Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Des documents sur l'avortement lèvent le voile sur un débat houleux de l'ère Mulroney

Des documents sur l'avortement lèvent le voile sur un débat houleux de l'ère Mulroney
PC

VANCOUVER - Des documents du gouvernement fédéral récemment déclassifiés montrent que le Canada aurait pu avoir une attitude très différente à l'égard des femmes souhaitant se faire avorter et des médecins réalisant ce type d'intervention si l'ancien premier ministre conservateur Brian Mulroney s'était plié aux voeux de certains de ses ministres les plus influents.

Le procès-verbal des réunions du cabinet de M. Mulroney, qui sont demeurés confidentiels pendant 20 ans et dont La Presse Canadienne a obtenu copie en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, donne un aperçu des tensions entre les ministres qui voulaient faire de l'avortement un crime passible d'une peine maximale de 10 ans de prison pour ceux qui le pratiquaient et les ministres qui souhaitaient offrir une plus grande latitude aux femmes.

Ironiquement, c'est le Sénat, cette institution abondamment critiquée au cours des dernières semaines au point où plusieurs ont réclamé son abolition, qui a tué, en 1991, le meilleur compromis que le Parlement avait pu trouver sur cette délicate question, créant un vide juridique que la majorité de la population trouve maintenant acceptable.

Le Canada est donc l'un des rares pays où l'avortement n'est pas encadré par une loi. Environ 100 000 interruptions volontaires de grossesse sont effectuées en sol canadien chaque année et aucun gouvernement n'a depuis osé légiférer dans ce dossier. Le premier ministre Stephen Harper a affirmé n'avoir aucunement l'intention de relancer le débat, même si certains députés conservateurs continuent de présenter des projets de loi d'initiative parlementaire sur ce sujet.

La saga de ce qui allait devenir le projet de loi C-43 commence le 28 janvier 1988 lorsque la Cour suprême du Canada invalide la loi sur l'avortement en décrétant que la section 251 du Code criminel enfreint la Charte des droits en refusant aux femmes la sécurité de leur personne. Ce jugement renverse une décision de la Cour d'appel de l'Ontario contre le Dr Henry Morgentaler, un militant de longue date pour le droit à l'avortement décédé en mai dernier.

Les juges déclarent toutefois que le droit d'une femme de se faire avorter, particulièrement durant les derniers mois de la grossesse, pourrait être limité de manière raisonnable afin de protéger la vie et la santé du foetus ou de la femme, et transfèrent donc le dossier au Parlement.

Le gouvernement conservateur de Brian Mulroney juge le vide juridique inacceptable et estime qu'il doit légiférer. Il s'embarque alors dans un longue et difficile processus pour élaborer une loi sur l'avortement.

Dans la salle 323-S lambrissée de chêne, deux des plus importants ministres du cabinet s'affrontent. Le ministre de la Santé Jake Epp, un fervent mennonite originaire du Manitoba, croit que la vie de l'enfant commence dès la conception, alors que Barbara McDougall, une Torontoise alors ministre de la Condition féminine, veut que les femmes aient le droit de choisir.

Un comité extraordinaire sur l'avortement est créé. Son président, le sénateur conservateur Lowell Murray, exhorte les ministres à éviter les restrictions trop poussées parce que "le gouvernement aura l'air idiot s'il adopte une loi qui est plus tard rejetée par le Cour suprême".

Selon le procès-verbal, le débat s'articule autour de deux approches opposées. La première permet l'avortement au début de la grossesse et impose des restrictions au fur et à mesure que le foetus se développe. La seconde impose les mêmes restrictions mais à toutes les étapes de la grossesse. Cette dernière option est celle que préconisent M. Epp et ceux qui sont contre l'avortement.

Le comité se prononce en faveur d'une loi qui autoriserait l'avortement au début de la grossesse, soit quelque part entre la 12e et la 28e semaine, mais qui l'interdirait ensuite sauf dans les cas où la vie de la mère est en danger. Mais le ministre Epp s'oppose à cette recommandation, disant que "les implications d'une telle approche seraient effrayantes si l'on adoptait une approche similaire à l'égard des personnes âgées ou handicapés".

L'élection générale de 1988 survient sans que le problème ne soit résolu. Les conservateurs sont reportés au pouvoir et, en 1989, le nouveau cabinet s'attèle encore à la tâche de rédiger une loi sur l'avortement.

Barbara McDougall presse alors ses collègues d'appuyer une approche en trois temps qui permettrait l'avortement au début de la grossesse sous certaines conditions qui deviendraient plus restrictives au deuxième trimestre et encore plus au troisième.

Après avoir passé le débat en revue, le sénateur Murray conclut que la plupart des ministres, dont M. Epp, pourraient s'entendre sur une approche en deux temps. Mais d'autres modifications sont encore à venir: le dernier obstacle est le caucus des simples députés conservateurs, qui comprend beaucoup plus de partisans de la ligne dure en matière d'avortement que le cabinet.

La proposition finale, baptisée projet de loi C-43, aurait interdit de pratiquer un avortement à n'importe quelle étape de la grossesse à moins que l'intervention ne soit effectuée par ou sous la supervision d'un médecin qui considère que la vie ou la santé de la femme est en danger.

Le ministre de la Justice Doug Lewis a présenté le projet de loi à la Chambre des communes et, le 29 mai 1990, il a été adopté lors d'un vote libre

à 140 contre 131. Il a ensuite été envoyé au Sénat pour approbation. Le 31 janvier 1991, coup de théâtre à la chambre haute: sur les 86 sénateurs présents, 43 se prononcent pour et 43 contre le projet C-43. En vertu des règles du Sénat, à égalité des voix, la proposition est automatiquement considérée comme ayant été rejetée.

En entrevue avec La Presse Canadienne, Barbara McDougall a déclaré qu'elle était contente que le projet de loi n'ait finalement pas été adopté et a assuré que le Canada n'avait pas besoin de légiférer sur cette question. "C'est préférable de ne pas réveiller le chien qui dort, a-t-elle affirmé. C'est une décision personnelle pour chaque femme."

Quant à Brian Mulroney, il a refusé d'accorder une interview à ce sujet. Cette saga et la question de l'avortement ne sont pas mentionnées une seule fois dans ses mémoires de 1152 pages.

INOLTRE SU HUFFPOST

Des députés à Ottawa contre l'avortement

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.