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La reprise égoïste des États-Unis fait trembler le monde

Le grand retour de l'isolationnisme américain
REUTERS

Quel jeu de massacre les États-Unis sont-ils en train de mener? Au prétexte d'une reprise plus robuste que prévu, la première économie mondiale rapatrie tous les capitaux qui inondaient les marchés émergents depuis 2009. Trop brusque, trop volumineux, ce retour de flux a pour conséquence de faire vaciller des économies qui avaient appris à vivre avec des dollars en abondance. À se concentrer sur sa seule situation, Washington menace ainsi de créer de nouvelles crises financières à l'autre bout du monde.

Le président de la banque centrale indienne a tiré la sonnette d'alarme chez Bloomberg, appuyé par la couverture du Financial Times vendredi. Selon Raghuram Rajan, les États-Unis seraient coupable "d'égoïsme". "Ils devraient se préoccuper des effets de leur politique monétaire sur le reste du monde", explique-t-il. "Nous tenons à vivre dans un monde où les pays prennent en compte l'impact de leurs décisions sur les autres, en faisant ce qui est juste, au sens large, plutôt qu'en tenant compte seulement des circonstances locales". Ces propos d'un rare vacarme pour le milieu des banquiers centraux ont de quoi interpeller.

La Fed (banque centrale américaine) a fait part mercredi de son intention de réduire ses injections mensuelles de liquidités dans les marchés, en les réduisant de 10 milliards de dollars. En décembre, elle avait déjà réduit le robinet dans les mêmes proportions. La violence du repli n'a d'égal que la quantité d'argent lâchée par la Fed depuis 2009 afin de soutenir l'économie américaine (plus de 2200 milliards de dollars).

Les États-Unis coupent les vivres

Quelles conséquences pour les pays émergents (Inde, Afrique du Sud, Argentine, Turquie, Indonésie)? Les investisseurs ont désormais tendance à retirer massivement leurs fonds de ces pays, où ils les avaient placés en profitant des liquidités abondantes. Comme n'importe quel acteur économique, si l'on prévoit d'avoir moins d'argent dans le futur, on ne va plus le jouer n'importe où. On va même récupérer nos mises afin de prendre des bénéfices. C'est exactement ce qui est en train de se passer.

Or un retrait désordonné, et massif, des fonds placés dans les pays émergents pourrait être catastrophique pour ces économies -dont la croissance est déjà fragile et certains sont en proie à des incertitudes politiques- que ce soit en Turquie, en Afrique du Sud ou en Argentine, et avoir des conséquences, in fine, sur les économies développées.

Depuis le début de la semaine, plusieurs pays avaient tenté de contre-attaquer, comme en Turquie, où la banque centrale a carrément doublé ses principaux taux directeurs (de 4,4 à 10%). Cela dans le but de convaincre les fonds en dollars de rester grâce à des placements très rémunérateurs. Mais revers de la médaille, l'accès au crédit devient immédiatement beaucoup plus difficile pour les entreprises et les particuliers. Imaginez un peu que votre banquier double les intérêts du prêt pour votre maison.

Selon Daniel Larrouturou, directeur général délégué de Diamant Bleu Gestion, "si la crise monétaire perdure et se traduit par un assèchement des liquidités, elle peut déboucher sur une crise bancaire et des faillites en chaîne". À terme, explique-t-il au HuffPost, cela entraînerait "une aggravation des déficits budgétaires et donc une augmentation des risques de défaut".

Mais les émergents ne peuvent pas tout reprocher à la Fed. "Les États-Unis agacent le monde par leur capacité à exporter leurs crises et à être ceux qui en souffrent le moins", temporise Thibault Prébay, directeur de la gestion des taux chez Quilvest Gestion. Au final, "les pays émergents sortiront de cette crise renforcés, avec une compétitivité accrue et une croissance plus intéressante". Avant d'ajouter: "Une telle mauvaise foi est classique, qui ose croire que la Banque indienne annulerait une décision monétaire qui déplairait à un autre pays?"

Pourquoi les États-Unis se concentrent sur eux

"Les chiffres de la croissance américaine ont été au cœur de ce renversement de la vapeur sur les marchés", estime FTN Financial, car "qui dit une croissance solide dit une série de résultats d'entreprises" de bon augure, et de bonnes perspectives pour les investisseurs du marché actions. D'où le retrait de la béquille financière de la Fed.

Confortant l'idée d'une "accélération" de l'embellie économique, les États-Unis ont annoncé jeudi avoir enregistré une croissance meilleure que prévu au second semestre. La croissance a bondi de 3,7%, ce qui en fait l’une des meilleures performances de la décennie. Sur l’année, le pays a fait progresser sa richesse de pratiquement 2%. La Zone euro navigue péniblement à 0,7%.

Certes, à Wall Street comme ailleurs, "les craintes sont toujours présentes" concernant les pays émergents, a estimé Cornerstone Wealth Management. Mais "alors que l'économie américaine se renforce", "les investisseurs espèrent que les problèmes des pays émergents resteront les problèmes des pays émergents", estimant en outre que ceux-ci "sont beaucoup plus dépendants des États-Unis que les États-Unis le sont d'eux".

"Our money, your problem disait-on à propos du dollar dans les années 70", ironise Daniel Larrouturou, "C’est la même chose aujourd’hui avec la politique monétaire américaine. Nous sommes dans un monde interdépendant, pas dans un monde solidaire".

L'indépendance énergétique américaine bouleverse le jeu

Habitué à manier avec délicatesse les relations internationales, Washington fait aujourd'hui l'objet d'une indifférence jamais vue. On se souvient du doigté nécessaire pour obtenir des tarifs abordables auprès des puissances pétrolières. C'est peut-être d'ailleurs là qu'il faut se tourner...

Outre une croissance excellente, un niveau de création d'emplois très soutenu, les États-Unis sont devenus en quelques années des gros exportateurs d'or noir. Grâce à l'exploitation de vastes réserves de gaz et d'huiles de schiste, l'Amérique est sur la voie de l'indépendance énergétique. Le prix du carburant est ainsi à un plus bas historique.

Ce changement sur l'échiquier mondial renforce donc les États-Unis, pour qui les pressions diplomatiques sont moins fortes. On l'a vu, après 20 ans d'interventionnisme soutenu (Guerres du Golfe, Libye...), Washington réduit aujourd'hui la voilure sur les conflits. Barack Obama s'est notamment retenu d'intervenir en Syrie ou en Afrique (Mali, Centrafrique), où la France apparaît maintenant en première ligne.

"Dans un contexte économique justifiant un interventionnisme extérieur moins important au profit d'un recentrage sur l'interne, les États-Unis semblent destinés à entrer dans une phase d'isolationnisme", explique Hugues Poissonnier, économiste à l'Ecole de management de Grenoble. Pour Daniel Larrouturou de Diamant Bleu Gestion, "il y a d’autant moins de solidarité à attendre des USA, que leur nouvelle indépendance énergétique les rend de moins en moins enclins à s’occuper des problèmes des autres".

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