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Mort du stagiaire de Bank Of America: enquête sur ces stages où l'on ne dort pas

Sommeil interdit: enquête dans ces stages de l'extrême à la City
AFP

Après la mort d'un jeune étudiant allemand de 21 ans, Moritz Erhardt, qui n'avait pas pu dormir depuis 72 heures, pendant son stage dans une banque de la City, (Bank of America, Merill Lynch) le débat sur les conditions exténuantes de travail des stagiaires dans les banques d'investissement a été relancé.

Le stage du jeune homme, retrouvé mort dans sa douche, touchait à sa fin. D'après leGuardian, le stage, extrêmement bien rémunéré, exigeait des stagiaires qu'ils travaillent 15 heures par jour, voire souvent davantage, ainsi que les week-ends.

Le HuffPost a recueilli le témoignage d'étudiants ayant effectué ces stages épuisants, rémunérés jusqu'à 6000 euros par mois, et auxquels sont souvent associées des promesses d'emploi.

Ces stages ultra-sélectifs, communément appelés des summer internships, sont pourtant des classiques dans la City.

Un recrutement extrême

Inutile de s'y prendre seulement six mois à l'avance, comme c'est souvent le cas pour un stage étudiant.

Les banques d'investissement n'ont qu'une seule période de recrutement pour leur stage d'été: entre début septembre (voir dès le mois d'aout) et fin novembre. Si vous avez oublié la deadline, passez votre chemin.

Les banques anglo-saxonnes sont ouvertes à tous types de profils, l'important est d'être brillant et d'étudier dans une école prestigieuse. Les batteries de test, notamment de logique, et les multiples entretiens auront vite fait d'éliminer les étudiants qui n'ont pas les bases nécessaires.

Comme tous les stages ultra sélectifs, un très bon CV est impératif, ainsi que des centres d'intérêts hors du commun.

Le processus de recrutement varie d'une banque à l'autre. En résumé, une fois le CV envoyé sur le site internet de la banque, le candidat doit se plier à des tests de numération et de logique.

C'est le premier processus de sélection, qui élimine la majeure partie des candidats. Les quelques rescapés de ces tests sont alors choisis en fonction de leur CV. Une troisième sélection se fait ensuite lors d'un entretien téléphonique. Puis le graal est d'être convoqué pour des entretiens en tête-à-tête et d'autres tests, à Londres toujours. Pour 3000 candidatures, seuls 10 dossiers en moyenne sont retenus.

Les heureux élus ne dorment pas

Vous avez réussi ce parcours du combattant ? La vraie sélection a en fait lieu pendant le stage.

Jean, un étudiant ayant décroché un stage chez JP Morgan un an auparavant raconte : "J'arrivais un peu avant 9 h et je repartais vers 2 h du matin dans un taxi payé par la banque, au minimum 4 fois par semaine. Environ une semaine sur deux, voire davantage, je n'avais pas de week-end, urgences obligent". D'après le Guardian, une semaine typique est de 6 jours et demi. "Si vous avez un peu de chance, explique le journal anglais, vous aurez votre dimanche après-midi".

The Independent rapporte que Moritz Erhardt, le jeune stagiaire terrassé par la fatigue, était adepte du "magic roundabout", le "manège magique" ou comment un taxi vous ramène chez vous, attend dehors que vous vous soyez douché et changé, et vous ramène au bureau, où commence une autre longue journée.

Sinon, anecdote révélatrice, si vous n'avez pas la chance de rentrer prendre une douche, après une nuit blanche devant votre ordinateur, une très prestigieuse banque américaine a la réputation de vous donner de l'argent pour aller vous acheter rapidement une chemise et des sous-vêtements neufs.

Pour les banques d'investissement, c'est l'occasion de tester la résistance physique et psychologique de leurs (éventuelles) futures recrues. "Les banques exploitent le fait qu'on rêve tous d'un job chez eux, et qu'on est souvent prêt à tout donner pour ça" explique Jean. Si vous arrivez à tenir le rythme et que vous êtes efficace, la banque peut vous offrir une place, une fois vos études terminées.

Les stagiaires que nous avons interrogés confient n'avoir pas vu beaucoup de jeunes femmes dans ces stages. "Les banques essaient de recruter davantage de candidates, mais elles sont moins attirées par ce système de compétition pure" nous explique Maximilien, stagiaire chez Goldman Sachs, un rien misogyne.

Un rythme qui est celui de la banque en général

Interrogé sur la mort du stagiaire, que beaucoup imputent au surmenage, Alexandre, qui a notamment travaillé à la Deutsche Bank, répond : "Il devait avoir des problèmes de santé par ailleurs, je n'ai jamais vu personne s'effondrer après ces stages. C'est intensif, mais on est jeune et on sait à quoi s'attendre. "

"En revanche, confie-t-il, j'en ai vu beaucoup craquer vers 30 ans, après 5 ans à ce rythme-là."

Dans les grandes banques, le rythme soutenu des journées de 15 heures continue souvent pendant les cinq premières années, voire davantage.

"C'est pareil partout, se défend Alexandre, les jeunes collaborateurs dans les très bons cabinets d'avocat à Londres comme à Paris, ne rentrent pas chez eux le soir à 21h non plus."

"C'est le cas dans les banques françaises aussi ! soutient Timothée, chez Crédit Suisse à Londres. C'est le système qui veut ça. Quand je faisais un stage dans une petite banque à Paris, je me suis déjà fait engueuler parce que j'ai dit à 4h du matin que j'étais fatigué. Les banquiers ne sont pas sadiques, bien sûr qu'ils préféreraient que je rentre chez moi à 8h, mais ce sont des métiers où il y a toujours des imprévus."

Finalement, les anciens stagiaires, dont la plupart ont été embauchés, sont unanimes: "On s'habitue, on est très bien payé, et dans le contexte actuel, on est même plutôt très chanceux. Ca ne nous semble même plus dingue comme rythme."

Alexandre rajoute: "La nouvelle banque où je travaille est plutôt sympa, souvent mes horaires sont cool, je finis vers minuit et demi et je commence à 9h, c'est très raisonnable et largement assez pour bien dormir". Moins pour avoir une vie personnelle...

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