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Épilation du maillot : pourquoi a-t-on déclaré la guerre aux poils ?

Pourquoi a-t-on déclaré la guerre aux poils?
AntonioGuillem via Getty Images

Il fait chaud, il fait beau, c'est l'été. Les marchands de climatiseurs sont sur les starting blocks, les vendeurs de barbecue ont le sourire aux lèvres et les esthéticiennes se frottent les mains. Quand le soleil est au beau fixe, les clients sont toujours au rendez-vous. Plus encore que le reste de l'année, l'été rime avec épilation. Pas de place pour les poils à la plage. Pourquoi? Parce que ce n'est pas beau est l'argument le plus couramment évoqué. Pourtant, de Madonna à Cameron Diaz, certaines stars s'élèvent contre ce diktat.

La guerre au poil a été déclarée il y a si longtemps que l'on a fini par oublier les raisons qui nous avaient amenés à vouloir l'éradiquer à tout prix. Hygiène, théorie de l'évolution et amour du lisse, voilà quelques unes des justifications qui ont poussé hommes et femmes à faire du rasoir, de la bande cire et plus tard de l'épilateur, du laser ou de la lumière pulsée leurs fidèles compagnons.

L'homme ne veut pas être un singe

Revenons aux fondamentaux, l'homme et la femme sont naturellement poilus, comme tous les mammifères, ou presque. Avec les mamelles, ce sont les deux caractéristiques qui nous différencient du reste du monde animal. Le poil sert de protection quand les températures sont trop froides ou trop chaudes et dresse une barrière naturelle pour préserver notre épiderme contre les agressions de toutes sortes, comme les éraflures. Voilà pour la leçon de biologie.

Dans les faits, nous avons le même nombre de follicules pileux (la cavité dans lequel le poil prend naissance) que le singe, comme l'explique Anne Friederike Müller-Delouis dans "Histoire du poil" paru en 2011. Et c'est là toute l'origine du problème : nous avons peur d'être confondu avec notre plus proche cousin. Pourtant, depuis que nos chemins se sont séparés de celui du singe, nos poils sont devenus bien plus fins que les siens. Pourquoi? Sur ce point, aucune certitude scientifique.

Le feu est une découverte capitale dans l'évolution de l'homme. Il nous a permis de cuire nos aliments mais aussi de nous réchauffer. C'est à cette époque que les poils auraient perdu de leur utilité. Le ratio bénéfice/désavantage ne penchait pas en faveur du poil : ils offraient un terreau favorable à la propagation de maladies par les parasites qui s'y logeaient alors qu'au même moment vêtements et habitations se généralisaient selon la dernière étude sur le sujet publiée en 2003. Cette hypothèse dite "climatique" est la plus répandue, mais les spécialistes ne sont pas encore parvenus à la dater avec précision. Vérité scientifique ou non, l'image de l'homme de préhistorique hirsute et sauvage reste dans les esprits. L'homme civilisé n'est pas poilu.

Poilu, oui mais pas trop

À la fin du XIXe siècle, la toute jeune anthropologie mesure le poil, son diamètre, sa longueur pour tenter d'établir un classement des différentes "races humaines" selon les termes de l'époque. Conclusion, moins les hommes sont poilus, plus ils sont évolués et intelligents. Petit problème pour les tenants de cette "théorie", les Européens sont plus poilus que les Indiens d'Amérique. Pour ne pas perdre la face, on attribue alors à la pilosité masculine, quelques vertus. Les poils de l'homme renforcent sa virilité, qu'ils ornent son visage, son torse ou ses jambes. Les Indiens d'Amérique sont eux accusés de fainéantise et de manque de vigueur sexuelle.

Les poils du corps de la femme, en revanche, sont unanimement pointés du doigt. "L'imagination populaire, assimilant le système pileux à la fourrure, y voit un indice d'animalité et d'agressivité sexuelle. Les hommes le cultivent [...]. Les femmes le dissimulent", résumait en 1970 l'écrivaine australienne et universitaire féministe, Germaine Greer.

La Maja nue de Goya peinte avant 1800 et confisquée par l'Inquisition en 1814 pour obscénité

L'amour du glabre, du lisse et du propre

Il n'a pas fallu attendre le XIXe siècle pour que les femmes s'épilent. De la reine Cléopâtre aux dames du Moyen-Âge, le poil était déjà chassé par certaines femmes, souvent les plus fortunées. Mais et c'est là toute la différence, "l'épilation féminine n'a jamais été une norme" rappelle Stéphane Rose, auteur d'un essai paru en 2010, "Défense du poil". La mode était changeante, la Renaissance par exemple aimait le poil comme le début du XIXe. L'interdit du poil s'est installé au siècle suivant et n'a cessé de se renforcer depuis. Cette histoire, c'est le triomphe du lisse.

De tous les poils du corps, c'est le poil pubien qui est le plus haï. Dans la peinture d'abord, les pubis sont cachés ou représentés sans poil. Pourquoi? "Le nu féminin n'était pas considéré comme obscène si les poils pubiens n'étaient pas représentés" explique Marie-France Auzépy dans son introduction à l'"Histoire du poil" et cette règle court jusqu'à la fin du XIXe siècle. En témoigne les réactions outrées devant le tableau de Gustave Courbet, L'Origine du monde.

Dans les années 1930, elle fait son retour à Hollywood. "Les organes génitaux de la femme ne doivent pas se traduire, sous une étoffe, ni en ombre, ni en sillon. Toute allusion au système pileux, y compris les aisselles, est proscrite", c'est ainsi que le code moral établi pour les productions des studios hollywoodiens interdit le poil et le sexe. En France, on censure automatiquement les poils des parutions dans les magazines jusque dans les années 60.

La pornographie, l'hygiénisme et les industriels imposent de nouvelles normes

Ce n'est pas tant le sexe qui pose problème que les poils qui le cachent. La femme sans poil est physiquement redevenue une enfant, en position de faiblesse donc. En enlevant les poils on retire ce qui est sexuel en montrant l'organe sexuel, on enlève le mystère. Au Japon et dans les pays musulmans, les poils féminins (et parfois masculins) subissent pareil traitement. Les seuls poils que l'on tolère sont les cheveux qui détachés et reposant sur les épaules sont un symbole fort de séduction. La sexualité n'est pas la seule explication à cette lutte sans merci, l'hygiène est aussi en question. Il s'agit d'avoir un corps aussi lisse que possible et sans odeur. Or cette guerre contre les poils se transforme pour de nombreuses femmes en un "travail de Sisyphe [...] qui se solde souvent par un sentiment de honte face à l'échec inévitable", car oui, malgré tout le travail engagé, ils repoussent.

Après les années 60 et 70 qui avaient décomplexé le rapport aux poils, la lutte repart de plus belle culminant aux années 1990 et 2000 qui voient l'épilation devenir un diktat pour les femmes d'abord et pour un nombre grandissant d'hommes. Désormais, le poil n'est plus la norme. Premier responsable selon Stéphane Rose, la pornographie qui promeut des sexes sans un poil. Une étude de l'Ifop publiée en avril 2014 confirme cette hypothèse : "le sexe glabre vu dans les films X s'impose de plus en plus comme la norme du corps féminin désirable aux yeux des hommes parmi les jeunes générations où la consommation de porno est la plus forte", remarquait alors François Kraus, directeur d'études à l'Ifop. L'Institut de sondage estime qu'en 2014 une jeune femme de moins de 25 ans sur deux a recours à l'épilation intégrale.

(L'article continue après le diaporama) En janvier 2014, comble de la provocation, la marque American Apparel affiche en vitrine des mannequins avec des poils pubiens

Les mannequins poilus d'American Apparel

Ce lisse derrière lequel nous courons représente la jeunesse, la douceur et l'innocence. Une quête entretenue par les industriels pour qui le secteur de l'épilation est très rentable. Quelques voix s'élèvent contre l'épilation comme le mouvement féministe MIEL (Mouvement international pour une écologie libidinale) qui dénonce l'épilation comme contre-nature, le tumblr "Hairy Legs Club" (littéralement le club des jambes poilues) sur lequel des femmes s'exposent avec leurs poils ou encore le travail du photographe anglais Ben Hopper et son projet Natural Beauty que Le HuffPost avait relayé.

En 2007, Laetitia Casta, citée par Stéphane Rose, annonçait le retour du poil : "Vous allez voir, ça va revenir à la mode, les poils. Elles vont être bien emmerdées, celles qui se sont fait épiler définitivement". Sept ans plus tard, ce n'est toujours pas le cas.

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