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Commission Charbonneau: la version de Michel Arsenault sur Jocelyn Dupuis mise à mal

Commission Charbonneau: la version de Michel Arsenault sur Jocelyn Dupuis mise à mal
CEIC

Des nombreuses conversations captées par la Sûreté du Québec entre mai et octobre 2008 lors de l'opération Diligence indiquent que le président de la FTQ Michel Arsenault a personnellement défendu au Fonds de solidarité le dossier de Carboneutre porté par Jocelyn Dupuis.

M. Arsenault était - et est toujours - président du conseil d'administration du Fonds. Le Fonds n'investira finalement pas dans cette entreprise infiltrée par la mafia.

Les écoutes démontrent par ailleurs que le mafieux Raynald Desjardins était le véritable patron de la société de décontamination et qu'il œuvrait de fait dans l'ombre de Domenic Arcuri, ce qu'ignorait cependant M. Arsenault.

Les écoutes ne semblent pas indiquer que les relations entre MM. Dupuis et Arsenault aient été affectées par les révélations de Ken Pereira sur les factures exorbitantes de l'ex-directeur général de la FTQ-Construction.

M. Pereira a soutenu devant la commission que M. Arsenault, confronté à cette réalité le 19 août 2008, avait été d'accord pour mettre en œuvre un plan pour éjecter Jocelyn Dupuis de la FTQ-Construction. Dans les faits, les discussions entre MM Arsenault et Dupuis sur Carboneutre se sont poursuivies bien après cet épisode. La dernière conversation entendue mardi a été réalisée le 15 octobre de la même année.

C'est d'ailleurs dans cet extrait que Jocelyn Dupuis annonce à Michel Arsenault qu'il va devenir directeur général de Carboneutre. M. Arsenault ne semble guère étonné de cette relation d'affaires; les deux hommes discutaient en fait du dossier Carboneutre depuis des mois à ce moment.

Selon l'enquêteur Nicodemo Milano, une conversation entre MM. Arsenault et Dupuis captée le 8 septembre 2008 montre selon lui que les deux hommes fomentent un « putsch » contre Jean Lavallée. « Quand que lui est là, on y dit le contraire » dit Arsenault à Dupuis en parlant de Lavallée. Dupuis lui répond : « Tout le monde va y dire direct, bien direct », rétorque Dupuis. Or, selon M. Pereira, MM. Lavallée et Arsenault avaient pourtant convenu ensemble de se débarasser de M. Dupuis.

En mars 2009, Michel Arsenault avait affirmé aux médias avoir appris l'affaire des comptes de dépenses de Jocelyn Dupuis en septembre 2008 et agi avec vigueur : « Le ménage s'est fait en deux semaines. Moi, quand j'ai été convaincu comme président de la FTQ qu'il y a eu du laxisme, de l'exagération dans les comptes de dépenses, j'ai demandé à Jocelyn Dupuis de quitter la FTQ-Construction ».

M. Arsenault, qui affirmait avoir appris à la même époque d'un policier retraité de la GRC que Jocelyn Dupuis était sous enquête dans une cause de blanchiment d'argent relié aux gangs de motards, dit avoir débaler le tout devant ce dernier et exigé son départ : « Il ne méritait plus d'être un permanent de la FTQ. Il ne méritait plus d'être associé à la FTQ ni à la FTQ-Construction ».

De nombreux suspects ciblés par Diligence

Les écoutes électroniques diffusées à la commission Charbonneau ont été effectuées par la SQ en 2008 dans le cadre de l'opération Diligence et portant sur l'infiltration par la mafia de l'entreprise Carboneutre.

Ces éléments de preuve ont été commentés par l'enquêteur de la commission Nicodemo Milano après qu'il eut présenté les différents acteurs impliqués dans cette affaire, dont Jocelyn Dupuis, Raynald Desjardins et Giuseppe Bertolo, mafieux notoires, et Domenic Arcuri fils, considéré comme proche de la mafia italienne.

Les premiers enregistrements présentés, impliquant MM Dupuis et Desjardins, montrent notamment que dès le début de mai 2008, Jocelyn Dupuis s'impliquait activement en faveur de Carboneutre, que dirigeait officiellement Domenic Arcuri. Il ne quittera son poste de directeur général de la FTQ-Construction que quelques mois plus tard.

Les deux premières conversations, captées le 5 mai,entre MM. Dupuis et Desjardins montrent que les deux hommes se connaissent bien. Jocelyn Dupuis appelle Desjardins « mon chum » à plusieurs reprises; son interlocuteur lui donne du « mon ami ». On peut notamment y entendre Jocelyn Dupuis dire qu'il veut « attendre d'être avec Élaine » Zakaïb avant d'appeler deux personnes du Fonds.

Mme Zakaïb, aujourd'hui ministre déléguée à la Politique industrielle et à la Banque de développement économique du Québec dans le gouvernement Marois, était à l'époque présidente-directrice générale des Fonds régionaux de solidarité FTQ, un poste qu'elle a occupé de 2004 à 2012.

Dans la seconde conversation, les deux hommes se donnent rendez-vous au restaurant Cavalli,« un lieu de fréquentation du crime organisé italien » a précisé M. Milano.

La troisième conversation, captée le 9 mai 2008, implique Jocelyn Dupuis et un dénommé « André », qui travaillait au sein d'un fonds régional de la FTQ-Construction. André lui rapporte avoir parlé avec Domenic Arcuri mais souhaite que M. Dupuis lui en dise davantage sur les affaires de ce dernier, ses explications ne l'ayant pas satisfait.

M. Dupuis fait un portrait flatteur de son entreprise de construction Mirabeau. Il pense qu'il a ce qu'il faut pour se préqualifier pour le Fonds.

André fait cependant valoir que les besoins de 7,5 millions de Domenic Arcuri pour Carboneutre sont élevés pour un Fonds régional. M. Dupuis convient qu'Élaine Zakaïb n'était pas au courant de la hauteur du montant, mais qu'elle lui avait néanmoins promis de l'aider dans ce dossier. M. Dupuis pense que ce Fonds pourrait fournir au moins une partie de la somme.

Dupuis connaissait à peine Arcuri

En fait, l'extrait suivant du 16 mai démontre que M. Dupuis ne connaissait pas encore vraiment Domenic Arcuri, patron officiel de Carboneutre, puisqu'il demande à Giuseppe Bertolo de lui épeler son nom de famille ainsi que celui de sa compagnie, Mirabeau. Il appelera cependant le lendemain Raynald Desjardins qui lui fournira davantage d'informations sur Carboneutre.

Puis, le 20 mai, M. Dupuis s'entretient avec M. Arsenault pour lui vanter Carboneutre. Ce dernier lui offre des conseils d'ordres généraux pour M. Arcuri sur la meilleure façon d'obtenir de l'aide du Fonds. « Quand t'es dans la ligne nationale, ça te prend un dossier étoffé », fait valoir le président de la FTQ.

Le même jour, MM Dupuis et Arsenault se reparlent : le directeur général de la FTQ-Construction le sollicite pour Garnier Kids, la fondation de Joe Borsellino, dont il est le président d'honneur. M. Arsenault lui assure sinon que Carboneutre est « dans la machine à saucisses », un propos que va rapporter plus tard M. Dupuis à M. Desjardins.

L'échange démontre à la fois le rôle central de ce dernier à Carboneutre, mais aussi le fait qu'il doit garder profil bas: M. Dupuis souligne clairement à M. Desjardins qu'il ne doit pas se pointer à la rencontre prochaine avec le Fonds de solidarité FTQ.

Une conversation du 9 juin, entre MM Dupuis et Desjardins, permet de savoir que la rencontre avec le Fonds s'est bien déroulée. Elle montre aussi que ce dernier comprend mal comment le Fonds fait du financement, ce que M. Dupuis se fait fort de lui expliquer.

Fast-track au Fonds de solidarité

Le 4 août, Joe Bertolo, lui aussi impliqué dans Carboneutre, confie au téléphone à Dupuis qu'il a rendez-vous avec Gaétan Morin, vice-président au développement corporatif et investissement du Fonds de solidarité FTQ et bras droit de son patron, Yvon Bolduc. M. Dupuis lui dit alors que Michel Arsenault lui avait dit que c'est M. Morin qui avait le dossier, qu'il le lui avait donné.

Puis, le 5 août, M. Dupuis appelle M. Bertolo et lui dit que Gilles Audette, conseiller politique de Michel Arsenault, a parlé à Gaétan Morin et qu'il va rencontrer Benoit Ringuette, l'ingénieur de Carboneutre. Deux jours plus tard, M. Dupuis affirme à M. Desjardins qu'il attend des nouvelles de M. Arsenault mais qu'il est confiant :« Y m'a garantie, il m'a dit écoutes, je t'ai dit que c'était réglé, ça va se faire »

Mais le 29 août, M. Arsenault affirme à Jocelyn Dupuis que le Fonds n'est pas satisfait du dossier de Carboneutre : l'entreprise ne fournit pas assez d'argent dans l'aventure et le Fonds veut les preuves qu'elle a un bon volume d'affaires.

« Tabarnak, il n'y en aura pas de deal », lance Arsenault, qui concède que le Fonds est prêt à faire 50 % 50 % si Arcuri leur démontre qu'il a ce qu'il faut.

Le 8 septembre, Jocelyn Dupuis parle à Michel Arsenault et lui répète de fournir à Gaétan Morin ce qu'il leur a demandé : « Qu'ils produisent des documents pis après ça (...) moi je m'organiserai. »

Le 1er octobre, Joe Bertolo et Jocelyn Dupuis semblent toujours croire que la relation avec le Fonds pourrait encore fonctionner, cette fois pour un prêt de 4,5 millions $

Et le 14 octobre, Michel Arsenault dit à Jocelyn Dupuis que Gaétan Morin va appeler M. Arcuri pour le convoquer à une réunion où se retrouveront M. Morin, M. Arsenault lui-même et le président du Fonds.

C'est finalement seulement le 15 octobre que M. Dupuis annonce à Michel Arsenault qui va aller travailler chez Carboneutre comme directeur général.

M. Milano a travaillé pendant des années au SPVM à la section antigang qui menait la lutte contre les motards criminels et contre la mafia. Il a par la suite intégré l'Escoudade régionale mixte impliquant la SQ et la GRC, avant de revenir au SPVM pour s'impliquer dans la lutte contre les stupéfiants. Il est enquêteur à la commission Charbonneau depuis 2011.

M. Milano a participé à l'extradition du parrain Vito Rizzuto, lorsque ce dernier a été envoyé aux États-Unis pour y purger une peine de prison.

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Tony Accurso

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