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Musiques de pub: un Eldorado pour les artistes?

Musiques de pub: un Eldorado pour les artistes?
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Moby, M83, Chemical Brother, Nirvana, U2... Beaucoup d'artistes et de groupes de musique ont vu une ou plusieurs de leurs compositions habiller le film publicitaire d'une marque.

Voitures, crédit foncier, matériel technologique ou bien lessive, tout produit est amené à piocher dans l'immensité du réservoir musical pour toucher la cible qu'il souhaite atteindre. Certains spots sont d'ailleurs devenus mythiques en raison justement du titre qui l'accompagnait.

Pourtant, il n'est pas évident pour un artiste de voir sa chanson adossée à une marque ou à une multinationale. À l'époque où les ventes de disques suffisaient à un groupe pour subvenir à ses besoins, il devait être probablement plus facile de ne jamais envisager cette option.

Aujourd'hui, il paraît bien moins évident pour un groupe qui est à l'aube de sa carrière de se priver d'une source de revenus hors des circuits traditionnels d'écoute qui pour l'instant peinent à trouver leur modèle. Même si inéluctablement une pub rapporte de l'argent (voire beaucoup d'argent) peut-on affirmer qu'une "synchro" signifie à coup sûr un "Eldorado" pour autant? Rien n'est moins sûr.

Le choix des titres

Si la réalisation d'un spot publicitaire est une science délicate, le choix de la musique qui doit l'accompagner relève également d'une forme de complexité. Contacté par le HuffPost, Rémi, responsable synchronisation pour une grande maison de disques, explique: "il y a quatre acteurs qui interviennent dans le choix d'une chanson, l'annonceur qui peut avoir son idée, l'agence conseil, le producteur de la pub et nous, maisons de disques ou éditeurs, qui lui proposons des titres". Plusieurs titres sont donc pré-sélectionnés pour la réalisation d'une pub. "S'en suit ensuite une période de négociation commerciale et créative entre les différentes parties" précise-t-il.

Pour qu'un titre ait ses chances d'être retenu, il doit d'abord remplir certaines obligations comme avoir des espaces instrumentaux importants pour permettre le montage d'une voix off, véhiculer des valeurs positives, humaines ou intimistes. Rémi nous avertit cependant que "beaucoup de synchronisations ne répondent pas à ces critères" et que ces caractéristiques concernent uniquement "les cas les plus fréquents".

Concernant la demande, se dégagent quatre grands "archétypes" de titre qui parviennent à satisfaire les attentes de l'annonceur. Un premier style "frais / féminin" est souvent utilisé pour faire passer une image intimiste, joviale ou positive. La recette: des accents folks, des guitares acoustiques épurées ou un piano cadencé caractérisé par l'utilisation d'accords majeurs transmettant une énergie positive. Dans ce registre la chanson de Irma pour la pub pour Google Chrome , "Chupee" du groupe Cocoon ou bien celle de Yael Naïm pour le Mac Book Air sont particulièrement efficaces.

Le deuxième grand style prisé par les annonceurs est qualifié de "grandiose" voire d'"épique" par Rémi. "Ce qui est recherché, c'est la masse, le volume, la puissance pour donner un côté spectaculaire au film" indique-t-il avant d'ajouter que "Moby a souvent été utilisé dans ce registre". À titre d'exemple, la publicité Nutella habillée par la chanson "Glorious" d'Andreas Johnson illustre parfaitement cet archétype.

La troisième recette, toujours selon ce spécialiste, consiste à "sélectionner un standard" dont la valeur est surtout garantie par la notoriété du titre et de l'artiste. Pratique plus onéreuse, celle-ci doit utiliser un tube connu par le plus large public possible. Il s'agit alors pour l'annonceur de suggérer la dimension fédératrice de sa marque. Avec le titre de Steevie Wonder 'Free", la publicité de la Banque Populaire recherchait cet objectif.

Enfin, la quatrième solution consiste à habiller une pub avec un "morceau branché à la manière du travail qui avait été fourni pour la pub Air France réalisée par Gondry avec les Chemical Brothers" selon Rémi. Cette pratique vise à proposer au public une musique qui correspond à l'identité même de la marque. C'est le pari le plus risqué au niveau de la communication mais aussi le plus efficace: "la marque se crée une image de prescripteur au fait des tendances et parvient à fédérer autour d'elle le public le plus large". Financièrement, cette option est avantageuse, car le "tarif des synchros dépend beaucoup de la notoriété de l'artiste ou du groupe choisi".

Ainsi, pour un budget réduit, l'annonceur peut tomber sur LE titre qui va cartonner et correspondre idéalement à l'image de la marque. Même si l'on peut penser au titre du groupe de rock Indie The Rakes pour la pub Canal Satellite, les choix qui font loi dans le milieu restent les premières pubs pour l'Ipod. Dans l'une de celles-ci, "Cubicle", du groupe Montpelliérain Rinôçérôse, avait fait forte impression.

Des synchronisations réussies

Particulièrement bien senties, certaines pubs doivent leur succès au choix judicieux de synchronisation qui a été effectué. Les pubs pour la barre chocolatée Mars ou pour le groupe Areva (dans le diaporama ci-dessous) sont indissociables des musiques qui les accompagnent.

Il s'agit alors pour les annonceurs de "stimuler la partie créative des consommateurs" selon le spécialiste pub David Chiche. Ayant consacré un dossier sur le sujet notre blogueur précise: "l'intérêt pour les marques c'est de vendre un univers, de montrer que celles-ci s'inscrivent dans la culture populaire".

Dans cet objectif, les marques sont tentées de se payer l'exclusivité d'un titre jugé particulièrement efficace. Stimulant l'émotion cérébrale, une synchronisation réussie porte littéralement le produit dans la mesure où la musique choisie incarne l'univers et le contexte dans lesquels le produit doit se vendre. Le recours à des jeunes talents est utile pour les marques qui "veulent faire comprendre qu'elles saisissent les tendances, qu'elles sont modernes" indique le "publivore" David Chiche.

Une découverte de groupes?

À la question "les pubs permettent-elles de faire émerger des groupes", Rémi préfère répondre "oui et non". Même s'il concède que "les titres les plus "shazamés" sont les musiques de pub", l'avantage pour les jeunes artistes reste l'important temps d'exposition qui leur est offert.

Pour ce responsable synchronisation, même si les revenus qui en découlent sont importants, ils ne représentent qu'une "source complémentaire qui ne doit pas se substituer aux circuits classiques du développement d'un artiste". Logique, un artiste dont le titre se négocie à plusieurs centaines de milliers d'euros, n'a déjà pas besoin de ça pour vivre de sa musique. À l'inverse, un chèque de 10.000 à 30.000 euros pour un groupe émergeant c'est très bien, mais s'il n'y a pas de rebond derrière, ce succès n'aura été qu'éphémère.

Pour David Chiche, les annonceurs asiatiques n'hésitent pas à mettre en avant un artiste par le biais d'un véritable partenariat par lequel ils le défendent littéralement. Ceci est par exemple le cas de Panasonic qui pour ses spots télévisés s'est adjoint les services de "la reine de la J-Pop" Ayumi Hamasaki pour plusieurs campagnes.

Outre la synchronisation d'une chanson sur le spot, la marque communique sur l'artiste (en faisant apparaître par exemple le nom du titre et de l'album) tout en se servant de son image. En recrutant une telle célébrité, la marque se sert à la fois de la popularité de la chanteuse (comptant donc sur sa base de fans) et de son travail musical qui va habiller la pub. Un packaging complet qui place l'artiste à la "hauteur" du produit. Question de point de vue bien-sûr... Voici un aperçu ci-dessous.

Réduisant l'artiste à la vente d'un produit, cette formule très promotionnelle commence à voir le jour sur le marché occidental. Après U2 pour la pub Ipod, Irma et Mai Lan non seulement habillent le film mais apparaissent également à l'écran étant de fait "brandées" par la marque. Cependant, certains artistes qui glanent les hauts des charts (comme Coldplay par exemple) refusent catégoriquement que leurs titres soient simplement mis sur une réclame.

Si Rémi nous indique que les jeunes talents sont moins réticents à collaborer avec la pub, il l'explique aussi par le changement qualitatif de la réalisation de publicités, véritables courts-métrages pour certaines campagnes, qui en exorcise la connotation négative.

>> Visionnez ci-dessous quelques choix musicaux particulièrement réussis

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