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Les processus de décision du Fonds de solidarité FTQ scrutés par la commission

Les processus de décision du Fonds de solidarité FTQ scrutés par la commission
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Un haut dirigeant du Fonds de solidarité FTQ a expliqué à la commission Charbonneau les importants changement apportés en 2009 à la gouvernance du Fonds et de son bras immobilier, la SOLIM, dans la foulée des allégations de trafic d'influence rapportées par les médias à cette époque.

Un texte de François Messier et Bernard Leduc

Le témoignage de M. Morin est terminé. Il est suivi à la barre par Benoît Ringuette, cofondateur de Carboneutre, une compagnie où ont un temps oeuvré l'ex-directeur général de la FTQ-Construction Jocelyn Dupuis, le mafieux Raynald Desjardins et Domenico Arcuri, présumé proche de la mafia.

Le premier vice-président au développement corporatif et investissement du Fonds a expliqué à la commission les étapes que doit maintenant traverser le dossier d'une entreprise qui souhaite obtenir du financement du Fonds de solidarité FTQ.

Gaétan Morin a expliqué que depuis 2009, tous les dossiers doivent d'abord transiter par des conseils sectoriels avant de se retrouver au conseil d'administration du Fonds, ce qui n'était pas le cas auparavant : une majorité de 70 % pouvait alors passer directement au comité exécutif avant d'aller au CA. Et encore, ces instances inférieures n'avaient pas l'obligation d'approuver les dossiers pour qu'ils se retrouvent au CA.

En outre, et toujours dans la foulée des allégations de trafic d'influence rapportées par les médias à cette époque, le Fonds a renforcé le pouvoir de ces conseils.

Désormais, pour qu'un dossier monte au CA, il doit être autorisé par ces derniers, ce qui constitue de facto un droit de veto. De plus, ces conseils sont désormais composés à majorité de membres externes au Fonds et à la FTQ.

Le procureur Cainnech Lussiaà-Berdou a cependant relevé que Louise Saint-Cyr était considérée comme un membre externe du conseil sectoriel du secteur traditionnel, alors qu'elle siège aussi au C.A. du Fonds, également à titre de membre externe.

Le comité exécutif du Fonds s'est également vu retirer en 2009 le rôle d'approuver certains dossiers, notamment dans le domaine de la construction, comme cela était le cas au préalable. Aujourd'hui, ce comité n'approuve des investissements qu'en « situation d'urgence », ce qui se produit au plus une fois par année, selon M. Morin.

Le Fonds de solidarité, avait expliqué le témoin hier, reçoit environ 450 dossiers par année, en analyse 150, et investit finalement dans 45 d'entre eux.

M. Morin a aussi expliqué le fonctionnement de la SOLIM, le bras immobilier du Fonds de solidarité FTQ. La SOLIM compte 32 employés et travaille le plus souvent avec des développeurs qui sont aussi des constructeurs.

Depuis 2009, la SOLIM a mis en place un comité d'audit, un comité de gouvernance et un comité de direction qui, tous, comptent une majorité de membres externes. Davantage de membres des instances décisionnelles sont aussi, désormais, choisis à l'externe. Là encore, soutient M. Morin, il s'agit d'une réaction aux allégations des médias.

Le C.A. du Fonds est constitué de 17 personnes, dont 10 sont nommées par le conseil général de la FTQ. Par tradition, ces derniers sont issus des syndicats affiliés ayant l'effectif le plus important. Deux membres sont élus lors de l'assemblée générale des porteurs d'actions A et quatre autres proviennent de l'externe. Le PDG du Fonds vient compléter le conseil.

L'interrogatoire de M. Morin, prévu plus tard cette semaine, s'est finalement ouvert mardi en raison d'une volte-face de la commission.

Des fonds pour Accurso et la marina Brousseau

En contre-interrogatoire, l'avocat de l'Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec, Denis Houle, a demandé au témoin d'éclaircir certaines règles d'investissements du Fonds.

Rappelant que la loi qui a constitué le Fonds stipule qu'il doit investir dans une entreprise dont l'actif est inférieur à 100 000 000 $ ou dont l'avoir net est inférieur à 50 000 000 $, il s'est demandé comment le Fonds avait pu investir dans les entreprises de Tony Accurso.

S'appuyant sur le diagramme de relation des entreprises de M. Accurso, présenté par l'ex-patron de l'UAC Jacques Duchesneau en juin 2012, il a souligné que l'ensemble des entreprises de M. Accurso font un chiffre d'affaires d'un milliard de dollars, soit bien au-delà du seuil d'admissibilité.

« Le test de 100 M$ d'actif ou d'avoir net [...] est fait dans l'entité dans laquelle on investit » a fait valoir le témoin, en soulignant que 80 % des investissements du Fonds sont pourtant effectués dans de très petites entreprises. Me Houle s'est demandé si cette façon de faire ne « faussait » pas le tableau.

Gaétan Morin n'a pu dire non plus comment le Fonds de solidarité FTQ a pu investir dans la marina Brousseau de Saint-Sulpice, malgré le fait que des Hells Angels étaient impliqués dans l'affaire, selon le témoignage rendu par l'ex-syndicaliste Ken Pereira.

Assimilant ces informations à des « allégations », le témoin n'a pas répondu directement à la question. Il a préféré répéter qu'il était difficile de déceler la présence du crime organisé en général, et que le Fonds sera « très attentif » aux recommandations au Fonds en la matière.

Un peu plus tôt, M. Morin avait admis que le Fonds de solidarité n'avait pas modifié la composition de son conseil d'administration dans la foulée du rapport d'enquête sur le fiasco de Papiers Gaspesia, présenté en 2005 par Robert Lesage, qui recommandait pourtant de le revoir.

L'avocat de l'Association de la construction avait précédemment présenté au témoin plusieurs extraits de ce rapport, dans lequel on soulignait « l'identité hybride du Fonds, avec son bras syndical et son bras immobilier ».

Le témoin ne s'est pas prononcé sur le sujet, admettant au passage qu'il n'a jamais lu ce rapport, déposé alors qu'il occupait pourtant un poste de vice-président pour les secteurs manufacturier et minier.

Il s'est borné à répéter que le Fonds avait agi comme « investisseur » dans ce dossier, et non comme « opérateur ».

L'avocat du Fonds de solidarité FTQ, Me André Ryan, s'est régulièrement opposé aux questions posées à M. Morin au sujet du rapport d'enquête de la Gaspesia. La commissaire Charboneau a fini par s'impatienter et lui a intimé de s'asseoir, en lui rappelant qu'il n'était pas l'avocat du témoin.

Me Ryan a obtempéré, non sans avoir fait valoir qu'à son avis, il représentait quiconque est issu des rangs du Fonds.

Un bouclier anti-malhonnêteté

Gaétan Morin a fait valoir mardi que le Fonds de solidarité FTQ avait senti le besoin, en avril 2009, de renforcer ses règles de gouvernance en réaction à des allégations apparues dans les médias. Elle s'est ainsi appliquée à « dresser un bouclier autour du Fonds » afin de le protéger des entreprises malhonnêtes .

Il a notamment expliqué que le Fonds vérifiait le « risque réputationnel » des administrateurs et des dirigeants des entreprises qui sollicitaient son aide financière, mais que son approche en la matière a changé au fil du temps.

Avant 2009, a-t-il dit, ce risque était « cerné » grâce à différentes banques de données, dont le Registre des entreprises du Québec, et à la consultation des plumitifs des tribunaux, tant en matière civile que criminelle.

Depuis 2009, « on fait appel à des firmes externes qui vont nous appuyer dans cette démarche-là », a-t-il expliqué, en nommant par exemple les firmes Garda ou Gardium. M. Morin a précisé que de telles démarches se faisaient « au besoin, dans certaines situations ».

« Est-ce qu'on peut réduire à zéro le risque que le Fonds ou toute autre institution financière ait comme client quelqu'un du crime organisé? Je pense que c'est difficile. Mais il faut s'en assurer le plus possible. »

— Gaétan Morin

M. Morin a par ailleurs indiqué que les investissements du Fonds de solidarité FTQ dans le domaine de la construction et des matériaux de construction étaient passés de 4,5 % en 2006 à environ 2 % aujourd'hui. Il a admis que cela s'expliquait entre autres par la décision du Fonds de se retirer de certaines compagnies de l'entrepreneur Tony Accurso.

Allégations de trafic d'influence autour du Fonds

Des reportages d'Enquête ont soulevé dans le passé la possibilité de l'existence d'un certain trafic d'influence autour du Fonds de solidarité FTQ impliquant des membres du crime organisé et d'ex-dirigeants de la FTQ-Construction. Les noms de son ancien président Jean (Johnny) Lavallée - qui siégeait au Fonds - et de son ancien directeur général, Jocelyn Dupuis, ont été au centre d'allégations.

D'ex-hauts dirigeants du Fonds ont aussi affirmé à Enquête, sous couvert de l'anonymat, que les dossiers de Tony Accurso y avaient bénéficié d'un traitement privilégié.

Par ailleurs, selon Ken Pereira, M. Dupuis avait engagé, dès 2007, une lutte contre M. Lavallée afin d'avoir accès au Fonds, qui devait culminer lors des élections de novembre 2008 pour la direction de la FTQ-Construction. Or, selon M. Pereira, le mafieux Raynald Desjardins, proche de Jocelyn Dupuis, partageait l'intérêt de ce dernier pour le Fonds.

« C'est assez que Tony [Accurso] et Johnny gèrent le Fonds, c'est à peu près temps qu'ils laissent une partie du gâteau à nous autres, à moi pis à Jocelyn. »

— Propos attribués par Ken Pereira à Raynald Desjardins

MM. Dupuis et Desjardins ont incidemment été associés un temps dans l'entreprise de décontamination Carboneutre qui a tenté, en vain, d'obtenir du financement du Fonds en 2008. M. Dupuis s'était joint à cette entreprise après son départ de la FTQ-Construction à l'automne 2008.

Selon les sources de Radio-Canada, c'est finalement Gaétan Morin qui a bloqué le dossier de Carboneutre au Fonds de solidarité, nous rappelle un reportage diffusé en décembre 2011. Il n'a cependant pas été interrogé à ce sujet lors de son témoignage.

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