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Kanye West: un dieu sur sa montagne

Kanye West: un dieu sur sa montagne

Après un rendez-vous manqué à l’automne, le populaire chanteur américain Kanye West était au Centre Bell pour livrer un spectacle à la fois impressionnant et déroutant. Avec les morceaux de son très respecté Yeezus, sixième album studio, le chanteur controversé est resté fidèle à lui-même: un incontournable rappeur, une caricature mégalomane, un bon entertainer, un «visionnaire», une construction délurée d’un hip hop qui remplit les amphithéâtres.

Au fond, qui peut vraiment dire ce qui s’est passé avec l’excentrique homme de 36 ans, lundi soir?

Au-delà de ses nombreuses esbroufes en public et de son attitude égocentrique surfaite et discutable (voire merdique à l’occasion), Kayne West a de quoi attirer l’attention. Après 10 ans de carrière, le «jackhass genius» a sans contredit l’étoffe d’un des plus grands rappeurs, malgré ce que peuvent en dire tous ses détracteurs.

Ironiquement, le concert a pu donner raison tant à ses amateurs qu’à ses médisants. Son concert, une sorte d’opéra-théâtre-rap-comédie-musicale-clair-obscur, est à la fois brillant et aliénant, tellement les bons coups rencontrent le cliché et le mauvais goût. À commencer par tous ces superbes beats (Power, Mercy, Black Skinhead, Gold Digger, Run This Town, Niggas in Paris) proposés durant la soirée qui nagent dans une mélasse de références religieuses et de messages sur le sens de la vie… ou du surmoi.

Au fil des chapitres

Quelque 8 400 personnes (sur une capacité d’environ 14 000 places) se sont présentées pour ce concert-évènement divisé en cinq chapitres : Fighting (la lutte), Rising (l’éveil), Falling (la chute), Searching (la quête) et Finding (la rencontre). Au centre du parterre, une montagne impressionnante sur laquelle serpente un sentier escarpé jusqu’en hauteur. Devant ce monticule, une grande plateforme triangulaire où se tiendra West la grande majorité du temps. Autour, des amateurs entassés qui marqueront le rythme d’une main enthousiaste, la majorité du temps.

C’est avec une pièce du disque Yeezus, On Sight, que Kanye West apparaît pour la première fois vers 20h30, après un retard non négligeable. Coiffé d’une cagoule couverte de petits miroirs carrés, il zigzague entre une douzaine de jeune femmes vêtues de toges blanches. Eh oui, une références aux apôtres de la Bible, rien de moins. La musique (livrée par ses trois acolytes musiciens aux guitares électriques, consoles, keyboards, dont le soulman Charlie Wilson) est abrasive, électro-punk-industrielle. Ça fait le travail. Mais ces trois gars sont à l’écart, presque cachés. Dommage.

Le résultat est aussi convaincant pour le morceau suivant New Slaves, durant lequel la foule reçoit une charge de basse pesante et des arrangements minimalistes. On retrouve aussi la voix modifiée de Kanye West qu’il avait utilisée ça et là sur l’album. Passera Send It Up avant que l’écran circulaire géant s’illumine de nouveau en hauteurs. Rising : « preparing for flight » indique notamment une voix robotique qui refroidit la place. Intéressant effet, mais sans plus. Disons que c’est très conceptuel. L’efficace Power (premier single du disque My Beautiful Dark Twisted Fantasy, paru en 2010) frappe dans le mille: des tonnes de spectateurs dansent et scandent les paroles avec l’Américain.

La bête surnaturelle

À la chanson I Am A God, une dizaine de minutes plus tard, d’autres interrogations émergent : les apôtres féminins sont revenus sur scène pour exhiber leurs corps et leurs (très beaux) visages couverts seulement d’une membrane de nylon beige voilant à demi leur nudité. Dans une chorégraphie minimaliste, un brin animale et quasi danse contemporaine, celles-ci finiront par porter à bout de bras Kanye West qui poussent des cris comme s’il refusait le divin ou se transformait carrément en un être surnaturel. Vlan pour la modestie!

À Can’t Tell Me Nothing, l’avant de la plateforme bascule et élève West à une dizaine de mètres des spectateurs. Il a l’air d’un superhéros, debout, dans ce faisceau lumineux. Ensuite, tout se calme sur la balade Coldest Winter (écrite au sujet d’un ami décédé) avec ses effets de neige artificielle qui tombe du plafond. Touchant ou froid, on ne sait trop…

À Hold My Liquor, le ton change. Un personnage de bête sauvage aux yeux rouges menace l’audience et repart ensuite sur les sommets de la montagne. Les salves de guitare électrique prédominent l’ambiance. West chante avec conviction. Pas mal.

On ne saurait vraiment dire si Heartless, jouée peu de temps après, est bien interprétée, mais les spectateurs, eux, décideront d’embarquer pour chanter de longs passages avec intensité.

Lave et révélation

À mi-parcours, Blood on the Leaves en met plein la face avec des effets imposants : au-dessus de la montagne, des images d’un volcan en irruption. Sur scène, des flammes et des explosions. Ici, Kanye West effectue des mouvements de danse hip hop synchronisés avec l’emballage visuel. C’est bon. Mais quand le gros rocher s’ouvre en deux pour laisser s’extirper une procession de douze apôtres portant cierges, croix et autres objets ostentatoires à la Kanye West, on ne sait trop quoi penser. On ne peut qu’attendre la prochaine chanson, de circonstance, Lost in the World

Après une très bonne Runaway, Jesus Walks replonge encore dans le mysticisme et la transcendance. Sorti des entrailles du décor rocheux, un personnage de Jésus viendra bénir le chanteur qui tiendra quelque temps la génuflexion et qui se démasquera enfin. Un moment accueilli avec bonheur, considérant que l’on pourra voir la face du chanteur, qui deviendra du coup un peu plus «connecté» avec l’audience.

Fait amusant ou déconcertant : soulignons l’interminable monologue de 25 minutes (il se compare entre autres à Walt Disney et Steve Jobs!), dans lequel West explique que «ce masque lui permet de se réinventer et de vivre davantage de liberté». Vraiment, un discours pompeux d’un ennui inexplicable. Seul Kanye West peut oser un tel flot de mots invraisemblables lors d’un évènement réunissant des milliers de personnes.

Le beat

Après Can We Get Much Higher et Dark Fantasy, Niggas in Paris injecte une dose d’énergie aux amateurs qui suivront avec grand plaisir Kanye West dans une fin de spectacle dynamique et réussie avec les Flashing Lights, All of the Lights et finalement Bound 2, plus medium tempo.

Si l’on arrive à mettre de côté tous les excès de grandiloquence, les costumes loufoques et les passages dramatico-divins, il faut bien admettre que le rappeur sait faire en concert, même s’il dure 150 minutes. Une soirée divertissante, mais à la proposition scénique surdimensionnée, qui ne sert pas toujours la musique. Tout comme la démarche introspective de l’artiste qui rend l’offrande générale assez hermétique au final. Dommage que le roi semble si seul sur sa montagne, car les Montréalais, visiblement, adorent son travail éclaté qui repousse les limites du rap grand déploiment.

On ne pourra jamais si bien dire, Kanye West c’est pour le meilleur et pour le pire.

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