Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

La juge a erré en refusant d'entendre une musulmane voilée, disent les partis fédéraux

La juge a erré en refusant d'entendre une musulmane voilée, estiment les partis fédéraux

Les trois grands partis politiques fédéraux estiment que la juge Eliana Marengo, de la Cour du Québec, a erré en refusant d'entendre la cause d'une musulmane au motif qu'elle portait un hijab au tribunal.

« Je crois qu'il s'agit d'une mauvaise décision », a déclaré le chef néo-démocrate, Thomas Mulcair, vendredi matin, au cours d'une mêlée de presse dans une garderie de Toronto.

« Je crois que cette histoire a été mal gérée et je suis persuadé que cette personne pourra tout à la fois porter un hijab et plaider sa cause au tribunal. Cela concerne simplement les droits de cette personne, comme Canadienne », a affirmé le leader néo-démocrate.

« C'est une situation inacceptable », a pour sa part commenté le chef libéral, Justin Trudeau, lors d'une conférence de presse donnée au terme d'une allocution prononcée devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

« Au Canada, on protège les droits des minorités. Nous sommes un pays reconnu pour sa diversité et ça fonctionne justement parce que nous protégeons les droits individuels et quiconque se présente, surtout devant les tribunaux, doit pouvoir s'attendre à ce que ses droits soient respectés », a-t-il fait valoir.

« J'ai confiance que notre système de justice et les autorités appropriées vont se pencher là-dessus », a-t-il conclu à ce sujet.

Le premier ministre s'est aussi prononcé sur l'incident par l'entremise de son directeur des communications. Tout comme MM. Mulcair et Trudeau, Stephen Harper estime que si une personne n'a pas le visage voilé, elle doit être autorisée à témoigner en cour.

Couillard « un peu perturbé »

En matinée, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a admis que cette décision de la juge Marengo le dérangeait, mais il est demeuré prudent dans ses commentaires.

« Je n'irai pas plus loin que de dire que cette décision me perturbe un peu. Mais je n'irai pas plus loin que ça, parce qu'on parle de la cour, on parle du tribunal, on parle de la souveraineté d'un juge dans sa salle d'audience », a-t-il déclaré lors de la conférence de presse donnée dans la foulée du miniremaniement ministériel engendré par le départ d'Yves Bolduc.

Il a cependant rappelé la position de son gouvernement en matière de laïcité. « Nous sommes profondément convaincus que la seule limitation justifiable sur cette question des signes religieux est liée à la communication, à l'identification et à la sécurité. Il n'y a pas d'autre façon de justifier une atteinte aux libertés », a-t-il dit.

L'opposition péquiste, qui harcèle sans relâche le gouvernement pour qu'il fixe des règles sur les accommodements religieux, a saisi l'occasion pour jeter le blâme sur les libéraux.

« C'est malheureusement ce qui arrive lorsqu'il n'y a aucune balise ou règle claire. Le gouvernement doit sortir de son malaise et agir rapidement afin de clarifier les choses », a souligné, sans se prononcer sur le fond de la question, la porte-parole du Parti québécois en matière de laïcité, Agnès Maltais.

Charles Taylor dénonce une décision aberrante

Le philosophe Charles Taylor, qui a coprésidé la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, a qualifié « d'aberrante » la décision de la juge.

« Dans le contexte actuel, c'est extrêmement négatif », a-t-il déclaré sur les ondes de Radio-Canada, faisant référence à la montée actuelle du djihadisme. Ce genre de décision ne fait qu'« attiser le sentiment antimusulman qui mélange terroristes et hyperpratiquants », estime M. Taylor.

Or, « il ne faut pas faire l'amalgame entre tous les musulmans », a rappelé le philosophe, et c'est aux leaders politiques de véhiculer ce message d'inclusion, a-t-il poursuivi. « Il faut s'abstenir d'alimenter cette impression que les musulmans ne sont pas acceptés ici. »

Selon M. Taylor, le Parti conservateur et le Bloc québécois ont plutôt tendance à profiter du climat de méfiance à des fins politiques. « Ce n'est pas du tout ce qu'il faut faire en ce moment, a prévenu M. Taylor, inquiet. Il faut renverser ce climat. »

Une décision qui fait fi des jugements de la Cour suprême, selon un expert

Pour Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public, la juge Marengo semble avoir tout simplement ignoré les plus récents jugements de la Cour suprême abordant la question du port de signes religieux devant les tribunaux.

« On peut effectivement se demander si la juge n'a pas oublié les décisions de la Cour suprême, la démarche que la Cour a prescrite. »

— Pierre Trudel, professeur titulaire au Centre de recherche en droit public

« A priori, la juge aurait eu avantage à regarder les décisions de la Cour suprême du Canada, qui ont prescrit aux juges de première instance [...] une grille de raisonnement pour déterminer si oui ou non quelqu'un peut être autorisé à porter un vêtement qui est un signe religieux », a-t-il commenté dans le cadre de l'émission Sous la loupe.

« Depuis au moins une dizaine d'années, la Cour suprême l'a rappelé à plusieurs reprises : on ne peut plus simplement dire "c'est contraire au décorum". Dès lors que quelqu'un exprime qu'il porte un vêtement pour des raisons de conviction religieuse, le devoir du juge, comme le dit la Cour suprême, c'est de se demander si c'est une croyance sincère. Et dans ce cas-ci, il n'y a pas de raison d'en douter », explique M. Trudel

« À partir de là, il faut se poser la question : est-ce qu'il y a d'autres droits qui pourraient être mis en péril si la personne porte ce vêtement? », poursuit le professeur. « Mais il y a quand même une obligation pour le juge d'examiner si [...] la règle qu'on veut imposer pour la forcer à enlever son vêtement est une règle qui est compatible avec la liberté de religion ».

« Dans ce cas-ci, d'après la transcription qu'on a, il n'y a rien de ça qui n'a été fait. La juge semble avoir évoqué simplement le décorum et le fait que c'est assimilable à porter des verres fumés ou une casquette. »

Mère monoparentale de trois enfants, Rania El-Alloul s'était présentée devant le tribunal afin de récupérer son véhicule, saisi par la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ).

La juge lui a fait remarquer à son arrivée à la barre que les tribunaux sont des lieux où les symboles religieux n'ont pas leur place. Elle a invoqué l'article 13 des règles de pratique de la Cour du Québec, qui statue que toute personne se présentant en cour doit être « convenablement vêtue ».

INOLTRE SU HUFFPOST

Architecture: La grande Mosquée de Kairouan

Des vestiges de l'âge d'or Islamique

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.