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Pourquoi l'État islamique a réussi à supplanter Al-Qaïda

Pourquoi l'État islamique a réussi à supplanter Al-Qaïda
MOSUL, IRAQ - JULY 5 : An image grab taken from a video released on July 5, 2014 by Al-Furqan Media shows alleged Islamic State of Iraq and the Levant (ISIL) leader Abu Bakr al-Baghdadi preaching during Friday prayer at a mosque in Mosul.(Photo by Al-Furqan Media/Anadolu Agency/Getty Images)
Anadolu Agency via Getty Images
MOSUL, IRAQ - JULY 5 : An image grab taken from a video released on July 5, 2014 by Al-Furqan Media shows alleged Islamic State of Iraq and the Levant (ISIL) leader Abu Bakr al-Baghdadi preaching during Friday prayer at a mosque in Mosul.(Photo by Al-Furqan Media/Anadolu Agency/Getty Images)

Des paroles aux actes. Un touriste français, Hervé Gourdel, a été enlevé le 22 septembre en Algérie quelques heures seulement après que le groupe de jihadistes de Etat islamique (anciennement appelé Etat islamique en Irak et au Levant et désormais Daesh) qui sévit en Irak et en Syrie a ouvertement menacé la France et ses ressortissants. Dans une vidéo mise en ligne sur Youtube quelques heures après le rapt, les ravisseurs ont posé un ultimatum à la France: ils ont menacé d’exécuter l'otage dans les 24 heures si l'Hexagone ne cessait pas immédiatement ses frappes contre l'Etat islamique.

L'enlèvement a été revendiqué par un groupe jihadiste algérien qui se fait appeler "Jund al-Khilafa" (Les soldats du Califat). Actif depuis plusieurs années, le groupe faisait partie de la nébuleuse d'AQMI, la branche d'Al-Qaïda au Maghreb jusqu'à il y a quelques jours. En effet, le 14 septembre, le groupe a fait savoir qu'il prêtait serment d'allégeance à l'Etat islamique.

Si au départ, l'Etat islamique est une branche d'Al-Qaïda, aujourd'hui les deux groupes terroristes sont non seulement distincts mais surtout concurrents sur un certain nombre de points. Et c'est l'Etat islamique qui est en train de damer le pion à sa grande sœur Al-Qaïda, quoiqu'en dise le mouvement fondé par Ben Laden.

Comment a fait l'Etat islamique pour chiper la place d'Al-Qaïda? Retour en arrière.

Al-Qaïda, une organisation sans chef charismatique et éclatée

Dirigée par Ayman al-Zawahiri, Al-Qaïda a perdu le panache qu'elle avait du temps d'Oussama Ben Laden. En effet, la perte de son chef emblématique ainsi que les multiples frappes occidentales ont affaibli l'organisation. Aujourd'hui, Al-Qaïda ressemble plutôt à une multitude de filiales qu'à une entité indivisible.

Or, ces entités sont également la cible des Occidentaux. Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a perdu une partie de ses effectifs depuis l'intervention des troupes françaises au Mali. Les shebabs somaliens, composante du réseau Al-Qaïda, ont quant à eux perdu leur chef Ahmed Abdi "Godane" à la suite d'une frappe aérienne américaine.

Par ailleurs, si ces sous-groupes ne sont pas sortis du giron d'Al-Qaïda pour le moment, il n'est pas dit qu'elles ne prendront pas plus d'autonomie avec le temps. La preuve avec le récent appel au rassemblement lancé par AQMI et l'AQPA, la branche yéménite d'Al-Qaïda. Dans un communiqué sans précédent, les deux groupes ont exhorté les jihadistes en Irak et en Syrie à s'unir face aux actions de la coalition internationale. Un appel qui fait directement référence aux divergences entre l'Etat islamique et le Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda.

Alors pour faire face à l'influence grandissante de l'Etat islamique, Al-Qaïda a annoncé la création d'une nouvelle branche du mouvement islamiste en Asie du Sud (Bangladesh, Birmanie et certains Etats de l'Inde). Une manière de relancer sa "marque" qui risque d'être confrontée à un problème de taille: l'absence de soutien de la population dans cette région.

L'Etat islamique a désormais le pouvoir financier

L'argent, on le sait bien, est le nerf de la guerre. Or il semblerait que l'Etat islamique soit bien plus riche qu'Al-Qaïda. Et cela s'explique par le mode de financement des deux groupes.

Au contraire d'Al-Qaïda, dont les ressources proviennent essentiellement de dons, les jihadistes de l'Etat islamique peuvent compter sur la manne pétrolière ce qui fait sans doute d'eux les extrémistes les plus fortunés au monde. La source de revenu principale réside en effet dans les onze champs pétrolifères qu'EI a saisis dans l'est de la Syrie et dans le nord de l'Irak. Les jihadistes revendent le pétrole brut pour une bouchée de pain contre de l'argent liquide et les produits raffinés dans des pays voisins. Selon Louaï al-Khattib, chercheur au Brookings Doha, ils pourraient empocher jusqu'à 2 millions de dollars par jour grâce à la revente de pétrole. Ils raffinent l'or noir dans des raffineries de fortune, puis le font passer en camion, par bateaux ou même à dos d'ânes vers la Turquie, l'Iran et la Jordanie, où il est revendu entre 25 et 60 dollars le baril, soit bien moins que les 100 dollars qui ont cours sur les marchés mondiaux, estime-t-il.

Par ailleurs, les jihadistes de l'EI tirent leur argent du "racket des commerçants locaux et des "taxes" qu'ils prélèvent sur les automobilistes et chauffeurs routiers qui empruntent les routes dans le territoire sous leur contrôle", rapporte un responsable du renseignement américain qui s'exprime sous le couvert de l'anonymat. Le groupe "se finance grâce à des méthodes semblables à celles d'une organisation mafieuse", explique-t-il.

De fait, les sanctions occidentales n'ont pas de prise sur ces sources de financement totalement souterraines, souligne Evan Jendruck, consultant chez IHS Jane's. A l'inverse, le régime de sanctions adopté par 160 pays a réussi à brider les flux financiers qu'Al-Qaïda faisait passer par des organisations caritatives et des banques.

Deux "offres" idéologiques

Sur le fond, Al-Qaïda et l'Etat islamique ont bien quelques points communs mais ils se distinguent sur de nombreux autres. "Si l'EI et al-Qaïda centrale ont bel et bien des repères idéologiques communs, des divergences doctrinales subsistent entre les dirigeants de l'Etat islamique et Ayman al-Zawahiri [chef d'Al-Qaïda, NDLR], notamment sur le statut des masses populaires chiites dans le monde arabe et l'attitude qu'il convient d'adopter à leur égard", expliquait Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes, dans une tribune au HuffPost. En effet, al-Zawahiri refuse d'excommunier les chiites alors que l'Etat islamique les massacre.

Romain Caillet expliquait également au magazine Le Point que les deux groupes se différenciaient par leur vision politique. "Al-Qaida prône un djihad déterritorialisé, où l'Occident est l'ennemi principal. L'EI, quant à lui, souhaite établir sa domination sur un territoire, en établissant immédiatement ses institutions, notamment ses tribunaux et sa police religieuse, sans attendre la fin du conflit", souligne le chercheur.

L'Etat islamique a rendu Al-Qaïda has been

Mais au-delà du fond, il y a aussi bien entendu la forme. Dès le départ, l'Etat islamique a compris l'importance de la propagande et a largement diffusé ses actions, ses succès, ses menaces et sa vision du monde. "L'EI a compris qu'il ne convaincra pas la vieille garde l'Al-Qaïda", ajoute à l'AFP Thomas Hegghammer du Centre norvégien de recherches sur la défense.

"Mais il a compris qu'il pouvait intéresser les jeunes recrues [...] C'est de loin le plus actif sur l'internet jihadiste au cours de l'année écoulée. Et avec ses succès sur le champ de bataille, il a montré qu'il avait un impact sur le monde réel dont les autres groupes jihadistes ne peuvent que rêver. Les nouvelles recrues, qui sont jeunes et impatientes, sont attirées par le groupe qui obtient des résultats", ajoute-t-il.

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