Comment éviter que le camp de concentration d'Auschwitz ne soit qu'une étape, parmi d'autres, d'un circuit touristique? Toute visite à Auschwitz laisse sa marque. Une profonde douleur, un sentiment de révolte devant une aussi ingénieuse machine à éliminer des humains.
Un texte de Raymond Saint-Pierre
Je m'y étais rendu il y a 20 ans, avec le réalisateur Georges Amar pour le 50e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz. À l'époque, il y avait encore des survivants qui faisaient des visites guidées des lieux : de longs hangars en bois où on entassait les prisonniers, les fours crématoires du centre d'extermination, des tonnes de bagages, de cheveux, de lunettes des victimes. L'atmosphère y était évidemment très lourde, solennelle.
Vingt ans plus tard, bien des gens se demandent si on n'est pas en train de dénaturer ce lieu de mémoire. Il y a maintenant un café pour les touristes, une boutique de souvenirs, des autobus par dizaines, surtout d'étudiants israéliens et polonais. De longues files de visiteurs s'entrecroisent, accompagnés de guides officiels.
Le journaliste Konstanty Gebert, que j'ai interviewé lors de mon passage en Pologne, en a long à dire sur le sujet.
« Tu entres sur les lieux au péril de ton âme. Tu entres seul, sans drapeau, sans signe [....] Et j'espère que tu sors terrifié, pas rassuré [en te disant] "J'ai vu le musée...". Que tu sortes terrifié. Parce que franchement, si on ne sort pas d'Auschwitz terrifié, Hitler a gagné! »
— Konstanty Gebert, journaliste
La disneylandisation du quartier juif de Cracovie
Le quartier juif de Cracovie, Kazimierz, est d'ailleurs une étape pour les touristes, à une soixantaine de kilomètres d'Auschwitz. En fait, les rues grouillent constamment de visiteurs. On y trouve des douzaines de restaurants juifs (non cachers). Des sept synagogues du quartier, seulement deux sont utilisées comme lieux de prières, encore là, très peu fréquentés.
Il y a de fausses devantures de boutique, pour recréer une atmosphère d'avant-guerre, quand il y avait 60 000 juifs dans ce quartier. Il en reste moins de 200 aujourd'hui.
On organise, depuis 1988, un festival culturel juif, où on entend de la musique juive traditionnelle; un événement très populaire.
Des résidents dénoncent ce qu'ils appellent la « disneylandisation » de leur quartier. Encore là, dans la communauté juive, on s'interroge. Est-ce qu'il ne vaut pas mieux recréer, même de façon bien artificielle, cette culture juive, pour qu'on n'oublie pas?
Dans cet environnement qui semble parfois factice, nous avons rencontré des jeunes Polonais qui viennent d'apprendre qu'ils sont d'origine juive. Leurs parents leur avaient caché ces origines, pour leur épargner les répressions qu'eux avaient vécues. Ils assument leur judéité et apprennent à pratiquer ouvertement la religion juive, souvent au grand dam de leurs parents. Et tout cela, à une soixantaine de kilomètres d'Auschwitz.
Le grand reportage de Raymond Saint-Pierre et Georges Amar sur les 70 ans de la libération d'Auschwitz est diffusé le 29 janvier sur ICI RDI.
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