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Tunisie: «Danseurs citoyens», ou quand la danse fait de la résistance

La Tunisie fait de la résis-danse

Le week-end dernier, une représentation un peu spéciale est venue rompre la monotonie du quotidien.

Petits rats de l’opéra dans le train TGM, breakdance entre les étals du marché central de Tunis, et acrobates aériens suspendus au pont Habib Bourguiba ont surpris et émerveillé les passants, puis séduit les réseaux sociaux avec leur spectacle intitulé "Street Dreams" (Voir la vidéo ci-dessus)

Mais qui sont ses artistes de rue qui font le show là où on ne les attend pas? Des "danseurs citoyens" adeptes des représentations publiques, uniques et poétiques.

Créée par le danseur et chorégraphe Bahri Ben Yahmed pour "défendre le statut des danseurs auprès des autorités", cette association transforme les rues de Tunis en grandes scènes ouvertes à tous. Un spectacle insolite où les corps se fondent dans le décor, où les danseurs se mêlent à la foule, pour ne former qu’un.

"Créer, c’est résister. Résister, c’est créer", a dit Stéphane Hessel. Et ces Tunisiens l’ont pris au mot.

L’art urbain, au corps à corps

Interrogé par le HuffPost Maghreb, Bahri Ben Yahmed déplore le fait que "nos jeunes danseurs sont laissés à l’abandon", ignorés des pouvoirs politiques. "Pourtant le nombre de danseurs pratiquant cet art ne cesse de croître."

Le but de l’association: faire de la danse "un métier d’avenir, accessible et fructueux" en permettant une formation complète ainsi qu’une reconnaissance de diplômes dans ce domaine par les pouvoirs publics tunisiens.

Dernière représentation en date qui n’est pas passée inaperçue, "Street Dreams" a demandé un mois de préparation et de répétitions, et la participation d’une dizaine d’artistes.

Photo: Facebook/Danseurs Citoyens (Francesca_Oggiano)

"La danse représente pour nous, un moyen de rassembler les Tunisiens au moment où le pays s’enfonce dans une crise qui accentue trop souvent la division de son peuple, nous explique Bahri. (…) Il s’agit avant tout pour nous de rétablir le lien entre expression artistique et engagement citoyen."

Et quoi de mieux que le corps pour s’exprimer et résister? En investissant des lieux non réservés aux élites de la société, en sortant "le corps de la logique du spectacle", les danseurs de l’association espèrent rapprocher les gens et les familiariser avec l’art sous toutes ses formes. Mais aussi tirer la sonnette d’alarme artistique.

"Sortir du rapport dominant-dominé, et, sans haine ni violence, dans l'improvisation du rire et de l'amour, nous nous servons du corps comme une invitation. Il est pour nous ce médiateur, une arme contre une identité en crise. A travers les cris, les larmes, les coups et l'immolation c'est bien le corps qui nous rappelle combien il faut le respecter pour rester digne. Quand dans nos désaccords on ne trouve pas de lieux politiques, sociaux, médicaux et architecturaux c'est bien souvent dans cette rue et par le corps que l’on arrive à se réunir, libre."

Au-delà des représentations, Bahri Ben Yahmed nous confie aussi avoir d’autres idées socio-économiques et culturelles en tête pour le grand Tunis et les régions plus reculées, comme réaménager l’ancien centre national de la danse, aujourd’hui en ruines, et d’y ouvrir des studios de danse.

Le projet "Danseurs Citoyens" est soutenu par le chorégraphe suisse Gilles Jobin, la ville de Genève, ainsi que d’autres chorégraphes et danseurs talentueux comme Malek Sebai. Pour ce qui est des autorités tunisiennes, "nous essayons de les convaincre d’investir", nous dit Bahri.

Alors, on danse?

"Danseurs Citoyens", c’est avant tout un concept, animé par des citoyens "avant tout" qui cherchent à démocratiser la danse. "Notre combat est de faire en sorte que l’espace public deviennent accessible aux artistes".

Quand on lui demande si ces représentations nécessitent une autorisation préalable, Bahri répond: "Un citoyen n’a pas à demander une autorisation quand il a envie de danser."

Lancée en décembre dernier par l’association Art Solution, les performance appelées "Je danserai malgré tout" visaient déjà à promouvoir la danse et à déjouer les menaces que la montée de l’islamisme.

Et au fil des mois, le talent artistique des Tunisiens n’a cessé de croître et de s’affirmer, enchaînant les évènements et érigeant l’art en acte de résistance.

Souvenons-nous du fameux "Harlem Shake" au lycée Pères-Blancs, condamné par le ministère de l’éducation.

Et plus récemment des dizaines de vidéos "Happy" à travers tout le pays, sur fond d'instabilité crise politique.

"Aujourd’hui nous cherchons à redonner place à la créativité de notre jeunesse tunisienne à travers la reconnaissance de ses compétences et de ses ambitions", explique Bahri Ben Yahmed.

"La vague ‘Happy’ ou d’autres phénomènes comme celui du ‘Harlem Shake’ ne peuvent que banaliser l’acte de danser et le démocratiser. Nous cherchons à rendre la rue plus accessible." Et l’expression artistique aussi, par la même occasion.

Quant aux prochaines représentations, le programme n’est jamais connu à l’avance. Peut-être pour mieux préserver la magie et la beauté de l’événement.

Le rideau peut se lever n’importe où, n’importe quand, mais surtout envers et malgré tout…

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