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Défectuosité chez GM : Transports Canada était au courant

Défectuosité chez General Motors : Transports Canada était au courant
RCQC

Le ministère des Transports du Canada était au courant de l'existence possible d'un problème lié au commutateur d'allumage de la Cobalt de Chevrolet, et ce, huit mois avant que General Motors Canada ne procède à un rappel de sécurité.

D'après un reportage d'Alain Gravel

Jusqu'à maintenant, General Motors (GM) a admis sa culpabilité pour 29 décès reliés à des défaillances d'allumage aux États-Unis et au Canada. Il y a des réclamations concernant plus de 150 morts.

À ce jour, au Canada, on n'a relié qu'un seul décès à cette défaillance. CBC/Radio-Canada a toutefois appris que le commutateur d'allumage défaillant fait l'objet d'une enquête concernant un deuxième accident mortel survenu au Québec en mars dernier, un mois après le rappel, et qui a coûté la vie à Danylo Kulish.

Plus de détails sur le commutateur d'allumage dans la vidéo.

« Il n'y a aucune raison pour sa mort », s'indigne Taras Kulish, le frère de Danylo, interrogé par CBC/Radio-Canada.

La ministre fédérale des Transports, Lisa Raitt, affirme que son ministère n'a été mis au courant de la défaillance d'allumage dans les voitures GM que lorsque l'entreprise l'en a notifiée pour la première fois, en février.

Mais des documents du gouvernement, des registres de sécurité et des rapports d'accident découverts par CBC/Radio-Canada indiquent que ce n'est pas exact.

Un premier accident mortel

Le 22 juin 2013, Danny Dubuc-Marquis a été tué près de Roxton Pond après avoir perdu le contrôle de sa Cobalt 2007. La voiture du jeune homme de 23 ans est sortie de la route avant d'aller percuter plusieurs arbres. Le sac gonflable du côté du conducteur ne s'est pas déployé.

« J'ai dit aux policiers que les sacs gonflables ne s'étaient pas déployés. Il y a quelque chose qui n'est pas normal. Eux aussi ont trouvé que ce n'était pas normal », soutient Normand Dubuc, le père de Danny Dubuc-Marquis.

Le rapport du coroner

Selon le rapport du coroner qui doit être publié jeudi, la voiture de Danny Dubuc-Marquis « présentait la défectuosité de l'interrupteur d'allumage » faisant l'objet d'un rappel de GM.

Mais le coroner ajoute que la sortie de route « n'a pas été causée par cette défectuosité ni par aucun problème mécanique sur le véhicule », tout en précisant que « le déploiement de coussins gonflables était impossible puisque l'interrupteur d'allumage » était en position « accessoires ».

Néanmoins, le coroner affirme que la « cause la plus probable de la sortie de route » est que Danny Dubuc-Marquis « se soit endormi au volant de sa voiture » et que ceci est survenu parce qu'il « était intoxiqué à l'alcool, conduisait sa voiture au milieu de la nuit et était éveillé depuis près de 22 heures consécutives ». Par ailleurs, il ne portait pas sa ceinture de sécurité.

La famille de la victime a demandé à ce que ce rapport ne soit pas rendu public, disant que « certains faits déterminants n'ont pas été pris en considération dans la confection du rapport ».

CBC/Radio-Canada a appris que, quelques jours après l'accident, le responsable de l'enquête à la Sûreté du Québec a communiqué avec des enquêteurs en collisions du ministère des Transports à l'École polytechnique de Montréal pour avoir de l'aide. Ces derniers sont parfois appelés par les forces de l'ordre pour analyser des accidents afin de déterminer si une défaillance d'un véhicule est en jeu.

Nous avons obtenu le registre d'enquête du ministère des Transports concernant la collision de Danny Dubuc-Marquis.

Selon ce registre, le ministère des Transports a ouvert une enquête trois jours après la collision, le 25 juin 2013, et a rapidement découvert un problème avec l'allumage. Dix jours plus tard, le 4 juillet, l'enquêteur du ministère à l'École polytechnique a envoyé un courriel à Transports Canada pour « vérifier si le fait que l'interrupteur de démarrage était dans la position "accessoires" aurait pu influencer d'une façon quelconque le non-déploiement des sacs gonflables ».

Ensuite, le 10 juillet, un appel téléphonique interne est fait pour « discuter de l'influence possible sur le système de sacs gonflables du fait que l'interrupteur de démarrage était dans la position "accessoires" ».

Pourtant, le ministère des Transports a abandonné son enquête à l'été 2013 et la Cobalt a été envoyée à un dépôt de ferraille. Ce n'est qu'après que GM a annoncé le rappel, en février 2014, que le ministère des Transports a récupéré le véhicule et a continué d'enquêter sur l'accident.

Un premier rappel

En février 2014, GM a reconnu l'existence d'une défaillance dans l'interrupteur de démarrage de centaines de milliers de véhicules. Ce défaut peut faire bouger la clé de contact de la position « marche » à la position « accessoires », causant l'arrêt du véhicule et, dans les cas où l'arrêt précède un accident, empêcher les sacs gonflables de se déployer.

La ministre Raitt a décliné une demande d'entrevue de CBC/Radio-Canada. Mais le directeur général de la sécurité routière et de la réglementation automobile au ministère des Transports, Kash Ram, soutient que si le ministère a bel et bien identifié un problème avec l'interrupteur de démarrage en juillet 2013, son enquête n'est pas allée plus loin.

« À ce moment-là, il était raisonnable de croire qu'un facteur pourrait être un coup sur l'interrupteur. Nous avons déjà vu ça auparavant dans un certain nombre de cas », a soutenu M. Ram.

Interrogé à savoir quand GM Canada est devenu conscient du problème, M. Ram affirme qu'« actuellement, nous n'avons pas d'évidence qui suggère que GM Canada n'a pas rempli ses obligations en vertu de la loi canadienne. Mais ce n'est pas fini. Nous gardons toujours un oeil sur leurs actions. »

Mme Raitt a également affirmé que le ministère des Transports n'avait aucune preuve que GM Canada était au courant de la défaillance avant février 2014.

Les documents d'enquête internes du ministère des Transports obtenus par CBC/Radio-Canada révèlent pourtant que le régulateur fédéral a donné des détails de l'enquête sur le décès de Danny Dubuc-Marquis à General Motors en octobre 2013, soit cinq mois avant le rappel.

Le PDG de GM Canada, Kevin Williams, a refusé notre demande d'entrevue. Mais dans une réponse écrite, GM Canada a indiqué qu'« ils participaient à des rencontres de la compagnie à la mi-décembre 2013 lorsqu'il a été question du problème du commutateur d'allumage ».

Qui plus est, en 2005, GM a fait parvenir des rapports aux concessionnaires aux États-Unis et au Canada pour les informer que l'interrupteur de démarrage pouvait se dégager involontairement de la position « marche » dans certains véhicules, dont la Cobalt de Chevrolet, l'Ion de Saturn et la Pursuit de Pontiac. Mais à ce moment-là, GM ne pensait pas qu'il s'agissait d'un problème de sécurité et n'a donc pas informé les consommateurs ni les régulateurs.

« La Pursuit de Pontiac se trouve sur ce rapport et elle est vendue seulement au Canada », s'indigne Clarence Ditlow, directeur général du Centre pour la sécurité automobile à Washington, DC.

La marge de manoeuvre du Canada

Alors qu'aux États-Unis, le gouvernement peut ordonner un rappel de véhicules dangereux, le ministère des Transports du Canada n'a pas ce pouvoir-là. Il peut seulement demander aux entreprises de le faire et les poursuivre si elles ne le font pas.

En vertu de la Loi sur la sécurité automobile, le ministère des Transports n'a qu'un pouvoir réglementaire sur GM Canada. Cette dernière, et presque tout le monde s'entend là-dessus, ne fait qu'avaliser des décisions prises à Détroit.

Cependant GM Canada pourrait se voir infliger une amende allant jusqu'à 2 millions de dollars s'il s'avère qu'elle était au courant de la défaillance et ne l'a pas révélée aux régulateurs fédéraux dès que possible.

« Quand il est question de rappels, il semble que le Canada n'a pas son mot à dire », dit Clarence Ditlow, du Centre pour la sécurité automobile à Washington, DC.

Cinq mois après l'accident qui a causé la mort de Danylo Kulish, sa famille a reçu une lettre de la PDG de GM, Mary Barra, présentant des excuses pour « les désagréments et la frustration » causés par la façon dont les problèmes de commutateur d'allumage ont été gérés.

« Je suis fâché. Pourquoi faudrait-il attendre quelque chose des États-Unis ? », dit son frère Taras.

GM a reconnu qu'elle devait corriger un défaut du commutateur d'allumage de certains de ses modèles, qui peut faire bouger la clé de contact en position « off », parfois à haute vitesse.

Ainsi, toute secousse ou coup que reçoit un véhicule défectueux, par exemple en raison d'un porte-clés trop lourd, d'un coup de genou ou d'un chemin cahoteux, peuvent faire glisser le commutateur d'allumage et provoquer l'arrêt du moteur en plein trajet.

Ces coupures de contact subites, en plus d'arrêter la voiture brusquement, peuvent désactiver la direction et les freins assistés et empêcher les sacs gonflables de se déployer.

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