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Mélodie du Sud: pourquoi ce film Disney ne sortira jamais en DVD

Mélodie du Sud: pourquoi ce film Disney ne sortira jamais en DVD

Un certain public, très critique, n'en finit pas de pousser Disney dans ses retranchements. Le cinéaste Randy Moore avait dévoilé au dernier festival de Sundance, l'étrange survival "Escape from Tomorrow".

Ce long-métrage (qui vient de sortir en salles) tourné à l'insu des dirigeants du parc californien, met à mal la féerie du lieu et de ses personnages, les changeant en pantins inquiétants et malfaisants. Le tout avec l'éternel sourire de Mickey sur le visage. Mickey qui n'a pas attaqué en justice, pour le moment, et préfère faire profil bas en termes de droit a l'image.

Mais il y a un autre film que Disney ne veut surtout pas voir resurgir. "Mélodie du sud" ("Song of the South" en version originale), un film que Walt Disney considérait comme l'un de ses chefs d'œuvre, n'a jamais été édité en DVD, et ne le sera probablement jamais. La raison ? Des accusations de racisme à son encontre, qui sont une somme malvenue des attaques dont le géant du dessin animé fait fréquemment l'objet. Pour faire taire les rumeurs, la firme a donc décidé de bloquer toute tentative de production, en lissant depuis son image au maximum.

Sur Internet, les critiques pullulent

Pour qui s'intéresse au monde merveilleux et féérique de Disney, impossible de passer à côté du passé trouble de Walt, au moins aussi passionnant que les visions de ce créateur de génie, qui a laissé derrière lui un empire colossal. Cependant, les entreprises les plus identifiables du capitalisme moderne, et leurs réussites effrontées, ont toujours un goût de soufre. Plagiat, machisme, dissimulation, xénophobie, vampirisme : on a prêté les pires travers à Mickey, corolaire d'un immense succès rarement pris en défaut.

Sur les plateformes de vidéos, pullulent les analyses (plus ou moins sérieuses, avouons-le) de la stratégie Disney, débutée en 1923. Cela va du traitement raciste d'un personnage (les corbeaux dans Dumbo, Rafiki le singe à l'accent africain dans "Le Roi Lion"), à la dénonciation de stéréotypes les plus éculés (la chanson d'ouverture d'Aladdin, et ses "oreilles coupées, parce que bon, on est chez les Arabes", changée depuis). Sans oublier, en vrac : complot Illuminati, Troisième Reich, théorie conspirationniste et lobotomie subliminale des héroïnes en détresse, que ne supportent plus les féministes du monde entier, etc.

Bref, comme tout représentant du méchant mondialisme rampant (cf. Banksy chez McDo), Disney subit, à tort ou à raison, les foudres des antis. Si la firme connaît en ce moment d'importants bouleversements à sa tête, suite au rachat de Marvel et à quelques flops, on essaie encore, tant bien que mal, de "protéger la magie" (comme on dit ici en plaisantant), en censurant, par exemple, les erreurs de jeunesse du bon vieux Walter.

Un "Mary Poppins sudiste"

Cependant, un film en particulier a toujours retenu toute l'attention des chercheurs, journalistes, et d'une partie du public. Il s'agit d'un "Mary Poppins" sudiste, très controversé : "Mélodie du Sud". Le premier long-métrage mélangeant prises de vue réelles et animation, branche que Disney a peu explorée depuis "Pete's dragon" en 1977.

A la bibliothèque principale du campus Disney, à Glendale (Los Angeles), la documentaliste maison oscille entre malaise et amusement à l'idée de faire quelque recherche au sujet de ce "Song of the South", film maudit que les dirigeants de la firme ont décidé ne plus jamais mettre en avant, après de multiples sorties plus ou moins polémiques. En effet, dès la première du film en 1946, premier couac : l'acteur principal, James Baskett, un Noir, n'était pas invité à fouler le tapis rouge, les lois ségrégationnistes étant encore en vigueur à Atlanta. "Vous devriez regarder du côté des ouvrages de sociologie pour une analyse poussée, ici la boîte n'aime pas trop promouvoir cette histoire", nous dit-elle.

Dans les magnifiques rayons remplis à ras-bord de documents précieux, utiles aux dessinateurs pour créer de nouveaux personnages, rien sur ce long-métrage, dont l'action se déroule dans une plantation en Géorgie, juste après la guerre civile américaine (soit entre 1865 et 1877, une période appelée "la Reconstruction"). Hormis d'innocentes représentations figuratives, aucun mot qui fait mal. En revanche, le net et les ouvrages critiques sont en effet une source précieuse de renseignements.

L'histoire de "Mélodie du sud" est celle de Johnny, un jeune garçon de sept ans que les parents, en instance de divorce, envoient en séjour à la ferme. Plus précisément dans une maison coloniale au cœur de laquelle père et mère emploient nombre d'employés de couleur, notamment pour les travaux des champs, et ce même si nous sommes quelques années après l'abolition officielle de l'esclavage. On ne verra pas un fouet, conte de fées oblige, mais le décor est posé.

Disponible sur Youtube en tronçons d'une dizaine de minutes, le film a ses fans et ses indignés. Nous avons pu récupérer une copie DVD, auxquels seuls quelques employés ont accès. La jaquette était du vulgaire fan-art, inspiré de l'affiche original et de la VHS. Des œuvres échangées sous le manteau par de nombreux frustrés qui aimeraient voir, un jour, sortir le long dans une qualité acceptable.

"Zip-a-Dee-Doo-Dah"

Pour l'avoir visionné ainsi, "Song of the South" conte donc la rencontre inopinée de Johnny et d'Oncle Remus, originellement un personnage central du folklore afro-américain. Le film n'est pas bien méchant, tout juste une ennuyeuse bluette amicale et naïve. Mais il dépeint surtout la nonchalance d'une communauté noire qui n'aurait pas eu à cœur de se sortir des griffes de l'esclavage, même après 1848. Uncle Remus est libre de circuler, mais il reste là, sous la coupe d'une famille bourgeoise pour laquelle il travaillait jadis, et qui le loge dans un taudis minable.

Et c'est bien sûr ce qui pose problème. Soit aux Blacks eux-mêmes, soit à des Blancs du XXème siècle en pleine repentance. Peu importe au fond, de savoir si tous les Africains arrivés en Amérique se battaient sans relâche pour leur survie. Ici, ils sont évidemment débonnaires, enfantins, et chantonnent à qui veut les entendre, le fameux "Zip-a-Dee-Doo-Dah", chanson-phare du film, encore diffusée aujourd'hui dans les enceintes du parc Disneyland en Californie.

Assis autour du feu pour raconter des histoires de lapins aux marmots, Uncle Remus est le bon Noir. La mère de Johnny, excédée, lui demande avec condescendance de ne plus berner son fils. Ordre que le valet, limité intellectuellement, accepte sans rechigner. On pense à "Autant en emporte le vent". Pas de "nigger" (nègre) prononcé ; pas de violence, si ce n'est dans les parties animées ; du gospel bon teint, etc. Cela contraste trop avec l'acception commune selon laquelle la rage et le besoin de liberté animaient les esclaves depuis le début. Il faudra le retour du père pour que tout rentre dans l'ordre. Soupirs...

"Racisme passif"

En outre, quelques courts passages, que nous qualifierons de "racistes passifs", dévoilent sans ambiguïté la tendresse de Walt pour la bonté pondérée des maîtres de maison, face à des Noirs qui ne pigent pas grand-chose, accent exotique inclus. Plus retors, la liberté dont jouit l'acolyte noir de Johnny, le jeune Toby, et qui tend à dépeindre une collaboration cordiale entre Blancs et Noirs, sans mentionner que ces derniers étaient emmenés là de force. "Under circumstances" (tout dépend des circonstances de l'Histoire), disaient certains pour justifier la traite négrière. Preuve de l'appartenance de Walt Disney au parti nazi américain, pour d'autres. Les blogs accumulant des théories du complot fleurissent, tandis que les pros sont aveuglés par leur amour de "l'endroit le plus joyeux de la Terre" (la devise actuelle des parcs).

Toujours est-il que le film a connu une sortie VHS en 1982, puis en laser-disc en 1985. Mais le chef d'œuvre technique escompté sera trop sali. Il fut stoppé net par la mauvaise presse, et par les appréciations d'un public qui continue de se déchirer, et freine le PDG Bob Iger, ce dernier multipliant les déclarations contradictoires.

Le film continue de gêner : sa projection a récemment été annulée lors du LoneStarCon, une convention sur la fiction à San Antonio (Texas), après une protestation d'un mouvement de droits civiques. Il y quelques jours cependant, le premier animateur noir de Disney, Floyd Norman, a évoqué "Song of the South" à Atlanta lors d'une tournée promo pour un livre. "Bien que le film ne soit pas parfait, Walt Disney et son équipe de création ont mis beaucoup d'amour dans 'Song of the South'. Espérons qu'un jour cet incroyable film sera apprécié pour ce qu'il est vraiment, et ne sera plus interprété par certain".

Une attraction intitulée "Splash Mountain" reprend les personnages animés de "Mélodie du Sud" dans les parcs de Floride, Californie et Tokyo. Bien moins polémiques, puisqu'il s'agit d'un lapin malin, d'un renard et d'un ours débile, ils invitent une fois de plus à se concentrer sur la face lumineuse de l'histoire de Disney. Celle des happy ends, entamée à l'aube des années 80.

Signe des temps, c'est une fille à la peau noire qui fut, pour la première fois, l'héroïne, dans "La princesse et la grenouille", sorti en 2010, des années après les Arabes, Indiennes et Asiatiques ; Jasmine, Pocahontas et Mulan. Un retour dans le bayou pour les animateurs, manière de réécrire l'Histoire avec de jolies couleurs.

Il faut dire qu'innover en avalant les influences, c'est ce que Disney a toujours fait. Après les contes scandinaves et germaniques, le rachat de la franchise de super-héros Marvel est une récente preuve du pillage, en forme d'entrée dans l'âge adulte, ou du moins adolescent, le cœur de cible désormais avoué de la marque (parce que générateur de monnaie).

Néanmoins, s'il pousse la firme à la souris à capitaliser sur la branche animation et les suites à succès pour garçons en mal de testostérone, il reste une part de surprise, comme le très intéressant "Lone Ranger", resucée de John Ford, malheureusement un four au box-office. Les dessins animés eux, cartonnent toujours. "Frozen" (adaptation de la "Reine des neiges" d'Andersen), sortira à la fin de l'année, en attendant la cryogénisation du maître. Les détracteurs continueront de malmener l'image de Disney, que ce soit en tournant des films d'horreur, des pornos, ou en se désolant du fait que Maître Yoda porte désormais des oreilles de Mickey, suite au rachat de Lucas Arts. La guerre des puristes et des chiffres ne fait que commencer.

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