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Astérix chez les Pictes : Uderzo passe la main, comme beaucoup d'autres

De nouveaux papas pour Astérix : Uderzo passe la main, comme beaucoup d'autres
Albert René

Albert Uderzo a trouvé les pères adoptix pour sa progéniture: Jean-Yves Ferri et Didier Conrad. Ce sont en effet ces deux auteurs qui reprennent le flambeau des aventures des plus célèbres des Gaulois, Astérix et Obélix. Leur premier album, Astérix chez les Pictes, sort en librairies ce jeudi 24 octobre.

A priori, ce changement de main ne devrait pas étonner. Uderzo lui-même, le dessinateur de la série, avait pris en charge le scénario à la mort du regretté René Goscinny. Sauf qu'entre temps, il avait décidé qu'Astérix mourrait avec lui. Une position qu'il a tenue longtemps avant de se raviser, estimant que le personnage ne lui appartenait plus, compte tenu du succès planétaire de la série.

Changer d'auteur ou arrêter là les aventures du petit Gaulois, une chose est sûre, cela ne pouvait plus durer. Sur la pente descendante, la série avait accouché d'un 33e album, "Le Ciel lui tombe sur la tête", qui avait fini par assommer le public. "Stop, pitié, n'en jetez plus, arrêtez le massacre, c'est Goscinny qu'on assassine", écrivait un internaute sur un site spécialisé. Il faut dire que l'arrivée d'extraterrestres dans le village gaulois avait dû mettre en fureur Belenos et Toutatis.

Il n'empêche, le nouveau duo, fut-il de talent, inquiète les fans qui sont prêts à leur tomber dessus abraraccourcix aussitôt lu ce nouvel opus. Pourtant il ne s'agit pas de la première reprise d'une série BD mythique par d'autres auteurs. Et le plus souvent, le résultat est au niveau de l'attente. Pour une raison simple finalement: l'auteur qui "hérite d'une série" tient à respecter l'esprit original alors que l'auteur de départ s'autorise plus de libertés.

Tour d'horizon des héros de BD qui ont échappé à leur auteur.

L'auberge hispanique des comics

x men

Si l'on fait une grande traversée pour aller voir ce qu'il se passe du coté des glouglous, on se rend compte que reprendre un super-héros est monnaie courante aux Etats-Unis. Pour une bête raison juridique: les droits des personnages appartiennent à la maison d'édition alors qu'en France ils restent la propriété des auteurs. Astérix est ainsi passé de Dargaud à Hachette, tandis que Daredevil restera ad vitam eternam chez Marvel ou Batman chez DC Comics.

Du coup, aux Etats-Unis, des centaines d'auteurs se sont vus confier la destinée d'un Iron Man ou d'un Spider Man. Avec plus ou moins de bonheur au fil des décennies. Régulièrement, des super-héros refont ainsi surface grâce à un auteur qui réinvente le personnage et le remet au goût du jour. Exemple? Frank Miller qui a dépoussiéré Daredevil en inventant le personnage d'Electra, et a refait de Batman le fer de lance de DC Comics grâce à ses mythiques Dark Knight Returns et Batman Year One (dont s'est inspiré Christopher Nolan pour son premier film). Le scénariste Garth Ennis qui a bodybuildé le Punisher, ou Todd Mc Farlane qui a révolutionné Spider Man, avant d'aller créer sa propre maison d'édition, Image, et son personnage emblématique, Spawn.

Quelques exemples de "vision" de Batman, par des auteurs différents:

(suite de l'article après ce diaporama)

... Alex Ross

Batman vu par...

Seul Image, co-fondé par Jim Lee et Todd Mc Farlane, avait décidé de changer de politique, justement parce qu'ils avaient souffert de se voir dépossédé des super-héros qu'ils avaient inventés ou réinventés. Mais, rapidement, ils ont vu les limites du systèmes. Le personnage d'Angela, qui apparaissait dans Spawn, avait été créé par Neil Gaiman (scénariste de Sandman et auteur de Coraline, adapté au cinéma). Suite à une brouille, il a refusé que son personnage soit réutilisé.

Une bataille juridique qui a empêché Image de rééditer les épisodes de Spawn dans lesquels figuraient la belle chasseresse. Neil Gaiman a remporté son procès il y a quelques mois, va faire migrer son personnage chez... Marvel! Un peu comme si Batman cessait de se battre aux côtés de Superman pour postuler chez les Avengers...

La potion magique de Blake & Mortimer

blake

By Jove! Les puristes du professeur Mortimer et du capitaine Blake ont recraché leur bouffarde en apprenant la sortie en 1996 d'un nouvel opus des deux british, 25 ans après le dernier album. Edgar P. Jacobs était mort depuis longtemps et n'avait donc bien entendu pas supervisé ce rejeton. Et pourtant, en quelques années, les ventes de Blake & Mortimer en perte de vitesse sont reparties de plus belle, et aujourd'hui la série fait partie de la poignée de BD dont les nouveautés sont tirées à plus de 100.000 exemplaires.

Il faut dire que la succession n'a pas été confiée à n'importe qui. Côté scénariste, citons Jean Van Hamme, le papa de XIII, Thorgal et Largo Winch. Côté dessinateur, Ted Benoit (mais si, les pubs pour le whisky Jameson) ou André Juillard, auteur de Plume aux Vents, le Cahier bleu et des couvertures du Triangle Secret.

Les différents auteurs ont su garder la "patte" du maître (omniprésence d'Olric, longues descriptions, incursion du fantastique dans les histoires, courses-poursuites interminables, langage châtié...) tout en renouvelant les thématiques qui auraient du mal à fonctionner aujourd'hui, comme la machine à remonter le temps, la rencontre avec les Atlantes etc.

Un bel hommage pour un bel ouvrage, le pari est réussi.

lucky luke

Rarement une succession aura été aussi bien planifiée. Dès le départ, Morris (le dessinateur qui avait également repris le scénario de Lucky Luke après la mort de Goscinny), voulait que le cowboy le plus chanceux à l'Ouest du Pecos lui survive. Les dernières années de sa vie, il a créé sa propre maison d'édition pour gérer les droits du lonesome cowboy, choisi des dessinateurs, lancé des séries parallèles telles que Ran Tan Plan ou Kid Lucky dont il ne signait ni le scénario ni le dessin.

Et pourtant, le résultat n'a pas été à la hauteur des espérances. Moins exigeant qu'Uderzo (voir ci-dessous), la suite a déçu. La présence de Laurent Gerra, certes très médiatique, mais sans expérience en tant que scénariste de BD, n'est certainement pas étrangère à la déception des fans à la lecture de La Belle Province, premier album publié après la mort du maître. L'humoriste a publié deux autres opus, La Corde au cou et L'Homme de Washington, avant de passer la main à deux romanciers français célèbres et fan de la série, Tonino Benacquista (Malavita) et Daniel Pennac (Le Bonheur des Ogres), avec plus de bonheur.

A noter que ces deux romanciers s'étaient déjà frottés à la BD (Benacquista avec L'Outremangeur, Coeur Tam-Tam, La Commedia des Ratés, etc. et Pennac en collaboration avec Tardi dans La Débauche). Leur album, Lucky Luke contre Pinkerton est plus dans l'esprit de la série, ayant moins recours que Laurent Gerra aux calembours.

Côté cinéma, Morris a également lâché la bride de Jolly Jumper. Pour des résultats catastrophiques. Le film "Les Dalton", que l'on peut apprécier, qui n'a franchement aucun rapport avec l'humour présent dans la série (et qui a été élu 5e pire film de tous les temps par les spectateurs d'Allociné avec 63% de 0 étoile) et le désastreux Lucky Luke avec Jean Dujardin, qui a fait faire des cauchemars aux moins de 12 ans.

Thorgal, XIII... le cadeau de César Van Hamme

xiii thorgal

Comment relancer une série lancé il y a plusieurs dizaines d'années et qui tourne en rond? Le génial scénariste belge Jean Van Hamme, auteur de Largo Winch, XIII et Thorgal, a eu l'intelligence de se dire qu'il fallait passer la main pour insuffler un vent neuf, tout en restant au-dessus pour superviser que l'esprit de ces séries étaient bien respectés.

Yves Sente, directeur éditorial du Lombard (qui appartient à Dargaud) a ainsi repris les rênes de XIII et Thorgal avec la bénédiction du maître. Et, il faut le dire, une franche réussite (il signe également des scénarii de Blake et Mortimer). En tant que fan de la première heure, il respecte l'essentiel et les codes des séries tout explorant des voies auxquelles Jean Van Hamme n'a pas pensé.

Des séries parallèles ont également fait leur apparition, sous la houlette de nouveaux duos scénariste/dessinateur. Les Mondes de Thorgal, avec une série centrée sur l'infâme Kriss de Valnor et une autre sur la fille de Thorgal, Louve. Et, pour XIII, la série "XIII Mystery", des albums one-shot, centré à chaque fois sur un personnage emblématique de la saga.

Le Grand fossé de Spirou

spirou

Le groom le plus célèbre de l'histoire de la BD a connu un destin à l'américaine: une dizaine d'auteurs se sont succédés au chevet du rouquin reporter. Pourquoi une telle exception? Tout simplement parce que celui qui a donné ses lettres de noblesse au personnage n'est pas son créateur. C'est en effet Franquin, le papa de Gaston Lagaffe, qui a transformé le groom en reporter en quête d'aventures, histoire de contrer Tintin, publié dans l'hebdomadaire concurrent de l'époque. Dès lors, Spirou n'appartenait plus à Franquin, ni à son créateur (Rob-Vel) mais au public.

Parmi les héros de la BD franco-belge, Spirou est donc le personnage qui a subi le plus de transformations au niveau du dessin, personne ne pouvant en revendiquer la véritable paternité:

Le meilleur a donc alterné avec le pire. Le plus étonnant, c'est que ce sont les mêmes auteurs, Tome & Janry qui ont offert les plus belles aventures de Spirou (depuis Franquin) et la plus grande hérésie. Dans l'album de Spirou et Fantasio "Machine qui rêve", le groom était devenu un jeune homme évoluant dans un polar pur jus et sans humour. Sacrilège! La suite ne verra d'ailleurs jamais le jour et Dupuis n'osera plus publier de nouveaux Spirou et Fantasio pendant dix ans.

Et aussi...

  • Alix: De 1998 à 2005, Rafael Moralès et Marc Henniquiau reprennent la série mettant en scène le jeune romain, l'auteur de départ Jacques Martin continuant à superviser le scénario et le découpage. Depuis sa mort, plusieurs auteurs ont pris en charge la destinée du personnage. Peu à peu, Jacques Martin se désengage de la série, la confiant à Cédric Hervan, puis Christophe Simon. François Maingoval, Patrick Weber, Ferry, Marco Venanzi... la série poursuit son bonhomme de chemin malgré la mort de son auteur. A noter qu'une série parallèle, Alix Senator, se déroulant des années plus tard comme son nom l'indique, est venue compléter le tableau, avec Valérie Mangin (Le Fléau des Dieux) au scénario et Thierry Démarez (Le Dernier Troyen) aux crayons.
  • Les Schtroupmpfs: C'est le fiston de Peyo, Thierry Culliford, qui scénarise et supervise les nouveaux albums car l'histoire de ce petit village de 100 habitants (99? 101? le débat reste ouvert) doit rester une affaire de famille. A noter le beau succès inattendu du film, qui a conduit les producteurs à sortir une suite.
  • Rahan: Le fils des âges farouches, créé par Roger Lecureux (scénario) et André Chéret (dessins) n'a pas toujours suivi ce que lui indiquait son coutelas. A la mort de Roger Lecureux, en 1999, c'est son fils, Jean-François et qui repris la torche jusqu'en 2010. La série n'a pas été épargnée par les procès. Après des années d'imbroglios juridiques l'opposant à Vaillant, le dessinateur André Chéret obtient son statut de co-auteur et peut continuer de crayonner le plus célèbre des hommes préhistorique qui a inventé à peu près tout sur terre, hormis, peut-être, le four micro-ondes et l'Internet.
  • Et Tintin au fait? S'il y a bien une franchise dont on attend une suite, c'est bien celle du reporter-qui-n'a-jamais-écrit-un-article-de-sa-vie. Sauf qu'Hergé a demandé expressément dans son testament que Tintin ne connaisse jamais de suite. Et Moulinsart SA, la société des ayant-droits qui gère d'une poigne de fer les droits du célèbre reporter, ne risque pas de sitôt de proposer une nouvelle aventure du gamin à la houpette. Même le dernier opus d'Hergé, "Tintin et l'Alph-Art", restera tel qu'il est, au statut de crayonnés et d'ébauches du maître de la BD franco-belge. Résultat: les ventes de Tintin baissent inexorablement, remplacé auprès des jeunes par des BD plus en phase avec leur temps, comme Les Légendaires ou Titeuf. Et ce, malgré l'adaptation de Tintin au cinéma par Steven Spielberg.

Le ciel va-t-il tomber sur la tête d'Astérix?

On saura dans quelques heures ce que vaut Astérix chez les Pictes. Et chacun pourra se faire une opinion. Mais on a envie d'y croire. D'abord parce que, côté scénario, le talent de Ferri n'est plus à démontrer. Collaborateur des studios Albert-René depuis des années et créateur de "Retour à la terre" avec Larcenet au dessin et de "De Gaulle à la plage", dont voici quelques extraits:

Ensuite, coté dessins, Uderzo a supervisé de près la fabrication des planches. De très près même, puisqu'il a usé un premier dessinateur, ayant préféré jeter la plume et le pinceau devant la pression exercée par le papa d'Astérix.

Si les blagues écossaises risquent de pleuvoir dans Astérix chez les Pictes, les auteurs n'ont au moins pas été avares de leurs efforts. Si après ça "il n'y a pas de quoi rire", c'est à n'y rien comprendre par Toutatis.

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