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Commission Charbonneau: Les stratagème des sociétés-écrans expliqué

Commission Charbonneau: Les stratagème des sociétés-écrans expliqué
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La commission Charbonneau a entendu lundi Clément Desrochers, qui a longtemps fait de la tenue de livres pour Normand Dubois, condamné récemment à six ans de prison pour avoir dirigé un réseau de fausse facturation dans l'industrie de la construction.

Un texte de Bernard Leduc

M. Desrochers, qui a travaillé de 2001 à 2005 pour M. Dubois, puis à nouveau de 2007 à 2011, a expliqué avoir été assez rapidement impliqué, en toute connaissance de cause, dans ses stratagèmes.

M. Dubois, a-t-il expliqué, utilisait des sociétés-écrans, véritables coquilles vides qui, sous prétexte de louer de la main-d'œuvre à des entrepreneurs en construction, leur permettaient en fait d'obtenir de l'argent comptant.

Il a donné comme exemple de coquille Riche-Lieu, une entreprise dont il a déjà été question dans le témoignage de Bernard Bellavance.

Selon M. Desrochers, qui a fait la tenue de livres pour huit ou dix coquilles, les principales entreprises clientes de Normand Dubois œuvraient dans le coffrage : il s'agit de groupe Astra, Constructions Attila et Constructions Saint-Léonard.

Selon le stratagème, les coquilles fournissaient des factures aux entreprises pour la location d'employés qui, en fait, étaient déjà à leur service, mais apparaissaient dans les livres des coquilles.

Les chèques donnés en retour par les entreprises pour payer ces fausses locations d'employés étaient ensuite encaissés par une première coquille qui faisait alors un chèque, à son tour, à une seconde coquille, qui allait alors l'échanger contre du liquide dans des compagnies d'encaissement.

L'argent comptant était alors retourné aux entreprises, moins un pourcentage que se gardait au passage M. Dubois.

Mais c'est avec la TPS et la TVQ perçues auprès des entreprises par les coquilles et que, pour l'essentiel, il ne remboursait pas au gouvernement, que M. Dubois faisait l'essentiel de ses profits, a reconnu M. Desrochers.

La durée de vie de ces coquilles, qui faisaient peu de cas de leurs obligations fiscales, variait entre dix mois et un an et demi, soutient M. Desrochers, soit jusqu'à ce que Revenu Québec envoie un avis vérification.

« C'est Dubois qui me disait : ''on va opérer dans telle compagnie, la compagnie va fermer, faque là on va se partir une autre compagnie pour mettre les employés dedans, pour être capable de continuer à opérer et facturer la main-d'œuvre'' » — Clément Desrochers

Normand Dubois décidait tout ce qui se passait dans les sociétés-écrans et répartissait les tâches entre ses employés, a soutenu M. Desrochers.

Selon le témoin, le fisc a toujours trouvé les sociétés-écrans, ce n'était qu'une question de temps.

Lumière sur un stratagème bien huilé : le cas Bellavance

M. Desrochers a expliqué que le stratagème lui est apparu au grand jour dès 2002-2003 lorsqu'il a été mêlé de près aux tractations entre Normand Dubois et le propriétaire de Riche-Lieu, Bernard Bellavance.

Selon le témoin, M. Bellavance avait accepté que sa compagnie, inactive, serve de coquille pour ''héberger'' entre 50 et 60 travailleurs pour Astra contre 5000 $ par mois, jusqu'à concurrence de 100 000 $.

Lors de son témoignage devant la commission, M. Bellavance avait admis avoir accepté de laisser M. Dubois utiliser sa licence d'entrepreneur en construction de la Régie du bâtiment, convaincu que le tout se traduirait par une éventuelle association d'affaires.

Mais selon M. Desrochers, il n'a jamais été question d'une association entre les deux hommes. En fait, M. Dubois lui aurait dit noir sur blanc que sa compagnie, comme toute coquille, disparaîtrait.

« Il a tout expliqué. Il lui a dit que sa compagnie était appelée à mourir parce qu'il voulait faire profiter sa compagnie, faire de l'argent avec, et que vers la fin, il ne payait pas les déductions à la source, il ne payait pas la TPS TVQ et qu'à ce moment-là, ils splitteraient en parties égales ou selon un certain pourcentage entre les deux », a soutenu M. Desrochers, ajoutant que M. Dubois avait en outre promis de lui payer ses avocats pour régler sa faillite.

Selon le témoin, l'entente aurait duré un peu moins d'un an, soit de la fin 2002 à novembre 2003, soit jusqu'à ce que M. Bellavance, incapable de faire face aux avis de réclamations de Revenu Québec, fasse faillite.

M. Bellavance aurait touché 80 000 $ pour avoir prêté sa compagnie à M. Dubois.

M. Desrochers lui aurait par ailleurs versé personnellement 5000 $ pour les frais d'avocats liés à sa faillite, M. Dubois ayant refusé d'honorer cette partie de leur entente.

Le témoin affirme que, mis à part le cas de Bellavance, il n'avait jamais participé aux négociations entre Normand Dubois et les propriétaires de coquilles. Il affirme que son patron l'informait des ententes une fois conclues.

M. Desrochers a expliqué qu'outre le stratagème sur la main d'œuvre, Normand Dubois faisait aussi des fausses factures « pures et simples » pour des entreprises, contre une commission de 5 %.

Selon le témoin, M. Dubois s'était même arrangé avec des bureaux de change pour qu'ils acceptent de lui verser, sur réception de chèques postdatés, de l'argent liquide, contre une commission de 2,5 % ou 3 %.

M. Desrochers a conclu son témoignage en soutenant qu'il faudrait des contrôles plus sévères et serrés de la part de Revenu Québec pour que de tels stratagèmes ne puissent plus avoir lieu.

M. Desrochers a été arrêté une première fois en novembre 2011 pour une fraude commise aux dépens de la Banque nationale. Aucune accusation n'a alors été déposée contre lui.

Puis, en octobre 2012 il est arrêté dans le cadre du projet Garrot qui a permis d'épingler Normand Dubois. Il est alors accusé de fraude, vol et gangstérisme. Il est toujours en attente de son procès.

La filière du comptant

L'automne dernier, l'entrepreneur Louis-Pierre Lafortune avait admis que son entreprise Fortier Transfert avait déjà obtenu de l'argent comptant en faisant de la fausse facturation grâce à certaines sociétés-écrans, dont Construction Riche-Lieu.

La commission avait par ailleurs allégué que de fausses factures produites par Riche-Lieu avaient été transmises à l'entreprise Ganotec depuis les bureaux de Fortier Transfert, une situation que M. Lafortune n'avait pu expliquer.

Appelé à témoigner le mois dernier,Serge Larouche, PDG de Ganotech a admis de son côté que son entreprise a fait affaire avec Riche-Lieu pour obtenir de l'argent comptant. Il avait soutenu que M. Lafortune venait lui-même porter cet argent comptant aux bureaux de Ganotech, une information que M. Lafortune avait démenti lors de son témoignage.

M. Larouche a affirmé que cet argent comptant permettait à Ganotech de payer l'argent que lui avait extorqué Gérard Cyr, directeur général de local 144, le syndicat des électriciens affilié au Conseil provincial du Québec des métiers de la construction.

Par François Messier

Le témoignage de M. Desrochers est terminé. La commission entendra mardi matin l'enquêteur de la SQ Jérôme Bédard.

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