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Al-Qaïda, État islamique, ou le chemin sinueux de trois djihadistes français

Al-Qaïda, État islamique, ou le chemin sinueux de trois djihadistes français

Les trois hommes qui ont terrorisé Paris pendant une cinquantaine d'heures n'étaient pas des loups solitaires : ils ont revendiqué leur appartenance à Al-Qaïda au Yémen et à l'État islamique.

« J'ai été envoyé, moi, Chérif Kouachi, par Al-Qaïda du Yémen », a affirmé ce djihadiste français, dans une entrevue accordée alors que son frère Saïd et lui se terraient dans une imprimerie au nord de Paris, avant l'assaut des policiers, donc, peu avant leur mort.

Sans revendiquer explicitement l'attentat contre Charlie Hebdo, un membre d'Al-Qaïda au Yémen a déclaré dans une vidéo diffusée sur YouTube que l'attaque contre Charlie Hebdo était destinée à apprendre « les limites de la liberté d'expression » à ceux qui « ont insulté » le prophète Mohamet. Un autre responsable de l'organisation terroriste a menacé la France de nouvelles attaques.

Cette entrevue fortuite avec Chérif Kouachi, les journalistes français de BFM-TV l'ont obtenue tout bonnement en appelant à l'imprimerie, dans l'espoir de parler à des témoins des événements. Ils sont alors tombés sur l'un des présumés auteurs de l'attaque perpétrée mercredi, qui a fait 12 morts et horrifié le monde.

Plus incroyable encore, dans l'après-midi, le téléphone a retenti dans la salle de rédaction de BFM-TV. C'était Amedy Coulibaly, auteur de l'attaque de Montrouge, qui a coûté la vie à une policière jeudi.

Or, au moment où il entre en contact avec les journalistes, Amedy Coulibaly tient prisonniers une quinzaine de personnes dans une épicerie cachère. Il déclare sans ambages que quatre d'entre elles sont mortes et exige qu'on le mette en contact avec les policiers. Et il affiche ses couleurs : il agit, lui, au nom du groupe armé État islamique (EI). Il mourra lors de l'assaut policier, peu après.

Qui étaient ces trois hommes? Avant ces assauts, leurs parcours respectifs étaient flous. Mais les entrevues qu'ont réalisées les journalistes de BFM-TV, quoique de quelques minutes à peine, ont brutalement levé le voile sur eux. C'est clair maintenant : ils étaient organisés.

Des aveux faits par téléphone

« Nous, on te dit juste qu'on est les défenseurs du prophète et que j'ai été envoyé moi, Chérif Kouachi, par Al-Qaïda du Yémen et que je suis parti là-bas et que c'est cheikh Anwar Al Awaki, qui m'a financé. Ça fait longtemps, avant qu'il ne soit tué. »

— Chérif Kouachi, en entrevue téléphonique avec un membre de l'équipe journalistique de BFMTV

Anwar Al Awaki est ce prédicateur américain qui a vécu au Yémen et qui fut la tête pensante d'Al-Qaïda. Il a été tué en 2011 par un missile américain.

Dans l'entretien qu'il consent à accorder à BFM-TV, Chérif Kouachi décrit sommairement que l'attaque contre Charlie Hebdo était destinée à « venger le Prophète ».

Comme l'explique le rédacteur en chef adjoint de BFM-TV, Alexis Delahousse, Chérif Kouachi estime ne pas avoir tué de civils, car, à ses yeux, les journalistes de Charlie Hebdo constituaient « des cibles ». Pour le cadet des frères Kouachi, ce sont les Occidentaux qui tuent des civils « en Irak, en Syrie et en Afghanistan ».

Entrevue accordée par Chérif Kouachi

« On s'était synchronisés »

Attentat de Charlie Hebdo, attaque à Montrouge : les deux événements étaient liés, d'après ce qu'a affirmé au téléphone Amedy Coulibaly. « Est-ce que vous êtes en lien avec les deux frères qui ont fait l'opération à Charlie Hebdo? », lui a demandé Alexis Delahousse. « Oui, on s'était synchronisés », répond Coulibaly, qui explique par la suite qu'ils s'étaient synchronisés « pour le départ ».

« Quand ils ont commencé Charlie Hebdo, moi j'ai commencé à faire les policiers. »

— Amedy Coulibaly, en entrevue téléphonique avec Alexis Delahousse, de BFMTV

Entrevue accordée par Amedy Coulibaly

Une radicalisation que nul ne semble avoir su prévenir

Âgé de 32 ans, Chérif Kouachi était connu des services antiterroristes français. Surnommé Abou Issen, il avait purgé une année et demie de prison après avoir tenté de se rendre en Irak en 2005 pour y rejoindre des combattants islamistes.

Quant à son frère aîné Saïd, présumé coauteur de l'attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo, la lumière commence à se faire sur son passé troublé. Les quelques informations qui ont filtré sur son cas font état d'un voyage qu'il a effectué au Yémen, en 2011, pour s'entraîner avec des militants islamistes liés à Al-Qaïda.

Âgé de 34 ans, Saïd Kouachi aurait séjourné pendant plusieurs mois dans ce pays, où il a fréquenté une université fondamentaliste. Des sources locales citées par l'Agence France-Presse affirment que Saïd Kouachi s'est entraîné au maniement des armes avec Al-Qaïda.

À son retour en France, Saïd et son frère se sont gardés de toute activité pour ne pas attirer les soupçons des services de sécurité. Il appert que tous deux ont fait leurs classes, si l'on peut dire, au sein de la filière djihadiste dite « des Buttes-Chaumont ».

La filière des « Buttes-Chaumont »

Cette filière, du nom d'un parc situé dans le nord-est de Paris, est la pépinière au sein de laquelle les frères Kouachi se sont radicalisés entre 2004 et 2006, d'après les informations recueillies par le quotidien suisse Le Temps.

Pendant près d'une quarantaine d'années, la mosquée Adda'wa (« L'Invitation ») a reçu jusqu'à 5000 fidèles chaque vendredi, ce qui en a fait l'un des plus grands lieux de culte musulman d'Europe. La mosquée avait été instaurée dans d'anciens entrepôts, acquis en 1969. Elle a été démolie en 2006.

Mais au-delà des bâtiments restent les radicaux avec, en tête, l'imam d'origine algérienne Larbi Kechat. Autour de lui se sont agités des gens comme les frères Kouachi.

Une meute d'hommes qu'un policier du commissariat local a qualifiés de « pas très bien organisés, mais déterminés », toujours selon ce que rapporte le journal suisse Le Temps.

La prison n'a pas réhabilité Chérif Kouachi, loin de là

Revenons à Chérif Kouachi. En détention, il a connu celui qui deviendra son mentor, Djamel Beghal, détenu pour un projet d'attentat fomenté, en 2001, contre l'ambassade des États-Unis à Paris.

Fait à noter : Djamel Beghal a compté aussi parmi ses disciples Amedy Coulibaly, le suspect dans l'affaire de la fusillade de Montrouge, près de Paris, fusillade qui a coûté la vie à une policière municipale, jeudi. Il appert donc que Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly étaient liés.

À sa sortie de prison, Chérif Kouachi travaille dans une poissonnerie, mais il ne rompt pas ses liens avec ses anciens acolytes des Buttes-Chaumont.

En 2008, il est condamné à 3 ans de prison, dont 18 mois avec sursis, pour avoir participé à une filière d'envoi de combattants en Irak. Il était sous l'influence de Farid Benyettou, un jeune prédicateur qui agissait au profit de la branche irakienne d'Al-Qaïda, dirigée à l'époque par Abou Moussab Al-Zarkaoui.

Deux ans plus tard, Chérif Kouachi est soupçonné de préparer l'évasion de Smaïn Ait Ali Belkacem, un des cerveaux des attentats en 1995 du RER Musée d'Orsay et Saint-Michel, ce dernier ayant fait 8 morts et près de 120 blessés.

Il avait été placé en détention provisoire en mai 2010, puis libéré en octobre de la même année, avant de bénéficier d'un non-lieu le 26 juillet 2013.

Un apprenti « loser »

Né en France de parents algériens décédés dans son enfance, Chérif Kouachi a eu une adolescence troublée, ayant à son actif des vols et autres petits trafics commis dans le 19e arrondissement de Paris.

Dans un reportage de la télévision française, il apparaît comme un jeune de banlieue flamboyant, s'exerçant à la musique rap et ne laissant transparaître aucun signe d'extrémisme religieux.

Lors de perquisitions effectuées dans son domicile, la police avait déjà trouvé des documents dans lesquels des images pornographiques côtoyaient des livres de propagande islamiste et autres écrits justifiant le djihad.

L'avocat Vincent Ollivier, qui l'avait déjà défendu, se souvient d'un « apprenti loser, d'un livreur à casquette qui fumait du haschich et livrait des pizzas pour acheter sa drogue. Un gamin paumé qui ne savait pas quoi faire de sa vie et qui, du jour au lendemain, a rencontré des gens qui lui ont donné l'impression d'être important. »

Amedy Coulibaly : de la délinquance à l'islam radical

Il avait 32 ans et était issu d'une famille française d'origine malienne. Sa feuille de route est chargée : Amedy Coulibaly a 19 ans lorsqu'il est condamné pour vol aggravé. S'ensuivent d'autres délits jusqu'à ce qu'en 2010, son nom soit associé à un dossier d'islam radical. À ce moment, Coulibaly est reconnu coupable d'avoir participé au projet d'évasion d'une autre figure de l'islam radical, Smaïn Aït Ali Belkacem. Il passera cinq ans en prison, soit jusqu'en 2014.

Ironie du sort, Amedy Coulibaly a déjà été mis en présence du président de la République d'alors, Nicolas Sarkozy. Il travaillait pour Coca Cola et des employés de l'usine avaient été invités à rencontrer le président à l'Élysée. C'était en juillet 2009...

Ce reportage, diffusé sur France 3 en 2005, fait état de la radicalisation de Chérif Kouachi, de 1:05 à 1:07.

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