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Ben Johnson, il y a 25 ans

Ben Johnson, il y a 25 ans
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Il y aura 25 ans mardi, Ben Johnson faisait la Une des journaux spécialisés en remportant le 100 m olympique des Jeux de Séoul, le 24 septembre 1988.

L'athlète canadien, gonflé par les produits dopants, avait fracassé son propre record du monde, en 9 s 79/100 et avait devancé ses rivaux l'Américain Carl Lewis et le Britannique Linford Christie.

Deux jours plus tard, le CIO annonçait la positivité de Johnson au stanozolol, un stéroïde anabolisant, et le renvoyait chez lui. Johnson passait du sport aux faits divers. Les images de son départ précipité ont fait le tour du monde.

Le journaliste de Radio-Canada Michel Désautels et le journaliste sportif du quotidien La Presse, Michel Marois, étaient sur place, et ont vécu la descente aux enfers de l'athlète.

« La lutte contre le dopage en était à ses balbutiements, indique Michel Marois. Les premiers cas positifs datent des années 1970. On en parlait dans les années 1980, mais c'était encore l'époque des grandes puissances sportives, l'Allemagne de l'Est, l'URSS, le système américain. On sait maintenant que ces systèmes étaient érigés sur un dopage systématique des athlètes à partir de leur tout jeune âge.

« Même si on en parlait, les athlètes ne se faisaient pas prendre, ce qui fait qu'on se doutait bien qu'il se passerait des choses à Séoul en 1988, affirme M. Marois. Le Docteur Robert Dugal, prédécesseur de Christiane Ayotte, à l'Institut INRS, m'avait dit quelques jours avant les Jeux qu'il s'attendait à ce qu'on prenne beaucoup plus d'athlètes, et surtout des médaillés. »

Avant la honte, la joie de tout un pays quand Ben Johnson a passé le fil d'arrivée.

« Notre homme à nous, notre Jamaïcain arrivé au Canada à l'adolescence, a surtout battu l'Américain Carl Lewis, le roi de la piste, qui gagnait tout, qui était beau, arrogant, et qui disait sur toutes les tribunes qu'il était propre. Il y avait eu des signes avant-coureurs. Il était détenteur du record du monde depuis un an, à Los Angeles (en 1984), il avait fini troisième, et il était en pleine progression, car il était jeune.

« Mais que ce soit son heure à Séoul, qu'un Canadien batte un Américain, surtout que les Coréens avaient un rapport amour/haine avec les Américains... Ce sont les Américains qui les protègent de la Corée du Nord, mais ils sont très envahissants sur le territoire coréen, enchaîne M. Désautels. Alors, après la victoire de Johnson, les Coréens nous souriaient comme s'ils étaient Canadiens tout à coup. Dans les rues, en nous voyant, ils scandaient: "Canada, Canada!" en levant le pouce. »

L'explosion nucléaire

« On m'a réveillé en pleine nuit. C'est Montréal qui me l'apprend. On vole un taxi à plusieurs de Radio-Canada/CBC et on se précipite au Centre international de presse pour couvrir la nouvelle. À l'annonce du test positif, c'est l'explosion, l'explosion nucléaire », se souvient M. Desautels.

On lui impose trois sanctions : sa médaille lui est retirée, son record effacé et il est frappé d'une suspension de deux ans par la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF). La nouvelle fait le tour de la planète : jamais un athlète d'une telle stature n'avait été reconnu coupable de dopage

Et de Canadien, Ben Johnson est redevenu Jamaïcain d'origine.

« Pendant deux jours, Johsnon a été la plus grande vedette qui a existé sur la planète, explique Michel Marois. C'est terrible. De la hauteur du point qu'il avait atteint, il est tombé beaucoup plus bas. Certains dirigeants politiques ont suggéré de le renvoyer en Jamaïque. Le ministre Pierre Cadieux notamment. Il a été ramené au Canada comme un prisonnier. »

« Le traitement a été très dur et injuste aussi. Il y a les commissions d'enquête, les différents rapports, son témoignage devant la Commission Dubin le printemps suivant, c'est terrible le traitement qu'on lui a réservé. Johnson était timide, réservé. Il ne s'exprimait pas très bien, il bégayait, mais c'est loin d'être un imbécile. Il a une bonne tête sur les épaules, et ce traitement là, il l'a encore sur le coeur aujourd'hui. »

Quant à mettre en avant une théorie du complot, il y a un pas.

« Il y a plusieurs théories là-dessus, indique Michel Marois. Charlie Francis, son entraîneur, et Johson ont toujours dit qu'il y avait eu un complot. Qu'ils ne prenaient pas de stanozobol, qu'ils étaient adpetes d'un autre produit, le furozobol, qui est un autre stéroïde, mais pas tout à fait semblable et qui est beaucoup plus facile à masquer aussi. Il y a peut-être eu complot, mais il ne faut pas dire non plus qu'il n'était pas dopé. Il ne faut pas tomber dans l'autre extrême. Johnson était dopé. Il faut rappeler qu'il avait été blessé peu de temps avant, qu'il n'avait pas eu beaucoup de succès durant l'été précédent les Jeux, et qu'il avait sans doute forcé la dose. »

Un documentaire de la CBC diffusé le 19 septembre dernier a rapporté que 20 athlètes ont obtenu des résultats positifs à Séoul, mais n'ont pas été sanctionnés par le CIO. Un officiel du CIO a précisé que les profils endocriniens (ensemble des organes qui possèdent une fonction de sécrétion d'hormones) réalisés pendant ces Jeux ont montré que pour 80 % des athlètes (en athlétisme) testés, il y avait évidence de prise de stéroïdes à long terme.

Le CIO avait d'ailleurs utilisé le profil endocrinien de Johnson pour rejeter l'appel du Canadien, malgré les preuves recueillies et présentées au CIO par la Gendarmerie royale du Canada.

Le chantage de NBC

De plus, la CBC a appris que le réseau américain NBC avait menacé le CIO de ne pas faire son deuxième paiement pour les droits de diffusion, prévu à la fin des Jeux. « Si les Jeux s'écroulent à cause d'un scandale, nous nous retirons et vous n'aurez pas votre argent », aurait dit NBC.

« Les Américains s'en sont sortis cette fois-là, d'autres se sont fait prendre après. Je ne pense pas qu'il y ait eu complot, affirme Michel Désautels. Mais Johnson était une bonne bête à attraper, car son record était spectaculaire. On n'est plus dans les critères humains en 9,79. Et ces stéroïdes anabolisants, c'est l'ABC du dopage. Même à cette époque, c'était un peu élémentaire. Aujourd'hui, on est rendu beaucoup plus loin, et ça a l'air ridicule. Il a pêché par une certaine forme d'innocence, il était peut-être mal entouré, en termes d'avocats, car beaucoup d'autres qui se sont fait prendre dans les mêmes années s'en sortirent par toutes sortes d'entourloupettes, alors que Johnson a été plongé littéralement dans le bain. »

« Carl Lewis avait un système, une machine autour de lui, précise Michel Marois. Des entraîneurs, des avocats. Il était super bien entouré. Ben Johnson s'entraînait dans un champ d'athlétisme mal foutu en banlieue de Toronto. Il était très mal entouré. Pendant des années, les autorités canadiennes, les gens de Sport Canada ne se sont pas occupés de lui. Quand il est devenu champion du monde, tout le monde l'a aimé. Mais quelques mois plus tard, dans la commission Dubin, tout le monde l'a désavoué. »

Ben Johnson est en pleine campagne de rédemption. Il a décidé cet été de se lancer dans la lutte antidopage, avec le programme « Pure Sport », lancé par une entreprise de vêtements de sport (Skins). Il dit vouloir « nettoyer » cette partie de sa vie, aider les générations à venir, et les athlètes ayant vécu le même enfer.

Johnson participe à une tournée mondiale, et portera son message au Stade olympique de Séoul le 24 septembre, là où le dopage lui a volé sa vie il y a 25 ans.

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