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Charte des valeurs québécoises: Le témoignage d'Iethar A., féministe et voilée

Moi, Iethar A., féministe et voilée
Fanny Texier

Au sommet d’une pile de foulards multicolores, apparaît un visage au sourire enfantin. Ce sourire, c’est celui d’Iethar A., une jeune musulmane de 22 ans.

« J’ai plus d’une centaine de voiles chez moi. Ça déborde de partout. Je n’aime pas porter le même chaque jour», lance la jeune femme aux ongles vernis de rouge.

Comme beaucoup de femmes musulmanes au Québec, Iethar est directement visée par le projet de Charte des valeurs québécoises du gouvernement Marois. Née à Montréal, Iethar est originaire de l’Irak. Depuis l’âge de 9 ans, elle n’a jamais enlevé le tissu qui recouvre ses cheveux.

« Dans ma communauté, beaucoup de mes amies portent le voile depuis très jeune. Déjà, petites, on était fières de le porter. On se sentait comme des femmes », explique celle pour qui le voile fait partie intégrante de son identité.

Ses parents ont fui un pays qui connaissait déjà la guerre il y a trente ans. À l’époque, le Québec leur apparaissait comme un eldorado où élever une famille et leur offrir un avenir meilleur serait plus facile qu’en Irak. Depuis sa naissance, Iethar n’a jamais quitté le Canada.

« J’ai passé mon primaire et mon secondaire dans une école musulmane francophone. C’était plus facile pour moi de m’adapter et de m’intégrer. En même temps, je ne me suis jamais sentie différente non plus », précise-t-elle.

Depuis que le débat sur la Charte a débuté, Iethar a l’esprit occupé. Quelque chose a bel et bien changé. Lorsqu’elle marche dans le centre-ville, une sensation de malaise frappe la jeune femme.

« C’est comme si mon voile était plus visible que d’habitude, confie-t-elle. Je vois bien que tout le monde me regarde quand je me balade sur la rue Sainte-Catherine ». Même scénario lors des trajets en autobus et en métro. « Je sens que je suis le centre de l’attention. Les gens doivent se dire que je suis la cible de la loi ».

Étudiante à l’université de Concordia la semaine, Iethar est aussi travailleuse sociale le week-end à Chez Doris, un centre de jour pour les femmes itinérantes et en difficulté. Iethar assure que ses foulards ne changent pas la façon dont elle se comporte avec elles.

« Au travail avec les femmes, on me demande souvent ce que je vais devenir. Elles me disent : on veut que tu restes. D’ailleurs, certaines collègues sont descendues dans les rues pour aller manifester et me soutenir. Ça m’a vraiment touché », raconte la jeune femme.

Pour Iethar, cette Charte n’est pas logique, car c’est la culture québécoise qui a fait d’elle la personne qu’elle est aujourd’hui. « Je parle l’arabe, le français, l’anglais. Je suis née ici. Le fait d’être ouverte, féministe et d’accepter tout le monde, c’est toute cette identité que le Québec m’a transmise », se défend-elle avec assurance.

Une identité que la jeune femme assume pleinement. « Je me considère féministe, car pour moi, il y a une vraie différence entre la culture et la religion, rappelle-t-elle. Il existe beaucoup de cultures où les femmes sont opprimées. Moi, je ne laisse pas les hommes dicter mes actions. Mon voile ne m’arrête pas non plus ».

Iethar est également assistante de professeur à l’université de Concordia pour un cours sur le respect de la diversité dans les relations humaines. « Si cette nouvelle loi m’empêche d’être assistante parce que je porte le voile, alors que je suis en train d’enseigner à des élèves ce qu’est le racisme… Je trouve ça ironique », sourit-elle.

Si la Charte est adoptée, une chose est certaine. Iethar refusera d’enlever son voile. « Cette Charte a déjà commencé à diviser le monde, soupire-t-elle. Mes parents ont peur pour notre communauté. Quant à moi, je n’aimerais pas rester dans un pays où on ne m’accepte pas. C’est ma liberté qui est en jeu ».

Iethar a déjà commencé à chercher du travail en Ontario à Ottawa. Elle pense à son futur et réfléchit où elle pourrait aller, même si elle continue d’espérer. « J’ai quand même l’espoir que cette loi ne passera pas, lance-t-elle. Je crois au Québec. Je suis convaincue que c’est un pays libre qui accepte tout le monde ».

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