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Sortie du roman «À l'état sauvage» : Robert Lalonde veut ébranler les lecteurs

«À l'état sauvage» : Robert Lalonde veut ébranler les lecteurs
Martine Doyon

Du passé au présent, un écrivain va de rencontre en rencontre, oscillant entre la mélancolie, la quiétude, l’émerveillement et la fragilité. Tel un recueil de nouvelles porté par le même personnage principal, le roman de Robert Lalonde, À l’état sauvage, nous ébranle dès les premières pages, en nous faisant connaître un petit garçon de neuf ans, dont l’esprit en a parfois 6, parfois 60, sorte de petit frère d’âme de l’écrivain en galère.

Au fil des pages de ce roman-mosaïque, Lalonde illustre les rapports que les hommes tissent entre eux (mentor, rival, amant, ami, disciple) et dépeint le va-et-vient des relations dans nos vies, avec une plume délicate, incisive, réconfortante, enveloppante et toujours stylisée.

Son personnage retrouve un collègue de classe qui « devait » être l’écrivain des deux; dévoile la relation amicale évanescente qu’il a nouée avec un amoureux de la nature, dont l’ardent désir de recommencement rappelle celui qu’il vit à travers ses livres; évoque sa rencontre fortuite avec un homme au cœur harnaché et relate la chimie presque instantanée qui s’est développée avec un adolescent, dont le diagnostic résumé en trois lettres (TDA) l’intéresse moins que sa passion pour les mots-mystères.

Un panorama d’humanité faisant écho à la nature profonde de Robert Lalonde. « Un ami me dit souvent que j’ai la passion des gens. Je ne suis pas très doué en matière d’amitié telle qu’on la conçoit, soit des relations suivies, avec qui on fait le point sur où on est dans la vie. Je privilégie les rencontres qui surgissent et qui n’ont pas toujours de suite. Quelques fois, j’ai l’impression qu’on a des relations plus profondes avec des étrangers qu’avec nos proches. C’est de cette idée que le roman est né. Le narrateur et les personnages ne correspondent pas tout à fait au cadre des rencontres habituelles. »

À travers les tranches d’histoire, le créateur illustre les effets nuisibles du carcan des relations et du bien-vivre en société. « Je sens une sorte d’amertume chez les personnes d’un certain âge et un sentiment de menace perpétuelle chez les jeunes, qui sentent la pression d’être "civilisés". Comme s’ils ne pouvaient pas vivre leurs rêves en étant conformes à ce qu’on attend d’eux. »

« Plusieurs personnes ont le sentiment d’avoir un peu trop obéi à des règles qui ne leur appartenaient pas, d’avoir fait un métier qui ne les intéressait pas et d’avoir mis des rêves de côté pour élever leur famille. On est censé vivre dans un pays dit très évolué et solide socialement, mais on ressent un inconfort monumental, à force de naviguer dans une vie remplie de dictats. »

Dictats du confort, de la sécurité et du bien-être, en opposition aux éléments proscrits que sont la souffrance et la non-conformité, aux yeux de l’écrivain. « Je suis ahuri de voir les recettes du bonheur, partout, qui incitent les gens à se comporter d’une façon ou d’une autre. Comme si on était des handicapés émotifs et qu’on se mettait à l’abri de chocs nécessaires pour avancer dans la vie. »

À l’image de son personnage, qui fait réaliser au jeune adolescent TDA que son « diagnostic » révèle quelque chose de bien plus profond à son sujet, Robert Lalonde croit que la mission de l’écrivain est de se glisser dans les endroits peu fréquentés et de dépasser les clichés.

« On ne peut pas se connaître et avancer dans la vie, sans subir le choc de certains éléments essentiels, qui donnent le vertige. Il faut sortir de cette psychologie primaire qui veut qu’on se préserve constamment. À force de se protéger de tous les dangers, la société ne bouge pas. Il faut de petites révolutions, du désir et de la colère, par moments. Sinon, on reste enfermé dans nos bulles, sans évoluer. »

L’homme de lettres affirme que certains auteurs ont osé se frotter aux textures parfois rugueuses de l’existence, citant en début de chapitres des phrases de Gorki, Tolstoï, Tchekhov et Dostoïevski. « Leurs œuvres impliquent des personnages complexes et plusieurs dimensions sur les mystères de la vie courante, où la douleur et la joie sont entremêlées. Ces auteurs ne sont pas là pour expliquer comment un personnage peut sortir du malheur ou donner des recettes pour vivre mieux. Mais ils nous apprennent beaucoup sur la vie, encore aujourd’hui. »

Depuis longtemps professeur de théâtre et de création littéraire, il contribue lui aussi à la transmission des savoirs. « Beaucoup d’élèves entrent dans mon bureau en me disant que ce qui se passe dans leur tête n’est pas possible et que le monde universitaire rigide de leur convient pas. Je les comprends! J’ai le même sentiment comme professeur, tant tout est codifié : la notation, le rapport entre les élèves, la charte de comportements des professeurs. Je passe pour un délinquant fini, parce que je secoue les gens et je leur demande ce qu’ils vivent vraiment. Je les amène à visiter des zones inconfortables. Soit ils y vont, soit ils optent pour la banalité. »

Robert Lalonde est souvent confronté à gens qui lui confient avoir de la difficulté à le lire, tant ses sujets leur apparaissent angoissants. « Il faut démystifier l’idée que la littérature est un loisir comme un autre et que l’art est une façon de faire un spectacle pour oublier qu’on est en train de couler. »

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