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La vie selon Philippe Starck: mode d'emploi (ENTREVUE)

La vie selon Philippe Starck: mode d'emploi (ENTREVUE)
AFP

À l'origine, il y avait l'inauguration du Mama Shelter à Bordeaux et une simple interview. Finalement, Philippe Starck étant ce qu'il est, c'est-à-dire un homme à la curiosité insatiable, transversale, diagonale, cet entretien est allé beaucoup plus loin et nous l'en remercions.

Animé par un sens du devoir et une éthique de l'utilité qu'il doit à ses racines protestantes, le designer a bien voulu nous parler de la vie, de sa vie, de la créativité, du communisme, des utopies mais aussi du monde, de notre monde. Une interview que nous vous proposons ici dans son intégralité.

Philippe Starck, c'est quoi réussir sa vie?

Réussir sa vie c'est très personnel, c'est avant tout, comme le dirait monsieur Monod, le résultat du hasard et de la nécessité, qui vous donne à un moment donné une vision qui peut accoucher d'une éthique et, cette éthique, l'important est de ne jamais la compromettre. On doit faire ce que l'on doit faire sans trop écouter les autres, pour certains en synergie avec les autres – c'est là où la ville est vitale – mais l'important c'est de ne pas faire de concessions, de ne pas faire de compromissions.

C'est ça la vie, la vie c'est mériter d'exister et il y a de multiples façons de le mériter. Moi qui ait été élevé dans un environnement chrétien (même si j'en suis revenu parce que je suis un militant athée et que je me bats contre toute forme de croyance en général), on m'a élevé dans l'idée que mériter d'exister, c'est servir. Donc moi je me sers de ce que j'ai pour servir. Je ne suis qu'un passage entre ce qu'on m'a donné et ce que je donne. Il s'agit de se regarder le matin dans le miroir et de se demander, est-ce que je sers ma communauté, ma ville, ma société, ma civilisation?

Quel est notre plus grand devoir aujourd'hui?

Notre seul devoir et notre plus grand enjeu c'est la transmission et l'amélioration de ce qu'on nous a transmis. En naissant, on trouve le bout d'une corde abandonnée, posée là, faite d'écheveau, de fibres, nous-même sommes de la fibre, cette corde a été tressée, elle est en attente de nos fibres et que nous la tressions aussi. Notre devoir c'est de continuer la confection de cette corde en améliorant en permanence sa qualité pour la laisser dans un bien meilleur état que celui dans lequel on l'a trouvée.

Ce qui est loin d'être facile...

La grande question aujourd'hui, c'est que pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, on peut se poser très sérieusement la question de savoir si l'on va arriver au bout du parcours. Ce parcours, il a commencé il y a 4 milliards d'années, il se finira dans 4 milliards d'années quand le soleil implosera, et pour les gens qui s'y intéressent comme moi, jusqu'il y a très peu de temps c'était une affaire normale, c'était une affaire d'évolution. Au vu de ce qui se passe, de la reconstitution sérieuse de la disparition d'anciennes civilisations – qui tient principalement à la mauvaise gestion de l'eau et de l'alimentation – on peut se demander si l'espèce humaine va aller jusqu'au bout.

En étant réaliste et sans catastrophisme, le danger à court terme de la disparition de l'espèce humaine est réel, ce qui est dément! C'est hallucinant de pouvoir envisager ça aujourd'hui sérieusement. Mais quand on considère des paramètres aussi simples que la quantité de nourriture disponible dans une grande ville comme New York ou Paris, c'est-à-dire à peu près 3 jours, ou encore qu'après 24 heures de blackout à New York on est au bord de la guerre civile, on se rend compte que la mécanique de la fin d'une civilisation est extrêmement simple.

En même temps ça nous dépasse complètement en tant qu'individus...

Oui mais aujourd'hui il faut vraiment le dire ça! Alors après on crie au catastrophisme mais même si les réactions sont goguernardes, il faut quand même le répéter.

Ça fait longtemps que vous le répétez!

Quand je parlais de nourriture bio et d'écologie il y a 30 ans tout le monde se foutait de ma gueule. Sauf que ça sert à quelque chose qu'il y ait des gens comme moi qui répètent. Aujourd'hui le signal d'alarme est très clair: allons-nous survivre?

C'est une question qui nous angoisse et qui nous touche, comment vivez-vous cet enjeu intérieurement?

C'est une vigilance. Un designer de brosses à dents n'a pas les moyens d'influer. Quelqu'un à qui l'on donne la parole régulièrement dans les médias peut simplement retransmettre sa propre vigilance à celle des autres. Il faut donc maintenir allumée une sorte de lumière rouge clignotante de façon permanente et faire un travail d'explication de ce que l'on sait. Un designer de brosses à dents ne sait pas tout mais peut quand même savoir des choses. Il ne faut pas être un génie pour lire trois livres d'histoire et trois livres scientifiques niveau sixième.

Avant de se brosser les dents, il faut manger. Que mange Philippe Starck?

Il y a plusieurs façons de manger. En voyage, on mange n'importe quoi et on le regrette, on devient gros et malade. Il faut refuser toute forme de nourriture industrielle, être clair là-dessus, manger des choses naturelles et biologiques, si possible le moins transformées. Il faut boire des vins (si on en boit – mais moi je suis Français donc j'en bois!) peu alcoolisés, ou des bières peu alcoolisées. Il faut boire des vins sans sulfites. Il y a deux-trois trucs comme ça sur l'alimentation qui sont primaires. Après, c'est de l'hygiène de vie: moins manger le soir que le matin... Mais ça tout le monde le sait, c'est de la diététique. Ce qui est fondamental, c'est le refus du meurtre causé par les nourritures industrielles. Là, le cynisme de ces gens épatants devrait être considéré comme des homicides, que ce soit la nourriture industrielle ou les fast food. Dans le livre Fast Food Nation, on a d'ailleurs une très bonne analyse de ça qui n'a jamais été démentie.

Quelle est la valeur la plus importante dans le travail?

L'utilité, et que cette utilité soit en cohérence avec les nécessités de la société. À certains moments, un métier peut être plus ou moins inutile, parfois il est inutile, mais à d'autre moment l'utilité est vitale. Aujourd'hui, on vit à une époque où l'on ne peut pas plaisanter avec ça, chacun doit donner son maximum pour être utile à l'espèce car nous faisons face à tellement d'enjeux.

Ensuite, il est certain que chaque génération a la naïveté de croire qu'elle est la génération pivot, la plus importante, et celle qui fait face au plus de problèmes. Chaque génération a raison mais elle a sûrement moins raison que la nôtre aujourd'hui dans la mesure où je ne crois pas que, depuis les temps modernes, il n'y ait eu autant de complexité dans les problèmes posés, qu'ils soient politiques, religieux, écologiques, économiques, industriels, alimentaires et ainsi de suite.

L'interaction entre tous ces enjeux crée une complexité démente et le problème c'est que les sanctions sont immédiates. Beaucoup de gens vont mourir dans les années qui viennent pour des raisons civiles, des raisons de mauvaise gestion.

Je cite toujours l'exemple des gens qui n'ont pas d'eau. Ça a toujours existé mais là cela va devenir vital dans certaines régions. Dans le même temps d'autres régions ont de l'eau mais elle est polluée, de façon invisible et nouvelle avec des métaux lourds par exemple. Et puis il y a des gens qui vont mourir parce qu'ils auront trop d'eau, leurs terres vont être immergées, ils vont être inondés et ça va provoquer des déplacements de masse importants qui sont toujours dommageables.

Donc aujourd'hui la question est simple: fait-on un métier qui sauve des vies, ou fait-on un métier qui n'en sauve pas ? Pour ceux de la génération passée, comme moi par exemple, c'est trop tard, on ne va pas changer de métier pour apprendre à sauver des vies. Mais pour la nouvelle partie consciente de la jeunesse, car il y en a une qui est en train d'arriver qui n'a pas l'air trop mal, le choix du métier est important et devrait passer par ce critère. Est-ce que je vais choisir un métier qui va sauver des vies ou pas?

Finalement, vous mettez votre vision de designer au service du monde?

Vous savez, j'ai fait un peu tout ça par hasard et un petit peu par paresse, ou par lâcheté ou manque de confiance en moi, des choses comme ça. Le fait que je ne sois pas allé à l'école ne m'a pas aidé. Après, la seule chose que je savais faire c'était créer et dessiner parce que mon père était un grand ingénieur aéronautique, il fabriquait des avions, c'était un inventeur donc finalement j'ai fait comme papa.

Ensuite, comme ma mère croyait que j'étais homosexuel, elle m'a envoyé dans des écoles de décoration et j'y suis allé parce que je suis quelqu'un de très gentil, je fais toujours ce qu'on me dit. Et je me suis retrouvé finalement naturellement dans un métier que je n'aurai jamais choisi si j'avais eu les moyens de choisir, même si j'avais su qu'on pouvait rêver sa vie, choisir sa vie. Je n'ai jamais eu cette idée qu'on pouvait choisir sa vie. J'ai simplement fait ce que j'ai pu pour survivre. Je ne me suis aperçu seulement récemment que les gens intelligents choisissaient leur vie.

Si on revenait quelques dizaines d'années en arrière quel choix de vie auriez-vous fait, si ça n'avait pas été le design, la décoration etc.?

C'est presque le métier qui m'a choisi. En réalité, la décoration je n'ai jamais voulu en faire, c'est un dérapage. C'est vraiment le résultat du hasard et de la nécessité pour faire manger ma famille. Il y a quelques mois, j'ai eu un flash et je me suis dit, mais je n'ai jamais voulu faire ce métier! J'ai réalisé qu'à aucun moment je n'ai voulu le faire. Par contre designer, oui, c'est dans l'ordre des choses que je fasse ça. Quant à l'architecture, j'en fais de façon totalement exploratoire sans aucune ambition particulière. Donc si j'avais rêvé ma vie - comme ma femme l'a fait quand elle était petite, s'imaginant ce qu'elle voulait faire, où elle voulait habiter, le genre de mari qu'elle voulait avoir – j'aurais voulu avoir une ambition. Je n'ai jamais eu d'ambition, ça paraît incroyable.

Et si vous aviez eu le choix?

Si j'avais eu le choix, j'aurais été là où l'on sert le plus. De ce point de vue il n'y a que deux ou trois métiers qui comptent. Le métier ultime ce serait la politique. Hélas, je ne suis pas persuadé du tout que j'en aurais été capable parce que ça demande des qualités tactiques, stratégiques et de compromis qui sont à l'extrême symétrique de ma personnalité. J'ai regardé avec intérêt l'aventure politique de Cohn-Bendit qui a duré à peu près un an et je me suis dit voilà, si tu t'étais lancé dans la politique ça aurait donné à peu près ça.

Ensuite il y a la science, la science au plus haut niveau, l'astrophysique, la biologie, la physique quantique. C'est quand même l'extrême intelligence humaine, mais je ne pense pas que j'en aie les capacités.

Finalement, quelque chose que j'aurais pu faire et pour lequel j'ai des vraies capacités, c'est compositeur. Quand on est compositeur on est dans l'abstraction, on n'est pas dans la vulgarité de la matérialité et on envoie des messages subliminaux (même si ce n'est pas le bon terme) pour dire tout ce que l'on veut. Par la qualité de la musique que l'on compose on peut envoyer de la rébellion, de l'amour, de la réflexion, c'est un vecteur extrêmement efficace la musique.

Il n'est pas trop tard pour s'y mettre

Il n'est pas trop tard mais j'ai un problème c'est que je n'ai aucune mémoire à court terme. Je compose dans ma tête toute la journée mais je ne me souviens de rien, zéro. Et quand je dis zéro c'et zéro. Parfois on me passe un téléphone, je réponds, on me demande qui c'était et je suis incapable de dire à qui je viens de parler et de quoi, c'est assez étonnant quand c'est à ce point-là, ça me laisse beaucoup de place libre à l'imaginaire, c'est sans doute pour cela que j'ai ce pouvoir maladif de production créative.

Une forme d'autisme, en somme...

Mais moi je suis clairement autiste. Maintenant la médecine reconnaît les genres et les grades de l'autisme et les proportions. Heureusement pour moi je ne suis pas gravement autiste mais je suis quand même atteint.

Quand vous créez, êtes-vous travaillé par la peur?

Non... Comme dans toute action humaine, il y a la volonté de faire plaisir à sa maman, la volonté d'être aimé. Je crois que toute action est basée là-dessus. On se dit que si l'on fait bien quelque chose, on va être admiré, je pense que c'est totalement humain. Moi j'ai douze ans d'âge mental, je n'en suis pas encore sorti. Après la création c'est une maladie mentale, c'est quasiment semi-automatique. Et comme je n'aime pas parler, que je n'aime pas voir les gens, la ville, que je ne regarde rien et que je n'ai aucune curiosité, la création c'est ma zone de confort.

Un exemple. On m'a donné un dossier tout à l'heure, c'est très très complexe, c'est très gros, c'est quelque chose qui demanderait pour certains six mois de travail. Mais j'ai une telle force de concentration que je vais rendre le projet mardi à 10h30. Et ça c'est unique, je ne m'en vante pas mais quand les gens voient ce que je peux faire, à la vitesse à laquelle je le fais, avec ce niveau de qualité et de précision, les gens se disent que c'est pas normal, c'est pas humain. C'est vrai, c'est maladif. Donc ça ne se discute pas.

Du coup, demain matin je vais attaquer le dossier et jusqu'à mardi je serai en suroxygénation. Mardi matin je serai KO, quasiment gaga, au bord d'un micro burn-out mais j'aurai été dans ma sphère, dans mon monde, j'aurai volé dans mon territoire.

Il faut se conditionner pour rentrer dans ce monde, faire de la méditation?

La créativité, la méditation, en fait on parle de la même chose avec un autre nom. Ma femme me dit toujours, finalement ce que tu fais c'est de la méditation, c'est de la gestion de la concentration. Sauf que la méditation c'est se concentrer pour ne penser à rien tandis que moi c'est pour penser très fort. Mais c'est tellement fort que ça se rejoint.

En réalité l'exercice est assez simple. Il ne faut pas se coucher trop tard, il ne faut pas trop picoler, il ne faut pas être abruti par les news et il ne faut pas trop comprendre ce que les gens vous disent. Il ne faut pas être malheureux dans la vie, il faut essayer d'avoir une vie sexuelle à peu près correcte, se trouver dans des lieux un peu retirés, avoir une bonne table, une bonne lampe, un bon casque, de la bonne musique, et que tout soit prêt pour ne pas être dérangé.

En ce moment, c'est le cas. Je suis comme une cartouche prête à imprimer et demain je commence à imprimer puisque tout est dans ma tête. La commande de ce projet est arrivée avant-hier, depuis deux nuits et dans un état semi-ouvert qui est le meilleur pour travailler, j'ai déjà tout vu, tout fait, tout exploré, tout est en trois dimensions dans ma tête, donc simplement mon boulot là. C'est presque bête, il faut tout simplement que j'imprime le mieux possible.

Comme un écrivain avec son histoire...

Oui, sauf que moi c'est aussi dû à une anomalie des structures neurales. Au lieu d'une construction orthogonale, rationnelle, j'ai des fulgurances qui sont clairement des diagonales et font que je n'ai même pas vraiment besoin de réfléchir. C'est livré, et c'est livré en très bonne qualité. Après mon travail c'est de vérifier, de vérifier que les fulgurances sont les bonnes, qu'elles fonctionnent. Mais à 90% elles marchent. Et quand je rends le projet à des gens très intelligents, mon plus grand plaisir c'est de les voir se cogner le front en regardant leurs collaborateurs et se dire merde, mais comment on n'y a pas pensé!

La créativité, c'est inné chez vous, c'est votre maladie mentale... En même temps, vous avez ce projet d'école de la créativité. Mais comment on enseigne aux autres ce qui procède d'une structure mentale chez soi?

Il y a d'abord des gens qui l'ont cette structure, qui avaient des idées et qui sont passés à côté, qui n'ont pas eu l'occasion. Pour ces gens-là, il n'est pas trop tard. Si on leur explique, ils peuvent être remis sur les rails et rouvrir leur créativité. Après il y a d'autres gens qui ont une créativité moyenne, mais à l'aide d'une organisation de pensée, par une gymnastique, une hygiène, un process, on peut les booster. Après, c'est un sport comme un autre avec son savoir-faire. Le matin, il faut se lever et faire strictement la même chose, choisir la bonne musique, faire attention de ne pas se tromper. Si l'on a choisi la mauvaise musique et que ça ne vient pas, dans ce cas-là il faut tout arrêter, reprendre une douche et recommencer. C'est des trucs comme ça qui font que ça marche.

Ensuite, il ne faut pas trop se mettre au travail. Il faut savoir rester dans son lit un petit peu anxieux à se ronger les ongles, le temps que ça vienne, ou ne pas oublier non plus de prendre ses omega-3... Ce sont des choses comme ça ! Y'a plein de façons, suivant le potentiel des gens, de révéler, développer, d'amplifier la créativité.

C'est l'idée qu'aujourd'hui on peut avoir du pouvoir sur notre cerveau et que ce n'est pas seulement lui qui a un pouvoir sur nous, et ce n'est que le début...

L'imagerie électronique cognitive du cerveau c'est l'arme absolue. Il ne faut regarder que ça, et comme c'est un domaine qui est en progrès exponentiel, la connaissance des cartes, des fonctionnements, des structures est en train de nous donner la clef de tout, et il ne faut pas en avoir peur. D'ailleurs, et je vais me faire des ennemis en disant ça mais c'est vrai, la psychanalyse a été la solution la moins mauvaise jusqu'à un moment, mais il faut aujourd'hui reconnaître que c'est un système qui est complètement dépassé, et même associé à des nuisances puisqu'il y a des gens qui restent collés à un système dans lequel ils se croient malades alors qu'ils suffiraient qu'ils regardent la cartographie de leur cerveau pour s'apercevoir de leurs différences naturelles.

Un autre domaine où l'on a fait beaucoup de progrès ces trente dernières, c'est l'éthologie. On se rend compte que les animaux sont bien plus proches de nous qu'on ne le croyait, et inversement...

Le fait que l'on puisse encore tuer pour vivre est une véritable hypocrisie. J'ai quand même l'impression que toute personne douée d'un peu d'intelligence, d'une vision un peu plus globale, sait bien qu'on ne devrait pas le faire. On n'arrête pas de se dire que les animaux n'ont pas d'idée de la souffrance, de l'amour, de l'attachement et ainsi de suite, c'est pas vrai! Il y a aujourd'hui simplement un manque de connaissance ou de volonté d'aller vers cette connaissance. J'ai l'impression que plusieurs milliards d'humains ont travaillé pour s'éloigner de l'animalité et créer une civilisation, mais tant qu'on tuera, on ne sera pas civilisés. Que diront nos arrière-petits-enfants quand tout d'un coup, sortira grâce à l'imagerie que finalement, on tuait des vaches qui souffraient le malheur, qui pissaient de peur et ainsi de suite... Sans parler des racismes induits, comme ceux qui sont végétariens et qui mangent du poisson. Ah bon ? Donc il y a des races qu'on peut tuer et d'autres pas? Je vais tuer des vaches mais je ne vais pas tuer des chats... Pourquoi ? Parce qu'on connait mieux les chats ? Donc ça veut dire que les gens que l'on ne connait pas on peut les tuer et les gens que l'on connait on ne peut pas les tuer? Y'a pas un raisonnement qui tient là-dedans.

Soit on les mange tous, soit on en mange aucun...

Evidemment!

Mais vous êtes végétarien ou pas?

Je l'ai longtemps été et je fais tout pour l'être. Le problème c'est que je voyage tellement que c'est techniquement quasiment impossible. Quand je faillis, j'ai vraiment honte. Ma femme est végétarienne, elle a plus de courage que moi mais c'est vrai qu'au bout du troisième repas dans l'avion, y'a un bout de pâté qui passe et on le mange... Mais on a honte. Donc je suis mentalement végétarien, en fait on va dire que je fais ce que je peux. J'ai cependant espoir de réduire mon rythme de vie et dès que je ne serai plus forcé de voyager, je vais redevenir végétarien dans la minute avec le plus grand bonheur. Je l'ai été très longtemps.

Le Huffington Post est un média transnational, et vous-même vous voyagez beaucoup...

Je suis un voyageur forcé !

D'après Philippe Starck, le voyageur, quel est le dénominateur commun entre un Américain, un Allemand, un Britannique, un Français, un Japonais, des Italiens et des Espagnols?

On ne peut évidemment pas répondre de façon binaire à cette question puisque nous sommes multiples. Mais si l'on essaye d'être binaire, on pourrait dire que ce qui rassemble aujourd'hui une partie de l'humanité et tout ces pays là, à une exception près et j'y reviendrai après, c'est l'avidité qui est assurément le plus grand moteur aujourd'hui des sociétés.

Je ferai une légère exception pour les Japonais qui ont encore un sens éthique, de l'autre et de la communauté exceptionnel. Après l'accident de Fukushima par exemple, on a vu des vieux se porter volontaire pour aller désactiver la centrale à la place des jeunes au motif que leur vie était faite... On se condamne nous-même pour le bien de l'autre, et il y avait tous les jours des exemples extraordinaires de ce dévouement. On devrait s'intéresser un peu plus aux Japonais.

Ensuite, il y a un autre modèle de société qui est en train d'émerger. On voit des gens qui commencent à rêver et à travailler sur ce que devraient être les valeurs de la société future au vu de l'échec total de ce que l'on a construit jusqu'à aujourd'hui. On est allé droit dans le mur et maintenant qu'on est dedans, le moment est venu de créer de nouvelles structures, de nouvelles valeurs, de nouvelles utopies en général, y compris politique. On vit dans des sociétés où il n'y a jamais eu aussi peu d'utopie de quel ordre qu'elle soit.

L'utopie communiste est une utopie extraordinaire ratée en raison d'une dégénérescence et d'une récupération par des voyous. Mais ce n'est pas comme ça qu'on travaille! On ne jette pas un prototype après le premier essai. Si on le compare avec le capitalisme, combien de fois n'a-t-il pas fallu réparer le prototype du capitalisme? On s'acharne à réparer un système qui ne marche pas, où l'on paye tous les jours, alors que d'autres modèles ont été abandonnés. Donc il faut réinstaller des utopies, réinstaller des visions...

... Et réinventer le communisme?

Le problème c'est que lorsqu'on dit "réinventer le communisme", tout le monde se met à hurler. Mais à mon sens, la dimension chrétienne du communisme reste encore l'une des meilleures propositions que l'on puisse faire à une société.

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