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Tunisie: De la classe aisée à la classe défavorisée, la révolution n'a pas eu le même impact sur le quotidien

3 ans après: «J'étais boucher avant, je suis boucher maintenant»
Flickr/Amine Ghrabi

Certains n'ont pas voulu parler. Comme le vieil homme du kiosque, qui ne veut pas qu'on lui prenne la tête avec ce qui a changé. Ou le flic, réticent. Ou encore un affilié à la Garde nationale, qui n'a «pas le droit».

Trois ans après, le HuffPost Maghreb voulait savoir ce qui avait changé dans les petites choses du quotidien. Alors, nous avons fait un tour de table du Grand Tunis, descendant l'échelle sociale de haut en bas. De la liberté d'expression au prix de la viande et des loyers, les préoccupations varient selon les échelons.

«Tu es fou? Efface ça tout de suite!»

Dans les hauteurs, la liberté d'expression est sur le bout des langues. «Les discussions se sont libérées», annonce Amine sans hésiter. Assis à la table d'un hôtel de Sidi Dhrif, il sirote une bière en compagnie de sa petite amie Sarra. Elle travaille «dans la banque» et prend le temps de réfléchir. «Le droit de grève», annonce-t-elle finalement. Les grèves ont un impact sur sa vie de tous les jours. «Mais c'est une bonne chose de voir ça», précise-t-elle.

Un groupe de jeunes médecins, grévistes en l'occurrence, se prête également au jeu. Plutôt bien lotis, ils encensent la liberté d'expression. «Quand je publiais un drapeau tunisien sur mon profil Facebook, des amis m'écrivaient tout de suite : 'Tu es fou? Efface ça tout de suite!'», se souvient Osmane. Aujourd'hui, il n'efface plus rien.

Mais c'est un autre média qui fait l'unanimité auprès des cinq amis: la télévision. Avant, ils ne regardaient «que les journaux télévisés français». Aujourd'hui, ils sont repassés a la Wataniya ou à Nessma TV et ne savent même plus qui présente le 20heures de France 2.

«J'étais boucher avant, je suis boucher maintenant»

Changement de quartier. Dans sa boucherie, Abdelkader est très occupé à servir les clients. Mais il parle tout de même sans s'arrêter, en tranchant les os de sa lourde feuille de boucher. Son étalage n'est pas rempli. Le prix de la viande a augmenté pour lui aussi. Son prix d'achat se répercute sur le prix de vente. Et il doit travailler plus. «Ma journée a changé», soupire-t-il. «Je suis maintenant obligé de travailler jusqu'à 22h, et sans pause».

Rien d'autre n'a changé pour Abdelkader. «J'étais boucher avant, je suis boucher maintenant».

Dans les magasins, les vendeurs et les propriétaires ne parlent que des prix. Selon les indicateurs de la banque mondiale, l'inflation a été de 3,6% en 2011 et de 5,5% en 2012.

Mohamed tient sa boutique de DVD depuis «bien avant la révolution». Il affirme qu'en trois ans, ses ventes ont chuté de 50%. La liberté d'expression ne le touche pas plus que ça. «Avant je ne parlais pas et maintenant je ne parle toujours pas». D'ailleurs, il ne nous dira rien d'autre.

Constat similaire du côté d'Anis. Employé dans une boutique de «clé-minute», il affirme que le chiffre d'affaire du magasin a baissé de 70% en trois ans. La liberté d'expression n'est pas un sujet pour lui. Sauf quand il s'agit de son journal. Lecteur assidu du quotidien dissident Mustaqila avant la révolution, il le brûlait après consommation. «Aujourd'hui, tous les journaux sont un peu dissidents». Il n'y a plus besoin de feu. Les journaux finissent juste dans la poubelle.

Pour s'accommoder des difficultés financières, certains commerçants font preuve de flexibilité. Comme Ramzy le coiffeur. En face de son salon de trois mètres sur deux, deux autres coiffeurs lui font concurrence.

C'est lundi, jour de fermeture pour les salons de coiffure. Mais Ramzy est ouvert. «Je suis obligé de travailler 7 jours sur 7, maintenant, pour deux-tiers de mes anciens revenus». Travailler plus pour gagner moins. Il rigole, car il a une combine.

«Pour garder un équilibre financier, il y a des clients que je taxe plus que d'autres. C'est selon la profondeur de leur porte-monnaie».

Il est en train de raser Mohamed, qui répare des vélos dans le magasin d'à côté. Des carcasses de bicyclettes s'y entassent. Ramzy ne le «taxe» pas beaucoup.

«Parfois je tourne en rond parce que les gens ont peur et ne sortent plus»

Une autre préoccupation resurgit fréquemment dans les quartiers populaires. Le vieux serveur Abbes s'y inquiète surtout pour sa fille quand il la dépose à l'arrêt de bus. Ici, on ne sort plus trop la nuit.

Au-delà des angoisses sur les trottoirs, l'insécurité a aussi un impact sur l'économie du quartier. Assise confortablement dans sa petite parfumerie, Henda explique qu'elle doit fermer plus tôt qu'avant, parce que toutes les boutiques ferment plus tôt et qu'elle ne veut pas marcher dans les rues désertes.

Omar le taxiste confirme: «Les gens ont peur et ne sortent plus la nuit». Alors qu'il avait décidé de rouler le soir pour les tarifs plus avantageux, il se retrouve parfois à tourner en rond pendant des heures, le compteur vierge.

Le fils de Henda la parfumeuse avait, lui, quelque chose à faire remarquer. «À l'école, les professeurs s'absentent plus souvent». Et c'est d'autant mieux? Il rougit. À 11 ans, il sait déjà ce qu'il veut faire plus tard. Président. «Parce que si Marzouki peut le faire, alors lui aussi», lance sa mère en riant.

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