J’ai tué ma mère, et je vois encore leurs qualités aujourd’hui, mais beaucoup de scènes me tapent royalement sur les nerfs. La lumière, le cadrage, le jeu, le mouvement de caméras, il y a beaucoup de choses que je répudie… Par contre, je ne le referais pas, mais je ne changerais pas ce film-là non plus!»

Les thèmes de ses films

N’ayant jamais aspiré à bâtir un scénario autour d’un vol de banque ou autre fantaisie irréaliste, Xavier Dolan préfère écrire sur ce qu’il connaît : les amours illusoires, superficiels, impossibles. «Je préfère rester dans un giron qui ne m’est pas complètement inconnu pour ne pas me casser la gueule.» Plus il vieillit, plus les protagonistes de ses fictions vieillissent aussi et, chaque fois, le canevas s’articule autour de la même dynamique : «Les gens se rencontrent, évoluent, s’apprivoisent, rencontrent des difficultés, les surmontent, puis sont séparés par la vie. Ça donne un film entre 1h30 et 2h30, selon le producteur que tu es!» Il en a été ainsi pour ses cinq offrandes, J’ai tué ma mère, Les amours imaginaires, Laurence Anyways, Tom à la ferme et Mommy.

Le jeu versus la réalisation

«Ce que le réalisateur a appris sert l’acteur, et ce que le réalisateur fait est nourri par l’acteur». Voilà comment Xavier Dolan résume la dualité acteur-réalisateur qui se confronte en lui. «Il n’y a jamais eu de division cervicale entre le réalisateur et l’acteur. Ça n’a jamais été un désavantage ou une complexité. C’est assez homogène, je ne me pose pas de questions.»

«Réaliser, c’est libérer un concept ou une idée, et jouer, c’est te libérer, toi. L’un me fait beaucoup de bien, et l’autre ne me fait pas nécessairement du bien, mais fait en sorte que je m’exprime. Même dans la réalisation, ce qui m’importe le plus, c’est le jeu, la construction d’un univers par les acteurs. Je ne pense pas, jamais, arrêter de faire l’un ou l’autre.»

Lorsqu’il a fait ses premiers films, Xavier avait tendance à s’effacer comme acteur et à ne conserver que quelques minutes, à la fin de la journée, pour le tournage de ses propres plans. Il affirme avoir beaucoup regardé ses acteurs à l’œuvre dans Laurence Anyways. Et s’il est capable de s’autocritiquer malgré le succès qui lui colle à la peau, c’est parce qu’il sait s’allier la collaboration de gens qui sont honnêtes avec lui.

«Je me suis entouré d’une dizaine de personnes qui défilent dans la salle de montage, qui n’ont pas peur de me faire de la peine, que j’admire, qui sont talentueux, qui sont de vrais amis, et qui sont capables de me dire que ça, c’est bon, ou ça, c’est de la merde.»

Les femmes dans ses films

Xavier Dolan a été très influencé par le sexe féminin dans sa vie, a grandi entouré de sa mère, ses tantes, ses grand-mères. C’est pourquoi il célèbre la femme à chaque fois qu’il en a l’occasion. «Il y a plusieurs types de protagonistes dans les différentes structures narratives, films, romans, etc., mais moi, c’est dans celui de la femme, plus précisément de la mère, que je me projette le plus. Je suis une femme de 45 ans, dans ma tête! (rires)» Die, dans Mommy, c’est un peu la vraie maman de Xavier Dolan. «Je revois ma mère monoparentale dans la même banlieue qu’on a tourné Mommy, pas dans les mêmes conditions sociales, mais ce sont avec ces choses-là que j’écris. Même un personnage de manager de star américaine à New York, je l’écris à travers moi, ma mère, mon enfance. J’écris comme parleraient, marcheraient, pleureraient les femmes de mon enfance.»

«J’ai une fascination pour les individus qui se définissent à travers leur vision du monde, et la vision que le monde a d’eux, les gens marginalisés versus ceux qui se réclament être de la norme. J’essaie de comprendre ce qui fait qu’on a peur de ce qui est différent, pourquoi on l’ostracise et on le rejette. Il y a de fortes chances que mes films portent là-dessus jusqu’à la fin de mes temps.»

Anne Dorval et Suzanne Clément

De ses deux muses, Anne Dorval et Suzanne Clément, Xavier dit qu’il a imaginé Mommy pour elles. «Ce que j’admire le plus chez les acteurs, c’est la créativité, le caractère, la personnalité. On accorde souvent de l’importance aux qualités émotives sans se demander si l’acteur propose quelque chose, s’il a une compréhension du personnage. Anne et Suzanne pensent aux cheveux, aux ongles, à la démarche, au passé, au futur du personnage, elles ont un amour du détail. Avoir une opinion sur les détails, c’est la plus grande qualité qu’un acteur puisse avoir, tout comme avoir des idées et être capable de les proposer. Ce n’est pas d’être capable de pleurer!»

La musique dans ses films

«La musique, c’est le cœur et l’âme d’un film», croit Xavier Dolan. Voilà pourquoi il choisit des chansons qu’il aime et qu’il n’estime pas particulièrement audacieuses pour porter ses histoires. «J’aime toutes les sortes de musiques, du classique à la pop au rap…» On ne change pas, de Céline Dion, sur laquelle le trio de Mommy s’époumone à danser, est un morceau qu’il a beaucoup écouté en grandissant. «Pour moi, mettre une chanson de Céline Dion, ce n’est pas folklorique, ce n’est pas de me moquer de mes personnages.»

L’impact politique et social de ses films

«Je ne pense pas qu’un film puisse être drivé par une allégeance ou un mouvement politique. Il y a une histoire, des personnages, et c’est ce qui compte. Je n’ai jamais réalisé Laurence Anyways en me demandant ce qu’allait en penser la communauté LGBT. Ce qui m’importe, c’est ce que le reste du monde va en penser. C’est pour cette raison que je me suis distancié de certaines récompenses ou étiquettes, qui auraient catégorisé mes films.»

Sa rencontre avec sa productrice actuelle, Nancy Grant

Xavier a relaté pour la première fois la très cocasse anecdote de sa rencontre avec sa productrice actuelle, Nancy Grant, au Festival de Cannes, en 2012, alors qu’il défendait son film Laurence Anyways. Lors d’une soirée, Nancy accompagnait un bel homme qui discutait avec beaucoup d’enthousiasme avec Xavier. «Je croyais qu’il était de mon bord, a évoqué Xavier. Il était

efféminé… Mais finalement, c’était juste un Français!» Séduit, Xavier flirtait abondamment avec l’inconnu et invitait Nancy, avec subtilité mais beaucoup d’insistance, à s’en aller, allant même jusqu’à lui proposer de lui payer un taxi. «Je n’avais pas eu l’intelligence et la délicatesse de comprendre qu’il y avait un lien entre les deux, a reconnu Xavier. Au final, je trouve ça assez charmant comme contexte de rencontre!» Depuis, Xavier et Nancy ont travaillé ensemble au vidéoclip d’Indochine, College Boy, Tom à la ferme et Mommy. «On a une relation très proximale, très proche, on est meilleurs amis, j’imagine, on a une grande connaissance l’un de l’autre…»

Son prochain film, The death and life of John F. Donovan

Le prochain film de Xavier, en anglais, sera tourné aux États-Unis et à Londres, et s’appuiera sur de grandes têtes d’affiche, Susan Sarandon, Jessica Chastain, Kit Harrington et Kathy Bates. «Susan Sarandon et Anne Dorval sont, pour moi, deux grandes actrices, a mentionné Xavier. Je compte travailler avec la même intensité, le même rapport.» S’agit-il à ses yeux d’un film dit «indépendant»? «Je ne sais pas ce que ça veut dire, a-t-il répondu, sincère. Ce n’est pas un film financé par un studio. Mais c’est un film qui veut fonctionner, être commercial, pas pour les mauvaises raisons… Pour moi, ni l’un ni l’autre n’est péjoratif.» Cette étape importante teintera-t-elle la suite de son cheminement professionnel? Prévoit-il s’installer définitivement aux États-Unis?

«Pour moi, c’est juste un film en anglais. J’ai trois ou quatre projets de films en français que j’ai hâte de faire, mais mon prochain porte sur la célébrité et le star système. Je ne pourrais pas faire un film sur les paparazzis québécois! C’est juste une question de langue…»

INOLTRE SU HUFFPOST

DEUX JOURS, UNE NUIT

Films de la semaine - 9 janvier 2015

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.