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«Rue des Saules» de Koriass : le flow de l'autoportrait (ENTREVUE/VIDÉO)

«Rue des Saules» de Koriass : le flow de l'autoportrait (ENTREVUE/VIDÉO)

Rue des Saules est le troisième album du chanteur québécois Koriass. Point de départ : le hip hop. Le trajet : rêves, surprises, tourments, contradictions, déceptions, défaites, crise, déprime. L’arrivée : un bon disque de 14 morceaux personnels produit à l’arrachée. Démarche vibrante d’un rappeur qui n’a pas peur d’arpenter le territoire qu’il a foulé. Pour le meilleur et pour le pire. Rencontre.

«Depuis une couple de semaines j’ai les blues en-dessous de mon suit de Superman/J’suis distant et le bout de mes lèvres a un goût de ténèbres/J’le sais pas où c’que j’reste, planète Mars ou Limoilou-Québec/J’voudrais partir faire du pouce jusqu’à l’autre bout d’la croute terrestre/Au lieu de vivre de booze et d’sexe, à moi tout seul j’bois une 12 de Moosehead/Pis c’est sur le divan qu’j’me couche après/J’continue de crier que j’suis super fresh, who’s the best/Mais ça fait des mois que j’pas capable de venir à bout d’un texte/Les journées deviennent longues quand t’es toujours depress.»

Ces paroles sont signées Koriass, de son vrai nom Emmanuel Dubois. La chanson se nomme Rue des Saules, le dernier titre de l’album du même nom. Il évoque aussi un lieu et une maison de la ville de Québec. Cette maison c’est le souvenir de moments magnifiques et d’un temps plus angoissant. Oui, Koriass a vécu une dépression. Et il s’en est inspiré, question de demeurer sincère dans son propos, dans sa démarche, malgré les réticences de son entourage, de son équipe. S’ouvrir à l’autre semblait la seule solution pour la suite de Petites victoires, son excellent second album.

Trois chapitres, une toile de fond

Bambin à Montréal-Nord, enfant à Saint-Eustache, adulte à Limoilou, ce triangle géographique a un effet considérable sur la plume du jeune trentenaire. «Le pire c’est que j’aimais beaucoup habiter sur cette rue des Saules à Québec, raconte Koriass. J’ai dû quitter par la force des choses parce que les propriétaires ont vendu l’appartement. C’est un endroit où j’ai vécu bien des choses : j’ai eu une dépression, mais j’ai aussi eu un enfant. Sur mon album, je parle donc d’étapes majeures dans ma vie. J’aborde mon passé, ma déprime, la rédemption et l’acceptation.»

«Cela dit, je ne traite pas clairement de la dépression, poursuit le chanteur. C’est une trame de fond, une couleur. J’ai fait des choses vraiment pas cool durant cette période. J’ai eu des pensées très sombres. J’ai pété des coches. La chanson Devenir Fou symbolise d’ailleurs un peu le summum de ma dépression. Les contradictions y sont nombreuses. J’y dis entre autres qu’une balle dans la tête me ferait du bien. Mais le disque n’est pas que fait de noirceur. Avec le temps, le positivisme s’est réinstallé au printemps 2012. J’ai remis mes valeurs à la bonne place. À la fin de l’album, une sorte de stabilité, de lumière (beaucoup plus le ton que l’on retrouve sur l’opus Petites victoires) s’installe vers la fin de l’album. On retrouve donc une vraie cohésion dans l’ordre des pièces. J’ai essayé que ce soit montagne russe, mais aussi chronologique.»

L’autodérision

Tableaux qui changent ainsi selon les émotions. Album qui évolue aussi au grés des coups de gueule balancés à la face du monde : pauvreté, avidité, cupidité, adultère, abrutissement, aliénation, les mots sont incisifs et acerbes à l’égard de son entourage et de ses concitoyens. Tranches de vie, dénonciations, confidences, tout semble provenir de son passé, d’une façon ou d’une autre. Tantôt l’approche est humoristique, tantôt elle se nourrit carrément de l’autodérision.

«J’aime le rap qui parle de la vie, mais aussi de soi. Au fil du temps, je me suis dit criss c’est possible de faire autrement que cette musique orgueilleuse, masculine, vantarde. J’aime montrer mes défauts au grand jour. Même si je dois rire de moi. Je veux démontrer que je suis humain […] Sur la chanson Long Time No See, j’imagine rencontrer mon père, parti au Brésil avant ma naissance. Je fais comme si j’étais avec un vieux chum, mais c’est faux. Je n’ai jamais connu mon père. Or, puisque c’est une réalité qui a marqué ma vie, je me suis mis dans une situation… Je suis allé ailleurs que dans la rancœur. J’explique que j’ai pardonné.»

La mélodie du bonheur

L’album a été essentiellement créé durant l’été 2013. La majorité des rythmes, outre quatre d’entres eux, sont le travail de Koriass. Pour le reste, la musique c’est l’histoire d’une belle collaboration avec Steve Jolin à la coréalisation et avec l’arrangeur Marc Vincent, alias Ruffsound.

Pour les influences, Koriass aborde sans hésitation en entrevue les rappeurs américains. Il cite notamment Drake (il faut entendre Supernova, cette chanson construite sur la charpente de la chanson Les étoiles filantes des Cowboys Fringants), Sean Price, Atmosphere, Freddie Gibbs, Danny Brown et Action Bronson. Il aurait probablement pu nommer également les stars Jay-Z ou encore Kanye West (dont leur morceau Ni**as In Paris de l’album Watch The Throne présente des similitudes avec Sorry de l’album Rue des Saules).

Aucun échantillonnage dans les arrangements et, contrairement au disque Petites victoires, aucune collaboration sinon avec la chanteuse Sofia Nolin (joli travail) sur la pièce Américain.

«Pour moi, le mot-clé était mélodie. Les lignes sont assez pop. C’est le son qui se prêtait bien aux thèmes de l’album. C’est une ambiance nocturne, lounge. Il est lourd par moment et planant ailleurs.»

Notons le judicieux mélange de beats pesants et de passages mélodieux sur la pièce Choses, inspirée, de la chanson My Favorites Things écrite pour la comédie musicale de Broadway La mélodie du bonheur.

«Je voulais un album honnête, sincère, qui me plaît d’abord et avant tout, précise Koriass. C’est un disque personnel du début à la fin. Pis au bout du compte, je voulais rendre hommage à ma mère, ma blonde et ma fille.»

Tséveudire

Cet album n’est peut-être pas sublime, mais l’électro-jazz-funk-rap-old-school de Koriass est du solide. Et à voir comment il se débrouille sur les planches (il a offert un concert-lancement rempli au Club Soda, jeudi soir), on ne peut que se convaincre que le rappeur s’établit comme l’un des plus pertinents artistes d’ici. D’autant plus qu’il a la scène dans le sang.

Il saura certainement stimuler à son tour les Loud Lary Ajust et autres Dead Obies qui prouvent eux aussi que la vague hip hop chez nous commence à prendre corps, sérieusement.

Textes intelligents, rythmes prenants, ambiances audacieuses (le groove néo-classique de Montréal-Nord), Koriass a le flow.

Un bon flow.

Rue des Saules sera en magasin dès mardi le 12 novembre.

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