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États-Unis: à l'approche des élections de mi-mandat, le virage à gauche des Républicains et des Démocrates

États-Unis: virage à gauche à quelques jours des élections de mi-mandat
AFP

Alors que les Républicains, bien placés pour reprendre le contrôle du Sénat, sont assurés d’obtenir la majorité à la Chambre des représentants, les élections de mi-mandat ont pris un virage à gauche dans les derniers jours de la campagne.

Depuis le Sud profond jusqu’aux confins de l’Alaska, les candidats des deux partis rivalisent d’enthousiasme pour les programmes comme le système d’assurance-santé (Medicare) et la toute récente couverture sociale universelle. Ils apportent leur soutien à des mesures telles que le salaire minimum garanti, les énergies renouvelables et, du moins dans leur discours, la liberté des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent.

En Caroline du Nord, le candidat républicain au Sénat, Thom Tillis, dont la victoire lors de la primaire républicaine reposait sur son opposition féroce à toute expansion du programme d’assurance-maladie Medicaid, "encourage" aujourd’hui les Républicains, majoritaires dans cet Etat, et le gouverneur républicain Pat McCrory, à envisager une telle expansion. En Géorgie, son confrère David Perdue a chuté dans les sondages depuis que la campagne s’intéresse aux questions de délocalisation, tandis que sa rivale démocrate, Michelle Nunn, s’est repositionnée sur l’aile gauche de son parti. Le porte-parole de la candidate, Nathan Click, estime que Perdue "a lui-même déclaré qu’il s’était fait le champion des délocalisations pendant toute sa carrière" et que "les Géorgiens ne voulaient pas de cela".

La sécurité sociale, argument électoral majeur

Megan Whittemore, une porte-parole de Perdue, a répliqué que Nunn s’était lancée dans des attaques "personnelles et inexactes" sur les états de service de son adversaire parce qu’elle ne comprenait pas les attentes des électeurs. "La fidélité de Michelle Nunn à Barack Obama et [au chef de la majorité au Sénat] Harry Reid continue de lui nuire auprès des électeurs géorgiens, qui veulent que les choses changent à Washington", a ajouté Whittemore.

En Alaska, le sénateur démocrate Mark Begich s’efforce d’améliorer la couverture sociale universelle, tandis qu’en Louisiane, la sénatrice démocrate Mary Landrieu, en difficulté, est aujourd’hui l’alliée la plus fidèle de ce programme. Begich "a compris que l’expansion de la sécurité sociale était une chose très importante pour ses électeurs. Quand on s’engage clairement, les électeurs peuvent vraiment faire leur choix", explique Matt Morrison, président du syndicat Working America.

Pendant ce temps, les Républicains dans tous le pays changent de disque quand ils évoquent le programme d’assurance-vieillesse et invalidité, hérité du New Deal. Comme le rapporte le Washington Post :

Les coupes dans les dépenses de santé et de retraite sont depuis longtemps la priorité des Républicains. Mais à l’heure où ils sont sur le point de remporter le Sénat, les voilà qui rejettent soudain l’idée de revenir sur les prestations de la sécurité sociale

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Obama au plus bas, les Démocrates en perte de vitesse

Le fait que les Républicains sont mieux placés que les Démocrates dans une campagne très à gauche en dit long sur le système politique américain, où les élections servent souvent davantage de référendum sur la façon dont les Américains envisagent l’avenir que de choix entre deux politiques opposées. Et rares sont ceux qui pensent que le pays est sur le bon chemin.

Afin de remporter des élections de mi-mandat quand le président est au plus bas dans les sondages, le premier objectif de l’opposition est de rappeler que leurs adversaires sont du même parti que le chef de l’Etat. Le programme politique proprement dit n’arrive qu’en deuxième – voire en troisième ou quatrième – position. Brad Dayspring, porte-parole du comité national républicain pour les sénatoriales, conteste l’idée que les discours des candidats républicains s’inspirent de la rhétorique de gauche, mais affirme que le problème principal est de savoir si un candidat est proche, ou non, du président Obama.

"Le vrai problème de cette élection, c’est que les sénateurs démocrates qui avaient promis de prendre leurs distances avec Washington n’ont cessé de voter pour tout ce que leur demandait Barack Obama, dont la politique est très mal perçue chez eux", explique-t-il. "S’il y a vraiment un ‘virage à gauche’, comme vous le suggérez, pourquoi les candidats démocrates ne réaffirment-ils pas leur soutien au président, au lieu de prétendre qu’ils n’ont jamais entendu parler de lui ?"

Dayspring souligne une difficulté essentielle des Démocrates : comment soutenir un programme démocrate ambitieux sans avoir l’air trop proches du chef de la majorité ou, dans le cas de la candidate démocrate du Kentucky, Alison Lundergan Grimes, en refusant même d’admettre qu’elle a voté pour lui ?

Les efforts discutables des démocrates pour réduire le budget de la sécurité sociale et augmenter l’âge de la retraite (et de l’assurance-vieillesse) en échange d’une hausse de la fiscalité, dans le cadre d’un "accord global" avec les Républicains, ne leur facilitent pas la tâche. Aucun accord n’a été signé, et ce sont maintenant les Démocrates qui sont accusés par les Républicains de vouloir couper dans les programmes sociaux.

Les Républicains font campagne sur les grands thèmes de la gauche

Vu de l’extérieur, il pourrait sembler étrange que les Républicains réussissent à battre les Démocrates à l’issue d’une campagne portant sur des thèmes de gauche. La popularité de ces thématiques est peut-être la seule chose qui empêche de transformer la victoire probable des Républicains en véritable raz-de-marée. Après tout, même si Obama atteint des records d’impopularité, la campagne sénatoriale reste extrêmement serrée, et il est même possible que les électeurs votent davantage pour les Démocrates à la Chambre des représentants, même si celle-ci est destinée à rester sous le contrôle des Républicains, en raison des derniers redécoupages des circonscriptions des membres du Congrès.

C’est dans ce contexte que l’on assiste aujourd’hui à un spectacle étonnant, qui voit Karl Rove, l’ex-éminence grise de George W. Bush, et d’autres Républicains d’envergure nationale, attaquer les Démocrates sur leur volonté de réduire les dépenses de l’Etat.

Cette dynamique permet au comité national républicain pour les sénatoriales de diffuser un message reprochant au représentant démocrate de la Géorgie, John Barrow, d’avoir soutenu une mesure visant à retarder l’âge de la retraite jusqu’à 69 ans, et critiquant son vote en faveur de la sécurité sociale universelle (surnommée Obamacare par ses détracteurs) parce qu’elle réduirait le budget de Medicare de plusieurs centaines de milliards de dollars. Dans le même temps, les Républicains accusent Barrow de financer "l’avortement avec nos impôts" et de gaspiller les fonds publics.

Bien entendu, les Républicains ne sont pas les seuls à saisir l’occasion d’empiéter sur les plates-bandes de l’opposition si cela peut les servir politiquement. Estimant que certains Démocrates épousaient le point de vue de l’opposition, Daniel Scarpinato, l’attaché de presse du comité national républicain pour les législatives (NRCC), a envoyé au Huffington Post les communiqués d’une douzaine de campagnes pour étayer sa démonstration. Celui du candidat démocrate du Montana, John Lewis, se félicite du soutien dont il bénéficie auprès de la National Rifle Association et attaque son adversaire républicain quand celui-ci propose de restreindre l’accès aux armes à feu. Un autre explique que le candidat démocrate de la Virginie occidentale, Nick Rahall, s’oppose à l’Agence de protection de l’environnement. Comme le rappelle Scarpinato, les Démocrates en campagne dans les circonscriptions à majorité républicaine n’hésitent pas à dénoncer la "guerre contre le charbon" prétendument menée par le gouvernement fédéral ou à exiger des baisses d’impôts.

Ecologie et salaire minimum

Mais même dans ces circonscriptions, les messages traditionnellement démocrates sont légion. Celui de l’association à but non lucratif Crossroads GPS, fondée par Karl Rove, s’en prend violemment au sénateur démocrate de l’Arkansas, Mark Pryor, qui a proposé de "revoir" le mode de fonctionnement de Medicare et de la sécurité sociale, et rappelle qu’il aimerait augmenter l’âge du départ à la retraite. Son adversaire, le républicain Tom Cotton, qui souhaite abroger Obamacare, promet quant à lui que "chacun de mes votes, passés et à venir, sur la sécurité sociale et sur Medicare protège et préserve les allocations pour les personnes âgées".

Les Démocrates sont en terrain plus sûr avec le salaire minimum garanti, étant donné que les Républicains ont payé cher pour leur opposition aux tentatives de hausse de ce revenu au niveau national. Mais dans les Etats très disputés, les candidats Républicains tentent néanmoins de mettre de l’eau dans leur vin.

En septembre, Tom Cotton a annoncé qu’il voterait en faveur d’une mesure visant à augmenter le salaire minimum en Arkansas, et pris ses distances avec les propos qu’il avait lui-même tenu sur le sujet au niveau national. En Alaska, le candidat républicain au Sénat, Dan Sullivan, a pour sa part annoncé son soutien à une mesure de ce type, alors qu’il s’y était opposé durant les primaires, rapporte le Wall Street Journal. Et dans l’Iowa, sa collègue Joni Ernst a nié s’être prononcée pour l’abolition du salaire minimum, alors qu’elle avait déclaré être "opposée à un salaire minimum national".

Dans des campagnes serrées, certains Républicains se sont aussi découvert une fibre écologique. Le représentant du Colorado, Cory Gardner, qui pense que l’Homme n’est pas responsable du réchauffement climatique, pose ainsi fièrement à côté d’un parc éolien.

Après avoir changé d’avis sur Medicaid, Thom Tillis, qui avait juré de faire annuler les normes liées aux énergies renouvelables et de couper les fonds destinés aux biocarburants, fait aujourd’hui campagne autour du maintien de ces deux mesures.

La délicate question de l'avortement

Les Républicains tentent également de s’attirer les faveurs des électrices sur les thématiques de santé, où les Démocrates ont généralement l’avantage. Cory Gardner, Thom Tillis, Mike McFadden dans le Minnesota, Rob Maness en Louisiane et Ed Gillespie en Virginie se sont tous prononcés en faveur de la pilule du lendemain, ce qui tient du vœu pieu étant donné que la décision appartient la Food and Drug Administration, l’agence fédérale chargée de ces questions. D’autres Républicains ont modéré leurs propos concernant le droit à l’avortement. Ainsi, en réponse à une question sur l’accès à l’avortement, le candidat républicain au poste de gouverneur du Colorado, Bob Beauprez, a déclaré la semaine dernière sur Colorado Public Radio qu’il respectait "le choix des électeurs et le droit des femmes à décider de cette question". Son bilan législatif est pourtant résolument anti-avortement.

En octobre, le gouverneur républicain du Wisconsin, Scott Walker, adversaire obstiné de l’avortement, a fait campagne en défendant une loi très restrictive qu’il avait signée, expliquant qu’elle "laissait la décision finale aux femmes et à leurs médecins" (à condition qu’elles en trouvent un : les opposants de cette interdiction expliquent qu’une clinique au moins est menacée de fermeture si cette loi entre en vigueur). Joni Ernst a également tergiversé le mois dernier quand on lui a rappelé son soutien à une mesure accordant le statut d’individu au fœtus, expliquant qu’il ne s’agissait que d’une "opinion" sans conséquence sur l’accès à l’IVG. "Tous ces candidats savent qu’ils ne peuvent pas gagner s’ils expriment leur soutien à l’interdiction de l’avortement, alors ils passent dans l’autre camp, ils tentent de brouiller les pistes et ils reviennent sur leur position pour parvenir à leurs fins", indique Ilyse Hogue, présidente de l’association NARAL Pro-Choice America.

"C’est assez ironique", ajoute Matt Morrison à propos des candidats républicains autrefois opposés à l’expansion de Medicaid, qui se prononcent aujourd’hui en faveur de cette mesure ou refusent de prendre position. "Quand on parle d’élargir le champ d’application de Medicaid, les électeurs sont résolument pour. Si vous parlez aux gens en faisant abstraction des petites phrases véhiculées par les médias, ils voient où se placent les candidats, et ça change tout."

Sadie Weiner, porte-parole du sénateur démocrate de la Caroline du Nord, Kay Hagan, explique au Huffington Post que les électeurs "ne sont pas dupes" du changement de position de Thom Tillis. "Il essaie désespérément de faire oublier son bilan en Caroline du Nord, et notamment les coupes de 500 million de dollars dans le budget de l’Education et sa décision de priver 500 000 personnes de toute couverture sociale", ajoute-t-elle.

Indépendamment des espoirs de Weiner, la course au Sénat est toujours très serrée. Quoi qu’il arrive, les électeurs auront du mal à savoir à quoi s’attendre quand le gagnant aura été élu.

Scarpinato, le porte-parole du NRCC, pense que les candidats qui trahissent leurs principes devraient avoir honte. "De toute évidence, les Démocrates sont arrivistes au point de faire une croix sur leurs idéaux, dans le seul but de remporter une élection", dit-il. "Or, la dernière chose dont nous avons besoin, c’est d’une bande de politiciens qui disent une chose lorsqu’ils passent à la télé et en font une autre quand personne ne les regarde."

Ce blog, publié à l’origine sur Le Huffington Post Etats-Unis, a été traduit de l’américain.

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