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La Fed américaine réduit ses injections de liquidités et prévoit la sortie de crise

La Fed siffle la sortie de la crise aux États-Unis
REUTERS

C'est le coup de tonnerre que les marchés redoutaient depuis plusieurs semaines. Pour sa dernière action en temps que président de la Fed, Ben Bernanke vient d'appuyer sur la pédale de frein des injonctions de liquidités. De 85 milliards de dollars déversés chaque mois pour soutenir l'activité économique américaine, la banque centrale réduit la voilure à 75 milliards. La promesse d’une baisse continue dans les prochains mois. La fin d'une politique. La fin de la crise peut-être aussi.

Depuis septembre 2008, la Fed pratique l'achat massif de bons du Trésor et de titres hypothécaires. Sur les trois plans qui se sont succédés, le passif a atteint un total de 4000 milliards de dollars. C'est presque cinq fois plus qu'en 2007, selon Charles Evans, représentant à Chicago de la Fed. Un montant vertigineux risquant de déstabiliser le système financier.

Pourquoi avoir déversé autant de dollars?

Rappelez-vous, nous sommes au début de l’automne 2008, la banque Lehman Brothers vient de faire faillite. L’économie américaine est alors tétanisée, les institutions financières cessent de se prêter entre elles, de peur de récupérer des créances toxiques. Il faut donc injecter de l’argent frais, sans quoi ce serait la faillite totale.

Premier acte (2008-2010): la Fed rachète les créances toxiques

Ben Bernanke, déjà président de la Réserve fédérale, avalise alors le plan Paulson de 700 milliards de dollars. Les organismes de refinancement hypothécaire Freddie Mac et Fannie Mae sont sauvés, tandis que le reste du pactole inonde les marchés. En fournissant durablement de la liquidité par ses achats de titres “pourris”, la Fed redresse ainsi la valeur des actifs financiers autant que la valeur des biens immobiliers. Les Bourses sont sauvées, un grand nombre de ménages aussi.

On se souvient des images de familles américaines expulsées, mais le scénario aurait pu être bien pire. Avec ses mesures d’urgence, la Fed a revalorisé le patrimoine immobilier des Américains, pourtant en chute libre.

Un effondrement patrimonial aurait été au moins aussi dangereux pour la croissance que l’effondrement du système de crédit. L'impact d'une baisse drastique de la valeur des patrimoines aurait engendré une dépression longue de la consommation. Voilà pour ce qu’on appelle le QE1, du nom de la première phase “d’assouplissement quantitatif”.

Deuxième acte (2010-2011): autofinancer la dette américaine

Il débute en novembre 2010. Malgré les efforts conjugués de la Fed et du Trésor, la crise économique et financière est à peine enrayée. Confrontée à une croissance molle, l’économie américaine déçoit les espérances d’une reprise rapide. Du coup, les investisseurs perdent confiance dans les capacités des Etats-Unis pour se financer sur les marchés. Ses taux d’emprunt à long terme se mettent à grimper, on commence même à évoquer la faillite de l’Etat.

La Fed décide alors de se détourner de l’immobilier, pour se lancer dans un programme de rachat de bons du Trésor. En clair: les Etats-Unis vont eux-même financer leur dette, afin de calmer les spéculateurs.

Mais où trouver l’argent pour financer ses propres prêts? Si l’on a vulgairement utilisé le terme de “planche à billets”, la Fed n’a pas choisi de passer par la création monétaire. En effet, malgré ses achats massifs, le volume de monnaie centrale en circulation est resté quasi-stable… Pour preuve, le taux d'inflation n'a pas connu de grosse variation, ce qui est le symptôme classique d'une banque centrale qui "imprime" des billets. Comment expliquer cette prouesse?

La Fed a capitalisé sur les intérêts procurés par les actifs sauvés au début de la crise. Elle a réinvesti les amortissements des titres financiers immobiliers qu'elle détenait, au fur et à mesure qu'ils arrivaient à échéance, afin d'assurer que le concours financier qu'elle apporte à l'économie reste stable. Du coup, 600 milliards ont été investis entre novembre 2011 et juin 2012, sans que l’inflation n’explose.

Les sauvetages de Freddie Mac, Fannie Mae ou même l'assureur AIG n'ont pas été une si mauvaise affaire. Les organismes de refinancement remboursent chaque mois l'Etat, et avec des intérêts records. Pour AIG, le retour sur investissement a été chiffré à 23 milliards de dollars, après avoir mobilisé 182 milliards en 2008.

Troisième acte (2012-?): l'artillerie lourde

Malgré la manne d'argent frais dans les réserves, les banques commerciales ont rechigné à transmettre les liquidités dans l'économie réelle. De plus, la crise des crédits les a obligé à constituer des garanties de capitaux plus importantes. Du côté des ménages et des entreprises, aussi fortement touchés, on est moins tenté d'emprunter.

Depuis son QE3, débuté en septembre 2012, la Fed dépense 85 milliards de dollars chaque mois. Le but est toujours le même: faire pression à la baisse sur les taux et favoriser l'activité économique.

Ben Bernanke a incité les banques à "rendre" la monnaie émise par la Fed. Cette dernière a mis en place une rémunération sur les réserves des banques commerciales détenues par la Fed. Résultat, les banques ont eu intérêt à augmenter leurs dépôts auprès de la Réserve. Voilà pourquoi l'inflation est restée faible malgré l'injection de 85 milliards chaque mois, selon Michel Feldstein, professeur d'économie à Harvard.

Les marchés battent des records, mais l'économie réelle souffre

Bien que Wall Street applaudisse cet apport d’argent frais (le S&P 500 a franchi le seuil historique des 1700 points le 1er août), la transmission de cette santé financière ne se retrouve pas tout à fait dans l’économie réelle. Il existe encore un cordon sanitaire entre les deux.

Le taux de chômage a chuté à 7% en novembre, au plus bas depuis cinq ans, avec note optimiste pour 2014: prévision à 6,4% contre 6,5% auparavant. Le PIB devrait quant à lui progresser mieux que prévu de 2,8% à 3,2%. Signe qu'il ne faut pas tout de suite sabrer le champagne, la Fed a en revanche abaissé sa prévision de croissance pour 2015, qui s'échelonne désormais entre 3% et 3,4%.

La Réserve fédérale a toujours déclaré que ses injections de liquidité seront liées à la baisse du chômage. Voilà pourquoi elle choisit d'y aller avec des pincettes, surtout que les économies émergentes ont critiqué les conséquences collatérales au récent G20. Avant ce coup de frein anticipé de la Fed, des milliards de dollars se sont envolés des Bourses brésiliennes, indiennes, russes et sud-africaines pour retourner au bercail. Il faut donc aller tout doucement.

Ben Bernanke possède donc un peu plus que le destin de l’économie américaine entre ses mains. Un fardeau qu'il livrera à son successeur Janet Yellen le 1er février prochain. Fort heureusement pour la stabilité financière, elle a déjà annoncé la poursuite d'une politique similaire.

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