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«En dessous de vos corps...»: des étincelles de grandiose éteintes par un vent d'incohérence

«En dessous de vos corps...»: des étincelles de grandiose éteintes par un vent d'incohérence
Suzanne ONeil

Marqué par le Britannicus de Racine lors de ses études en interprétation, Steve Gagnon a eu l’idée de s’inspirer de ce classique de la tragédie pour inventer une histoire campée dans le Québec de 2013. La prémisse du projet est alléchante. Certains passages frôlent le grandiose. Mais l’ensemble n’arrivepas à convaincre.

Agrippine voit deux pôles à la vie : un côté passionnel où le soleil brûle ceux qui osent s’y frotter et une face plus ténébreuse et froide où se cristallisent les êtres humains. Après avoir fait le serment de rester au centre pour toujours, elle a bâti pour ses deux garçons, Néron et Britannicus, un refuge où sa progéniture pourra grandir en tout confort, à l’abri du monde et des dangers. Avec le temps, s’est greffée à eux Octavie, l’amoureuse de Néron, qui endure les esclandres maniaques et dépressifs de son amoureux, parce que celui-ci la « sauve » chaque fois qu’il met ses mains d’hommes sur ces cheveux.

Aux prises avec une conscience qui se réveille, des rêves qui s’animent, une curiosité du dehors et de l’infini qui se déploie, Néron sera chaviré par l’arrivée de Julie, la copine de son frère, dans la maison du confort. Dès l’instant où il découvrira ses envies du monde extérieur et son désir incontrôlable pour Junie, qu’il entend jouir à travers les murs tous les soirs, il se braquera contre les siens. Viendront ensuite un lot d’alliances, de trahisons, d’actes désespérés et de tragédies modernes, à l’image de celles inventées par Jean Racine à son époque.

Dès les premiers instants de la pièce, on remarque un mélange entre des dialogues québécois quotidiens exprimés dans un niveau de langage familier et des envolées lyriques plus soutenues appartenant à une prose d’autrefois. Même si certaines des images piquées au passé sont magnifiques, le mariage avec la parlure de tous les jours n’est pas toujours heureux. L’idée de ramener au présent quelques passages de l’époque des rois, comme les gardes (des amis de gars connus au cégep) qui surveillent la maison, crée également une distorsion gênante.

Fort de plusieurs performances remarquées dans les théâtres montréalais au cours des dernières années, Renaud Lacelle-Bourdon débarque sur scène franchement perturbé et débordant d’intensité, sans profiter d’une réelle mise en situation, sans explications suffisantes et sans gradation dans les émotions, en nous donnant l’impression d’être pris dans une émotion dénuée de nuances.

Le texte de Steve Gagnon explique trop peu ce qui attire Néron à l’extérieur et ce qui le répugne à l’intérieur, malgré le laïus délirant qu’il nous livre.Bien entendu, sa nature explosive et monstrueuse pourrait être volontairement décalée face aujeu de ses collègues, mais son personnage ne passe tout simplement pas. Même chose pour Guillaume Perreault, qui n’étoffe pas assez son interprétation du gentil et splendide Britannicus.

Heureusement, Marie-Josée Bastien, Claudiane Ruelland et Marie-Soleil Dion permettent à l’ensemble de garder un minimum de justesse. Chaque fois que Dion ouvre la bouche, elle capte l’attention des spectateurs et s’offre à eux, pleine de fougue, de vulnérabilité et de désespoir. Dans le rôle de la mère, Bastien livre une prestation à la fois royale, puissante et pleine de souffrance.

Certaines des images créées par la mise en scène de Gagnon sont extrêmement fortes : celle où Britannicus confronte Néron en plongeant sa tête dans l’eau du bain, celle où Néron jette son dévolu sur Junie aux yeux de tous, celle où Junie venge sa blessure et sa trahison. Plusieurs des dialogues écrits par Gagnon nous convainquent également de son grand talent.

Tout compte fait, l’auteur et metteur en scène aurait sûrement profité d’une histoire débarrassée des fondations du Britannicus et construite dans un environnement plus cohérent et mieux défini.

La Licorne – 1er octobre au 9 novembre 2013

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