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Le revenu minimum garanti: une idée phare pour le 21e siècle

Le revenu minimum garanti: une idée phare pour le 21e siècle
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À quoi ressemblerait le Canada si l’on distribuait 10 000 dollars par année à chaque personne adulte? Que se passerait-il si le gouvernement instaurait un taux d’imposition négatif permettant aux chômeurs et aux bas salariés de gagner de l’argent au lieu d’en payer?

Voilà le genre de scénario que certains commentateurs conservateurs qualifieront d’utopie socialiste, juste bonne à créer une nation de bons à rien et de paresseux.

Pourtant, un nombre croissant d’économistes et d’intellectuels affirment qu’une telle politique aurait l’effet inverse. Sans régler tous les problèmes de la société, le revenu minimum garanti (RMG) parviendrait à réduire la pauvreté et jetterait les bases d’une société plus productive. Il contribuerait aussi à réduire la taille et le rôle du gouvernement, ce qui pourrait lui faire gagner en popularité à droite, même si la gauche y est à priori plus favorable.

L’économiste Glen Hodgson, du Conference Board du Canada, est l’un de ceux qui réclament une enquête plus approfondie sur le RMG. Selon lui, cette politique pourrait remplacer un « cafouillis » de programmes gouvernementaux, dont l’aide sociale, l’assurance-emploi et les nombreux crédits d’impôt accordés aux familles à faible revenu.

À condition d’être bien conçu, le RMG ferait également tomber le « mur du bien-être social », qui rend certaines personnes dépendantes des prestations gouvernementales. Dans une étude publiée en 2011, Hodgson ajoute que le RMG stimulerait l’économie en rendant le travail plus attrayant.

L’ex-sénateur et ex-ministre progressiste-conservateur Hugh Segal, devenu l’un des plus ardents partisans du RMG, abonde dans le même sens : « Nous n’osons pas admettre que notre filet de sécurité sociale est trop faible pour extraire les gens de la pauvreté, et assez fort pour les y emprisonner », avait-il affirmé en entrevue au Huffington Post il y a deux ans.

Aux yeux de cet ancien collaborateur de Brian Mulroney, le RMG réduirait grandement le rôle du gouvernement dans la vie des citoyens et mettrait un terme à l’aspect envahissant des programmes d’aide sociale et d’assurance-emploi. Les fonctionnaires n’auraient plus à décider qui est éligible ou non. La « microgestion des employés de l’État » serait chose du passé, et la dignité des citoyens à faible revenu en sortirait renforcée.

D’après M. Segal, une forme de RMG existe déjà au Canada. Les pensions de Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti jouent exactement ce rôle auprès des aînés.

Hugh Segal

Il dénote que le taux de pauvreté chez les aînés est rapidement tombé de 30 à 3 pour cent, lorsque l’Ontario a fait preuve d’initiative dans ce domaine au milieu des années 1970.

« Si nous avons fait confiance à nos aînés et présumons qu’ils gèrent bien leur argent, pourquoi n’en ferions-nous pas autant avec les gens dans la quarantaine ou dans la cinquantaine? », se demande-t-il.

M. Segal propose le RMG depuis des décennies, or l’idée gagne en popularité depuis quelques années à peine. De nombreux politiciens européens en parlent ouvertement, et certains pays émergents en font déjà l’expérience.

Bon nombre d’autres arguments économiques militent en faveur du RMG, mais la plupart des observateurs s’entendent sur le fait que des recherches beaucoup plus approfondies devront être effectuées. Voici tout de même quelques notions permettant de se familiariser avec l’une des idées les plus prometteuses du 21e siècle.

Comment le RMG fonctionne-t-il?

Il existe deux grands modèles de revenu minimum garanti, soit le taux d’imposition négatif et le revenu universel minimum. Ces deux modèles sont très différents et pourraient avoir des effets très différents. Malheureusement, ils sont souvent utilisés de manière interchangeable dans le débat public.

En cas de taux d’imposition négatif, le gouvernement déterminerait un seuil en-deçà duquel le contribuable n’aurait plus d’impôt à payer et commencerait à recevoir de l’argent. Pour les personnes au bas de l’échelle, il ne serait plus question de remboursement mais bien d’une prime.

Ce modèle serait probablement le moins dispendieux, mais il poserait un certain nombre de problèmes administratifs. Une personne perdant son emploi et tombant sous le seuil fixé par le gouvernement n’aurait pas droit à sa prestation tant qu’elle n’aurait pas rempli sa déclaration d’impôt printanière. Faudrait-il alors obliger les citoyens à produire une déclaration mensuelle?

Pour régler cette question, il serait préférable d’implanter le deuxième modèle, c’est-à-dire le revenu universel minimum, qui permettrait à chaque adulte de recevoir un chèque mensuel du gouvernement sans égard aux circonstances ou à son revenu. Ce modèle aurait l’avantage de résoudre les problèmes associés au taux d’imposition négatif, mais il pourrait susciter une levée de boucliers. En effet, chaque citoyen aurait droit à son chèque, y compris le milliardaire. Bien entendu, les citoyens les plus fortunés recevraient ce chèque de manière symbolique, puisqu’ils devraient le rembourser sous forme d’impôt. Or, « l’argent pour tous » est une idée qui fait grincer des dents.

Si la campagne va bon train, les Suisses pourraient bientôt voter sur le revenu minimum garanti.

Qui en parle? Qui l’applique déjà?

Un certain nombre d’expériences de RMG ont été menées au fil du temps, dans les pays émergents principalement, par des organisations cherchant à éradiquer la pauvreté de manière inédite. Une série de tests ont également été effectués aux États-Unis dans les années 1970, sous l’administration Nixon. Ces « expériences de maintien du revenu » ont eu lieu au Colorado, en Indiana, en Iowa, au New Jersey, en Caroline du Nord et dans l’État de Washington. Une seule expérience similaire a eu lieu au Canada, à l’époque de Pierre Elliott Trudeau, dans la ville de Dauphin au Manitoba.

En Suisse, une campagne a lieu actuellement afin de tenir un référendum sur le RMG. La proposition consiste à verser à chaque adulte une allocation annuelle de 30 000 francs suisses, soit environ 35 000 dollars canadiens. Il s’agit d’un projet beaucoup plus généreux que la plupart des autres projets élaborés à travers le monde. Mais si ce référendum a lieu, ce ne sera pas avant un ou deux ans.

Pourquoi l’idée fait-elle surface maintenant?

L’ère numérique et l’automatisation qu’elle implique donnent l’occasion de revoir les fondements du RMG. Selon une étude de l’Oxford Martin School publiée en 2013, 47 pour cent des emplois actuels risquent de disparaître et d’être confiés à des robots ou ordinateurs d’ici 20 ans.

À long terme, cela ne pose pas de problème. La plupart des économistes soulignent que notre civilisation a survécu à de nombreux cycles de disparition de métiers manuels – lorsque les chaînes de montage sont apparues, par exemple – et que des nouveaux types d’emplois ont toujours fini par les remplacer.

En revanche, l’automatisation pose un problème à court terme. Si de nouvelles industries et activités ne contribuent pas rapidement à remplacer les emplois disparus, nous pourrions voir réapparaître la grande pauvreté et les migrations de masse qui ont marqué la Révolution industrielle.

Le prix Nobel d’économie Paul Krugman milite pour le RMG dans le but exprès de mitiger les effets de l’automatisation et de préserver ce qu’il reste de la classe moyenne.

Dans l’économie actuelle, « la seule manière de préserver une sorte de classe moyenne serait un filet de protection sociale très fort, capable de fournir à la fois des soins de santé et un revenu minimum », écrivait-il dans le New York Times en 2013.

Les gens arrêteront-ils de travailler?

De nombreux intellectuels, de tendance conservatrice pour la plupart, prétendent que le RMG entraînerait une baisse de productivité, puisque certains travailleurs choisiraient de quitter leur emploi et de vivre uniquement de leurs prestations gouvernementales.

Dans un article de juin 2014, l’entrepreneur Pascal-Emmanuel Gobry revient sur les expériences effectuées au Canada et aux États-Unis dans les années 1970, et allègue qu’elles ont bel et bien diminué l’envie de travailler, études scientifiques à l’appui.

Si un RMG est implanté, « des millions de personnes aptes à travailler ne le feront pas et s’enfonceront dans un désœuvrement socialement destructeur », conclut-il.

Or, les choses ne sont pas si simples. En premier lieu, les expériences faites au cours des années 1970 portaient uniquement sur le taux d’imposition négatif, et non sur le revenu universel minimum. En second lieu, la recherche la plus approfondie sur l’expérience menée au Manitoba conclut qu’elle n’a aucunement découragé le travail – du moins pas de la manière anticipée par les critiques. Si la ville de Dauphin a vu sa population active diminuer, c’est parce que des jeunes ont profité du RMG pour parfaire leur éducation, et parce que des parents ont choisi de passer plus de temps à la maison avec leurs jeunes enfants.

Enfin, certains chercheurs font remarquer que la désaffection pour le travail, aux États-Unis, était le fait de salariés cherchant à camoufler leurs activités de manière à recevoir des sommes plus importantes du gouvernement.

À la lumière de ces expériences, les recherches les plus récentes concluent que le taux d’imposition négatif pourrait décourager le travail, ou du moins inciter des gens à camoufler leurs revenus, tandis que le revenu universel minimum n’aurait aucun de ces effets.

Selon Ed Dolan, fondateur de l’Institut américain de commerce et d’économie de Moscou, ce sont au contraire les programmes actuels d’assurance-emploi et d’aide sociale qui démotivent les travailleurs, privés de prestations dès que leur situation économique s’améliore. Avec le RMG, tous recevraient le même montant sans égard aux circonstances, et personne ne serait pénalisé pour avoir trouvé un emploi.

« Remplacer notre système de sécurité sociale actuel par le RMG rendrait le travail plus attrayant, plus particulièrement chez les ménages à faible revenu, qui sont notre préoccupation principale », conclut-il.

Une expérience récente de l’Unicef tend à donner raison aux prédictions de Dolan. L’organisme de bienfaisance a distribué un revenu de base dans huit villages agricoles indiens, puis a comparé la situation de ce village avec celle de douze autres villages ne l’ayant pas reçu.

Les villages ayant reçu le RMG « ont vu leurs indicateurs s’améliorer aussi bien en matière de nutrition infantile, de scolarisation, de santé publique, d’activité économique et de revenus de travail que de statut des femmes, des aînés et des handicapés », affirme Guy Standing, professeur à l’Université de Londres.

Fait intéressant, le RMG a aussi aidé les gens à créer des nouvelles entreprises.

« Contrairement à ce que prédisaient les sceptiques (dont Sonia Gandhi), le revenu de base a stimulé l’activité économique et l’emploi », ajoute-t-il.

Bien entendu, une expérience menée dans un pays émergent ne peut à elle seule illustrer ce que le RMG pourrait apporter à une économie développée. Voilà pourquoi les économistes réclament des études plus approfondies.

Combien le RMG coûterait-il?

En matière de financement, tout dépendrait du type de RMG implanté ainsi que de sa générosité. Le taux d’imposition négatif serait plus facile à implanter à coût neutre que le revenu universel minimum.

Selon une estimation récente, fournir à tous les Canadiens un revenu minimum juste au-dessus du seuil de pauvreté coûterait 32 milliards de dollars. Un taux d’imposition négatif pourrait être institué de manière à redistribuer cette somme exacte, qui serait récupérée en éliminant ou en réduisant la taille des programmes d’aide sociale.

Cette méthode « pourrait produire des économies fiscales substantielles, à l’échelle provinciale plus particulièrement », affirmait le Conference Board du Canada en 2011. En effet, le taux de pauvreté et les coûts du système de santé public sont statistiquement liés, et l’élimination de la pauvreté contribuerait à réduire le fardeau pesant sur le système de santé.

En faisant tomber le « mur du bien-être social », qui rend les gens dépendants du gouvernement, le taux d’imposition négatif ferait également augmenter le taux d’emploi, et du même coup, les revenus fiscaux du gouvernement.

En revanche, le revenu universel minimum pourrait nécessiter un investissement plus substantiel de la part des gouvernements, même en tenant compte des programmes sociaux abolis.

En guise d’exemple, si l’on distribuait 10 000 dollars par année à chaque adulte de plus de 20 ans (c’est-à-dire à 27,7 millions de Canadiens), le total s’élèverait à 277 milliards de dollars. Cette somme ahurissante dépasserait même les 215 milliards que les gouvernements dépensent en soins de santé. Toutefois, elle serait réduite de moitié en tenant compte des 139 milliards que les gouvernements distribuent sous forme d’aide sociale, d’assurance-emploi et d’autres programmes. Le reste devrait être compensé par un taux d’imposition plus élevé.

Or, comme le rappelle Paul Krugman, il serait temps d’augmenter le fardeau fiscal des entreprises, qui engrangent une part de plus en plus élevée des revenus à l’échelle nationale.

L’effet du RMG sur la rémunération des travailleurs reste à déterminer. Tout dépend à qui vous posez la question. Les entreprises comme Walmart pourraient sentir le besoin de la hausser, mais pourraient aussi bien continuer de verser des salaires de crève-la-faim.

Avec un revenu minimum garanti, une compagnie comme Walmart pourrait soit augmenter les salaires -- ou pourrait être libre de sous-payer ses employés.

Quels effets le RMG aurait-il sur les entreprises et le marché du travail?

Il existe deux écoles de pensée à ce sujet. L’une prétend que le RMG rendrait les gens moins dépendants de leur emploi, leur permettant ainsi de négocier un salaire plus élevé ou de partir à la recherche d’un meilleur emploi. Les travailleurs en sortiraient gagnants, mais les entreprises verraient leur coûts de main d’œuvre augmenter.

(Notez que les travailleurs auraient également l’opportunité de retourner à l’école pour se recycler, ce qui aurait un effet bénéfique sur leur productivité et leur flexibilité à long terme.)

L’autre école de pensée affirme le contraire, c’est-à-dire que les Walmart et McDonald’s de ce monde n’auraient aucun incitatif à augmenter les salaires. Au bout du compte, les travailleurs au bas de l’échelle ne tireraient pas un si grand avantage du RMG.

Le RMG serait certainement en mesure d’aider les travailleurs saisonniers durant la basse saison, ou d’aider les travailleurs à temps partiel à boucler leur budget lorsqu’aucun emploi à plein temps n’est disponible. Toutefois, les employeurs pourraient se sentir disculpés et procéder à des mises à pied plus fréquentes.

Qui est pour, qui est contre?

De nos jours, le RMG n’appartient ni à la gauche, ni à la droite. Aux États-Unis, le taux d’imposition négatif a eu la faveur de Milton Friedman, un libertarien notoire devenu la figure de proue du conservatisme économique. Au Canada, l’idée a connu un certain succès chez les Progressistes-conservateurs de Robert Stanfield dans les années 1960. C’est de cette mouvance que provient Hugh Segal.

En 2014, le Parti libéral du Canada a inclus dans son programme la création d’un projet pilote de supplément de revenu. Il serait étonnant que le RMG fasse partie de sa campagne électorale cette année, mais il s’agit tout de même d’un grand pas en avant. Le programme du Parti vert appuie également le RMG.

Proche des milieux d’affaires, le Conference Board du Canada s’est quant à lui prononcé en faveur d’études plus approfondies.

Toutefois, il faut s’attendre à ce que des préoccupations d’ordre budgétaire – fondées ou non – ainsi que des arguments moraux contre « l’argent facile » servent de socle aux revendications de l’opposition.

Le Parti libéral sous Justin Trudeau a voté pour qu'un "supplément de base" soit inclus dans sa plateforme, mais il ne fera pas campagne là-dessus.

Quels sont les obstacles à son adoption?

Il va sans dire que l’adoption du RMG, au 21e siècle, aurait des effets socio-économiques aussi importants, voire même plus importants que l’adoption du salaire minimum et des pensions de vieillesse au siècle dernier. En fait, la peur d’implanter un changement aussi radical serait l’obstacle le plus important à surmonter.

De plus, « la communauté d’affaires ne s’implique pas dans le débat », déplore Hugh Segal. L’ex-politicien dénote que les grandes transformations sociales du 20e siècle ont eu besoin de l’appui du patronat pour devenir une réalité.

Or, les milieux d’affaires pourraient avoir un impact négatif si le projet de RMG prévoit augmenter le taux d’imposition des entreprises, ou s’il est perçu comme étant susceptible d’entraîner une hausse des coûts de main d’œuvre.

La résistance risque de se manifester à gauche également. Les syndicats pourraient y voir une menace à la sécurité d’emploi des fonctionnaires qui administrent les programmes sociaux voués à disparaître.

« Les bureaucraties n’aiment pas se faire secouer », affirme Segal. « Réduire leur contrôle des programmes sociaux serait une idée qu’elles auraient de la difficulté à digérer. »

En résumé, l’opposition au RMG viendrait d’une coalition ad hoc de groupes de pression de gauche et de droite.

Le mouvement en faveur du RMG serait lui aussi le fruit d’une coalition gauche-droite, qui devrait également s’étendre à plusieurs paliers de gouvernement. En effet, l’abolition d’un grand nombre de programmes fédéraux, provinciaux et municipaux nécessiterait un degré de collaboration très étroit entre leurs responsables respectifs.

« Il nous faudrait un gouvernement visionnaire pour mettre le projet en branle », affirme Glen Hodgson, du Conference Board.

Pas n’importe quel gouvernement visionnaire, mais un gouvernement capable de mener le combat des deux côtés de l’arène politique.

Certaines citations de cet article proviennent d’entrevues effectuées avec Glen Hodgson et Hugh Segal en décembre 2012.

Cet article initialement publié sur le Huffington Post Canada a été traduit de l’anglais.

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