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Comment la cuisine asiatique s'est adaptée à nos palais occidentaux

Comment la cuisine asiatique s'est adaptée à nos palais occidentaux
Jean-François Mallet/Hachette Cuisine

Le menu, on le connaît avant même de passer la porte. C'est un rituel encore immuable. D'abord, se jeter sur les chips aux crevettes et les entendre pétiller sur sa langue. Commander des nems et essayer sans succès de les manger avec cette immense feuille de salade qui ne veut pas se plier. S'imaginer ensuite que l'on va réussir à manger avec des baguettes le petit plat de riz cantonais et l'assiette de poulet noix de cajou ou de bœuf citronnelle. Se jeter finalement sur la grosse cuillère bleue et blanche comme si notre vie en dépendait. S'il reste de la place, se brûler le palais avec des boules coco fumantes. Enfin, ne pas dire non au verre de saké pour se rincer l'œil sur une photo - souvent décevante - de maillot de bain des années 90.

On va chez "le Chinois" comme chez "l'arabe" qui tient une épicerie au coin de la rue. Mais au fait, c'est qui ce Chinois? Jean-François Mallet, photographe culinaire et fin connaisseur de la gastronomie asiatique a voulu répondre à cette question. Pendant plusieurs mois, il est allé à la rencontre des restaurateurs de Paris et de New York pour comprendre la cuisine de ces Chinatowns à des milliers de kilomètres de leur mère patrie. Il publie un livre sur ce qu'il a vu, ce qu'il a goûté et ce qu'il a compris de la cuisine asiatique.

Photo extraite de l'ouvrage Chinatowns de Jean-François Mallet chez Hachette Cuisine

Il n'est pas faux de parler de restaurant chinois

Nems, bœuf citronnelle, riz cantonais, la triade gagnante est un mélange pour les habitants de l'Asie du Sud-Est et de la Chine : "Ce repas équivaut en Europe à déguster un gaspacho andalou, un bœuf bourguignon, une part de pizza napolitaine et quelques harengs parfumés suédois" explique d'emblée Jean-François Mallet. Sous cette vague dénomination "chinois", de nombreuses traditions culinaires sont en fait liées : Vietnam, Thaïlande, Nord-Est, Sud-Est, Sud de la Chine ou encore Canton, la plupart du temps.

Mais attention, l'appellation "chinois" n'est pas complètement fausse : "J'ai été vraiment très surpris de constater que la grande majorité des restaurateurs que j'ai rencontrés en France et aux États-Unis étaient chinois, raconte Jean-François Mallet. S'ils étaient à la tête d'un restaurant vietnamien, cambodgien ou thaïlandais, c'est en fait qu'ils avaient vécu dans ces pays une partie de leur vie avant d'émigrer".

Une cuisine lissée

Moins épicée, moins gluante, la cuisine asiatique occidentalisée que Jean-François Mallet appelle "la cuisine de l'immigration" est bien plus lisse que sa grande sœur. Les abats ou les morceaux moins nobles de la viande, comme les pattes de poulet sont un met de choix en Chine. En France, c'est l'inverse, difficile par exemple de trouver des nids d'hirondelles, du concombre de mer ou des œufs de cent ans. Méduses et cuisses de grenouilles sont en revanche plus courantes aux cartes des restaurants français.

Un peu de méduse pour le déjeuner?

Autre différence majeure, pour plaire aux palais français, les restaurateurs ont dû créer entrées et desserts. "En Chine et en Asie du Sud-Est, les repas ne se séquencent pas comme en France. Les mets arrivent tous ensemble sur la table et sont partagés par tous les convives." Ces dernières années, le succès du Bo bun (voir la recette ci-dessous), cette salade tiède vietnamienne, plat repas où le nem est servi en morceaux, est la preuve que les Français commencent à se faire à de nouvelles traditions culinaires. Concernant les desserts, beignets de pomme et de bananes sont en fait de pures inventions occidentales. Le sucré se consomme par petites touches au cours du repas notamment en buvant un mélange de lait de coco, de châtaignes d'eau, de gélatine fluorescente et de haricots rouges ou blancs.

À New York, des pro du bouillon

À New York, l'accent est particulièrement mis sur les soupes qui se rapprochent fortement des plats d'origine. Ce type de restaurants sert ces bouillons en service continu du matin au soir. Les restaurateurs asiatiques new-yorkais sont aussi les champions de la cuisine fusion. "Le Vietnam n'a pas le même goût en France et aux États-Unis", rapporte Jean-François Mallet. En poussant la porte du restaurant Bo Ky à Chinatown, il découvre ainsi une soupe de riz au poisson mixant des traditions chinoises et vietnamiennes. La principale adaptation au goût américain s'est faite dans les quantités servies, là-bas, on ne multiplie pas les petites assiettées, "les portions sont bien plus importantes, à l'Américaine."

La soupe Pho

En bon occidental, le consommateur français a besoin de ses marqueurs "Asie" quand il passe la porte d'un de ces restaurants. Si par exemple, vous allez dans un restaurant thaïlandais, les baguettes ne sont pas de rigueur : "Toute l'Asie se sert de baguettes, à l'exception de la Thaïlande qui utilise une fourchette et une cuillère. Certains restaurants thaïlandais en France mettent cependant à disposition des baguettes, notamment à la demande des usagers pour qui Asie rime avec baguettes." Impensable aussi en Asie de boire du thé pendant le repas : "Il s'agit d'un lieu commun créé de toute pièce en France".

Mais l'image d'Epinal du restaurant chinois est en train de changer. "À Paris en particulier, les choses changent depuis plusieurs années. On voit de plus en plus de restaurants asiatiques authentiques s'ouvrir. On y mange une gastronomie qui ne diffère pas de celle que l'on trouve en Asie", remarque Jean-François Mallet. Des établissements comme "Les nouilles vivantes" dans le 9e arrondissement de Paris, où une ancienne radiologue de l'armée chinoise fabrique tous les jours ses pâtes qu'elle accommode de multiples façons. Un succès qui devrait nous faire arrêter de parler de nouilles chinoises.

"Nems" Pâtés impériaux

Des classiques asiatiques

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