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La collusion dans le génie à Québec n'a cessé qu'à la fin 2011

La collusion dans le génie à Québec n'a cessé qu'à la fin 2011
Radio-Canada

Huit firmes de génie se sont entendues pour se partager la majorité des contrats de la Ville de Québec entre 2006 et 2011 dans la foulée de l'adoption de la loi 106 qui obligeait les municipalités à donner leurs contrats au plus bas soumissionnaire au terme d'appels d'offres, soutient Patrice Mathieu.

Un texte de Bernard Leduc et François Messier

L'objectif de ces firmes, a expliqué l'ex-vice-président de Tecsult, était d'éviter d'être en concurrence les unes avec les autres et donc de s'épargner une guerre de prix qui entamerait leur marge de profits.

Il a précisé qu'à sa connaissance, jamais un élu de la Ville de Québec ou un fonctionnaire n'avait été impliqué dans le stratagème.

Selon M. Mathieu, la collusion portait sur les ouvrages traditionnels en génie urbain, soit environ 70 % des contrats accordés par la Ville. Les ponts étaient exclus, précise cet ancien vice-président génie urbain et transport chez Tecsult pour l'Est du Québec.

Il a estimé que, grâce à l'entente, les collusionnaires ont réussi à obtenir des honoraires atteignant 95 % à 100 % du tarif maximal permis par l'Association des ingénieurs-conseils du Québec (AICQ).

Ce sont les firmes SNC-Lavalin, Genivar, Tecsult, RSW et Dessau qui ont d'abord tenté, une première fois, de se partager en 2004 les contrats pour la construction de cinq bassins de rétention pour la rivière Saint-Charles à Québec, a expliqué M. Mathieu.

Les discussions pour mettre au point ce partage ont eu lieu sous le couvert d'une réunion régionale de l'AICQ, croit-il se rappeller, les firmes impliquées en étant membres.

La Ville a cependant détecté le stratagème et a décidé de refaire un appel d'offres, comme en témoigne le procès verbal du 6 octobre 2004. Elle avait notamment remarqué que les prix des firmes étaient à l'image de ce qui se faisait avant la loi 106, là où il aurait dû y avoir de la concurrence.

Les firmes ont été convoquées peu après par le directeur général de la Ville Denis de Belleval, qui leur a annoncé l'annulation du premier appel d'offres sans pour autant leur faire part de ses craintes de collusion, soutient M. Mathieu.

Mais la Ville aura beau séparer les contrats, ces firmes parviendront à nouveau à se les partager à leur guise, lorsqu'ils seront relancés en 2005.

Quelques mois plus tard, les firmes SNC-Lavalin, Genivar, BPR, Roche, Tecsult, CIMA+, HBA-Teknika et Dessau s'entendent pour se partager les contrats de la Ville, toujours afin d'éviter une guerre de prix, et toujours en usant du prétexte de l'AICQ pour se rencontrer.

Il a convenu, comme l'avait formulé Me Denis Gallant, que les collusionnaires se servaient « du nom comme prétexte pour se rencontrer localement ». « On a toujours fait ça de cette façon là », a confirmé M. Mathieu. Les permanents de l'AICQ n'étaient pas impliqués ou au courant de ces discussions.

Des rencontres auront ainsi lieu entre 6 et 7 fois par année pour partager les contrats et décider qui ferait les soumissions de complaisance, ce qui se traduisait par des prix majorés artificiellement entre 4 % et 10 %. Le partage se faisait en fonction de la taille et des moyens des firmes.

RSW n'aura participé finalement qu'au stratagème des bassins.

M. Mathieu a soutenu que son supérieur immédiat à Montréal, Pierre Asselin, était au courant, mais aussi le président de Tecsult même, Luc Benoît.

L'AICQ n'a jamais digéré la loi 106

M. Mathieu a affirmé que l'AICQ, dans laquelle il a été longtemps actif, a toujours dénoncé la loi 106. Il va jusqu'à soutenir que cette loi les a en quelque sorte poussés à emprunter la voie de la collusion, ajoutant cependant : « c'est sûr qu'on était conscient que c'était pas correct ».

Il a expliqué que, dès 2004, les firmes avaient déjà convenu que la guerre de prix engendrée par la loi 106 était « terrible » et il interprète d'ailleurs l'engagement des présidents des firmes membres l'AICQ présenté la même année comme le signe d'une volonté de la contrer.

« Les présidents ont signé cet engagement-là (...) et le but principal recherché c'était d'éviter cette guerre de prix là », a-t-il soutenu. « Ce n'est pas écrit là, mais évidemment on parlait très souvent de respecter nos barèmes de l'AICQ », a-t-il avancé. Il admet cependant que cet engagement, tel que rédigé, est avant tout un code d'éthique.

M. Mathieu affirme avoir été actif au sein de l'AICQ de 2000 à 2012 et avoir plus spécifiquement été son agent de liaison régional à Québec de 2004 à 2006.

Le code d'éthique d'AECOM ignoré

L'achat de Tecsult par AECOM en 2008 ne s'est pas traduit par la fin de la collusion à Québec, malgré le code d'éthique sévère introduit par la firme américaine.

« C'est pas évident de mettre le pied sur le frein », a plaidé M. Mathieu, qui estime que les pratiques occultes se sont poursuivies « jusqu'à la fin 2011 ».

Il rapporte que si son supérieur, Pierre Asselin, lui a dit dans la foulée de l'achat par AECOM qu'il allait cesser la collusion à Montréal, jamais ce dernier ne lui aurait dit de faire de même.

M. Mathieu s'est montré très critique du code d'éthique d'AECOM, ajoutant qu'à l'époque il avait été surpris par sa « rigidité », « à une année-lumière de la culture québécoise ».

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