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Ces hassidiques qui veulent échapper aux écoles illégales

Ces hassidiques qui veulent échapper aux écoles illégales
Radio-Canada

Shiffra et Adam ont grandi dans une communauté hassidique avant de la quitter pour que leurs enfants aient accès à un enseignement laïque, pour qu'ils échappent à ce qu'ils qualifient de prison intellectuelle. Un chemin de croix qui aurait été plus facile si Québec avait appliqué la loi sur l'instruction publique, dénoncent-ils.

Le reportage d'Émilie Dubreuil

En 2006, Radio-Canada révélait que des milliers d'enfants juifs hassidiques étaient scolarisés en contravention de la loi sur l'instruction publique. Des milliers d'enfants qui fréquentent des écoles exclusivement religieuses et ne respectent pas les programmes obligatoires.

Avoir accès à l'éducation jusqu'à 16 ans est pourtant un droit de l'enfant au Québec. Or, malgré les promesses des divers gouvernements, la situation n'a guère évolué.

Une situation que Shiffra a vécue. Elle a bravé bien des tempêtes pour pouvoir venir chercher ses enfants dans cette école. Une école francophone, de la CSDM, où ses enfants apprennent les mathématiques, l'histoire, la géographie.

Des immigrés de l'intérieur

Quand Shiffra et Adam décident de quitter leur communauté, la petite famille ne parle que le yiddish. Shiffra a appris le français dans un centre pour immigrants de Côte-des-Neiges. « Le yiddish, c'est aussi une tactique pour être très coupés du monde. Comme ça, les enfants n'ont pas accès à d'autres informations ».

Adam, son mari, reste en colère contre Québec. Bien qu'ils aient tous deux grandi à Boisbriand, il n'a jamais eu de cours de mathématiques, de français ou d'anglais. Seulement une éducation religieuse, ce qui est contraire à la loi sur l'instruction publique.

« Moi, je suis un survivant. [...] Les politiciens du Québec sont coupables de mon ignorance, et je leur en veux. » — Adam

En 1963, 18 familles de la communauté tosh s'installent dans cette municipalité de la couronne nord de Montréal parce que leur leader, Rabbin Lowy, veut isoler ses fidèles de ce qu'il appelle les mauvaises influences de la ville.

Cinquante ans plus tard, les tosh de Boisbriand sont 3000.

« Ma mère a 11 enfants. Et moi je voulais en faire plus, parce c'est comme une compétition. C'est la seule valeur d'une femme dans la communauté : faire beaucoup de soldats pour Dieu. » — Shiffra

« Comme une prison »

Malgré le fait que leur union soit le résultat d'un mariage arrangé, le couple s'aime. Ils ont quatre enfants. Mais peu à peu, le doute s'installe. Ils ont soif de connaissances et de liberté, surtout pour leurs enfants.

« Mon mari et moi, on a décidé que c'était très important pour les enfants d'avoir une bonne éducation, et j'espérais qu'à Montréal, il y aurait plus d'accès. Là-bas, il y a seulement une école, mais ce n'est pas vraiment une école. » — Shiffra

« Toutes les semaines, il y a une différente portion de la Bible qu'on pratique, et c'est tout ce qu'on fait toute la journée. Il n'y a pas de sport, pas de choses pour aimer l'école, détaille la mère de famille. Ce n'est pas une stimulation pour le cerveau, c'est comme une prison. »

L'éducation honnie

Pourtant, la loi est claire : tous les enfants ont le droit d'être scolarisés en vertu d'un régime pédagogique établi par le ministère de l'Éducation.

Or, aucune des écoles pour garçons des tosh de Boisbriand n'apparaît dans les registres du ministère. Ce qui est tout à fait conforme à la tradition hassidique. Les garçons doivent se consacrer à l'étude des textes religieux.

« Dans ma communauté, c'est très grave d'avoir une éducation [...]. C'est contre la culture, parce que si on sait trop de choses de dehors, ça fait une friction. [...] On ne va pas se soumettre à toutes les choses qu'on demande. » — Shiffra

De plus, l'une des écoles de filles a perdu son permis l'an dernier.

D'autres communautés concernées

La situation chez les tosh n'est pas unique. À Outremont et dans le Mile-End, les satmars refusent également l'enseignement laïque pour les garçons comme pour les filles. Tandis que les écoles de la communauté skver ont des permis seulement pour les filles. Pourtant, depuis des années, de nombreux politiciens se sont engagés à régler la question.

Au ministère de l'Éducation, on refuse de commenter le dossier.

On sait par contre que Québec poursuit la Yeshiva Toras Moishe, une école primaire pour garçon de la communauté satmar, pour son refus d'enseigner les matières obligatoires. La cause sera entendue l'automne prochain. L'avocat de l'école entend plaider que ses clients devraient bénéficier d'exemptions par respect pour leurs convictions religieuses.

Pour le mari de Shiffra, l'argument du respect des croyances religieuses est fallacieux.

« Ceux qui disent que forcer les hassidiques à scolariser les enfants revient à de l'antisémitisme, je leur dis l'antisémitisme, d'après moi, c'est de ne pas aider les enfants juifs à être scolarisés. » — Adam

Depuis quelques années, de plus en plus de jeunes hassidiques décident de quitter leurs communautés. Sur des forums de discussions, certains « ex » évoquent l'idée d'intenter des recours collectifs pour avoir été privés d'éducation. C'est le cas en Israël et dans l'État de New York.

Le difficile calcul des écoles illégales

Difficile de dire combien d'écoles hassidiques scolarisent des enfants dans des écoles parallèles. Plusieurs groupes vivent à Montréal, et chacun a ses écoles. Les principaux sont :

Les tosh

Arrivés au Québec en 1951, ils s'installent à Boisbriand en 1963. Ils sont aujourd'hui 3000. Une école de filles, l'académie Beth Tziril, a perdu son permis en juin 2013. Elles étaient alors 123 au secondaire et 213 au primaire.

Les écoles pour garçons ne sont même pas répertoriées par le ministère. Et on ne sait pas combien il y en a. Après un schisme au sein du groupe, certains parents auraient ouvert une école clandestine dans une maison à proximité de la communauté.

Les satmar

Communauté installée principalement à Outremont depuis les années 50, qui compte quelques milliers de personnes. L'académie Beth Esther a perdu son permis en juin 2012. À l'époque, 244 élèves y étaient inscrits.

Le gouvernement poursuit l'école primaire des garçons pour son refus d'enseigner les matières de base. La cause devrait être entendue à l'automne.

De plus, impossible de retrouver les garçons de 13 ans et plus. Surtout qu'ici aussi, il y a eu un schisme au sein de la communauté. Il est donc probable que le ministère ignore l'existence de certaines écoles.

Les skver

Petite communauté d'origine russe établie aussi à Outremont. Les écoles de filles ont des permis, pas celles de garçons. La communauté vient d'acheter l'édifice Boveril au coin d'avenue du Parc et Bernard pour abriter ces écoles talmudiques.

Au primaire, la dernière fois qu'ils ont eu un permis en 2011-2012, 105 enfants étaient inscrits.

Les belz

Communauté installée dans le Mile-End. Toutes ses écoles ont encore des permis. Mais les inspecteurs ont constaté en août 2013 que le nombre d'heures consacrées aux matières obligatoires était encore déficient.

Selon le décompte, les écoles comptaient 252 filles et 277 garçons au primaire, ainsi que 281 filles et garçons au secondaire.

Les loubavitch

La communauté hassidique la plus populeuse de Montréal, installée dans Côte-des-Neiges depuis 1941. Ses écoles sont légales.

Toutefois, le dernier rapport de la direction de l'enseignement privé (2011-2012) mentionne des lacunes importantes dans l'enseignement prodigué aux garçons, notamment au niveau du temps d'enseignement.

Dans ce même rapport, on peut lire que cinq écoles pour garçons devaient se conformer à la loi avant la rentrée 2012. Or, le dernier rapport 2012-2013 n'a pas encore été publié. Le ministère refuse de nous dire si ce groupe de cinq s'est conformé, ni quelles écoles le constituent.

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