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Libération d'Auschwitz: l'horreur de la Shoah filmée par les Soviétiques, des images inédites à découvrir à Paris

Avant la libération d'Auschwitz, l'horreur de la Shoah filmée par les Soviétiques
© RGAKFD

Le portail du camp d'Auschwitz, dont on célèbre la libération ce mardi 27 janvier, est peut-être l'image qui revient le plus souvent lorsqu'on évoque la Shoah. Pourtant, la barbarie nazie ne s'est cantonnée ni à Auschwitz ni à une seule méthode d'extermination. C'est notamment ce que rappelle la nouvelle exposition du Mémorial de la Shoah, "Filmer la Guerre: les Soviétiques face à la Shoah", qui a ouvert ses portes vendredi 9 janvier.

Le Mémorial de la Shoah se penche sur cette question des images grâce aux films tournés par des opérateurs soviétiques sur les territoires libérés par l'Armée rouge. Entre 1941 et 1945, ces opérateurs, qui étaient près de 400, vont en effet découvrir et immortaliser avec leur caméra, non pas le génocide en lui-même, mais les traces que les Allemands n'ont pu effacer. "Les centaines d'images montrées dans cette exposition dévoilent l'ouverture des fosses et les traces d'exécutions de masse en Europe de l'Est, la libération des camps de concentration et d'extermination ainsi que de multiples procès et exécutions qui suivirent la Libération", détaille la présentation de l'événement.

Un véritable travail d'enquête

De ces images, très peu connues et quasiment pas exploitées depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le Mémorial a tiré 76 extraits qui jalonnent l'exposition. Un véritable travail de fourmis réalisé par les chercheurs qui ont planché sur le projet. "Les archives russes nous ont fourni gratuitement près de 9 heures de copies", raconte au HuffPost Alexandre Sumpf, maître de conférences en Histoire contemporaine à l'université de Strasbourg et un des commissaires de l'exposition.

"Notre travail a consisté à visionner des heures et des heures de rush sans son [absent par défaut de technique ou de matériel, ndlr]. C'est un travail d'enquête qui a permis de créer un corpus spécifique", détaille-t-il. Avec ses collègues, il lui faudra par exemple des mois pour comprendre le sens et le contexte de certains films. Cela a notamment été le cas avec les images de la fosse de Babi Yar en Ukraine où "il a fallu essayer de retrouver les dates, les identités des personnes présentes". Un exercice d'autant plus difficile que les archives militaires écrites ne sont toujours pas disponibles aujourd'hui.

Les opérateurs Rafaïl Guikov et Ilya Guttman apportent leurs bobines au studio de Moscou pour développement en 1943

Des images uniques mais omises

"Les Soviétiques ont pu fournir des images que personne d'autre n'a pu filmer", tient à souligner Alexandre Sumpf. "Ils ont été les seuls en mesure de filmer la Shoah sur leur territoire, notamment parce que les Anglo-saxons sont arrivés plus tard", ajoute-t-il. "Les Américains n'ont filmé qu'à partir de 1944 et seulement ce qu'ils ont pu, c'est-à-dire les camps de concentration comme Dachau, ils n'ont pas eu le temps d'aller très loin à l'Est", précise encore l'historien.

Si ces images sont si exceptionnelles, comment alors expliquer qu'elles ne nous soient pas parvenues? "Ce sont des films que le grand public n'a pas vus, notamment parce qu'ils n'ont pas intégré la mémoire internationale de la Shoah", analyse Alexandre Sumpf qui précise que jusqu'en 1944, les Soviétiques ne sont pas crus quant à ce qu'ils découvrent. Et cela s'explique de plusieurs manières.

Premièrement, "les Etats-Unis n'étaient pas prêts à admettre qu'il y avait un crime spécifique, contre les Juifs, au sein des crimes nazis", estime le chercheur. Ensuite, "ce sont les prémices de la Guerre froide et les Soviétiques sont soupçonnés de vouloir faire de la propagande". Enfin, "le film sur Katyn a jeté le discrédit sur les Soviétiques", ce qui ne joue pas en leur faveur. "La suspicion de l'opinion internationale vis-à-vis des images soviétiques s'installe après la sortie d'un film en mars 1944 d'un film qui impute aux nazis le massacre d'officiers polonais à Katyn, alors que la responsabilité de la police politique soviétique est déjà largement reconnue", rappelle ainsi le dossier de présentation de l'événement.

Roman Karmen filme des survivants du camp de Maidanek en août 1944.

Ambivalence soviétique

Si l'exposition met en lumière ces images oubliées, elle ne se veut pas pour autant "une exposition ou un cours sur la Shoah à l'Est à proprement parler", indique Alexandre Sumpf. "C'est plutôt un positionnement scientifique. On ne s'est pas servi des images pour illustrer mais on a réfléchi à la manière dont elles ont été utilisées en fonction des besoins de la propagande soviétique", résume-t-il.

Des images parfois ambivalentes, explique le commissaire. "Il y a une section fondamentale au cour de l'exposition, intitulée 'Judéité effacée?' et qui interroge la position ambivalente du pouvoir soviétique, gêné vis-à-vis du sort des juifs. La politique officielle était de ne pas distinguer les origines et les nationalités au sein du peuple soviétique afin de pouvoir affirmer que c'est le peuple soviétique dans son entier qui souffre. Dans le même temps, ce qui est filmé montre le contraire et ne peut être tu", commente-t-il précisant qu'"il n'y a toutefois pas eu de politique systématique de l'omission de la judéité".

"C'est une exposition qui ne se donne pas spontanément", concède Alexandre Sumpf. "Elle est difficile à saisir en une visite unique, il faut plutôt la fréquenter". Et les visiteurs auront du temps pour le faire, presque un an, puisque "Filmer la guerre" ne fermera ses portes que le 27 septembre 2015.

L'exposition "Filmer la guerre: les Soviétiques face à la Shoah" se structure autour de six séquences pédagogiques commentées par les commissaires de l'exposition. En exclusivité pour les lecteurs du HuffPost : la séquence pédagogique n° 5 portant, entre autres, sur la découverte du camp d’Auschwitz-Birkenau.

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