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En Egypte, la propagande anti-terroriste tourne à plein régime

Egypte: La propagande tourne à plein régime
flickr/posterboy

Article réalisé par nos confrères du HuffPost Maghreb.

Les autorités égyptiennes s’apprêtent à poursuivre Mohamed El-Baradei en justice. Vice-président depuis la destitution de Mohamed Morsi, El-Baradei avait démissionné de son poste le 14 août dernier en réaction à la violente répression de l’armée contre les manifestants pro-Morsi. Aujourd’hui, le prix Nobel de la paix est accusé d’abus de confiance par la justice et de trahison par des égyptiens libéraux.

Ce n’est là que le dernier élément d’une propagande d’Etat surpuissante qui a, semble-t-il, rapidement gagné les faveurs d’une partie de la population. Les médias égyptiens "prennent part à une campagne contre les Frères musulmans et d’autres courants islamistes", a indiqué le commentateur politique Hisham Kassem à l’AFP. Revue de presse et d’opinions populaires.

Inculquer la guerre contre la terreur

L’actualité en Egypte a remis à l’ordre du jour la "guerre contre la terreur" (war on terror) si chère à George W. Bush. Si le corps de l’ancien président américain est sans doute confortablement installé dans un canapé texan, sa rhétorique n’en est pas moins présente dans les discours en Egypte.

Depuis une semaine et le début des heurts, qui auraient fait près d’un millier de morts, l’armée égyptienne martèle son droit de légitime défense contre des Frères musulmans qualifiés de terroristes. Les chaînes télévisées publiques, traditionnellement contrôlées par le pouvoir, affichent ainsi, depuis plusieurs jours, une bannière permanente sur les écrans du pays: "Egypt against terrorism" ("l’Egypte contre le terrorisme"). Unique inscription en anglais sur des chaînes en arabe, ce slogan est autant destiné au téléspectateur égyptien qu'étranger.

Les chaînes privées, dont très peu conservent un point de vue indépendant, rejoignent pour la plupart leurs consoeurs publiques dans ce matraquage médiatique. Ainsi, le groupe CBC, créé en 2011 au lendemain de la révolution, rassemble plusieurs chaînes privées proches de l’armée. La chaîne satellite ONtv, qui avait soutenu les révolutionnaires de 2011, est allé jusqu’à compiler une bande-annonce en faveur de l’étau sécuritaire, faisant appel exclusivement à des images de source policière.

La propagande n’est cependant pas l'effet des seuls médias. Des téléspectateurs et des internautes font vivre le discours en relayant les informations disponibles, favorisant ainsi la diffusion pérenne des mots-clés du régime.

En dehors de tout discours guerrier, la communication du pouvoir fait également référence à l’union et à la cohésion. Une affiche gouvernementale titrant "Toute l’Egypte est Sissi" montre ainsi une foule de personnes arborant chacune le visage du général. L’identification au ministre de la Défense est de mise tant le tombeur de Morsi s’est mué en figure de proue du discours hostile aux Frères musulmans. En toute ironie, des internautes ont découvert que cette affiche était un plagiat de celle utilisée pour la promotion de la série américaine "Curb your enthusiasm" ("Calme ton enthousiasme").

Un seul côté de la pièce

La propagande du pouvoir égyptien n’est pas nécessairement mensongère. L’information s’y transforme en propagande dès lors que l’impartialité de l’image est arbitrairement biaisée. Les autorités mettent ainsi plusieurs stratégies en œuvre afin de n’exposer l’égyptien lambda qu’à une version des faits.

Selon le quotidien britannique Times, l’armée userait du chantage dans le but d’éviter l’ébruitement d’informations malvenues. On demanderait ainsi aux familles voulant récupérer les corps de leurs proches de mentir sur les causes du décès avant de les autoriser à emmener leurs morts.

La cible première des autorités demeure cependant le journaliste étranger. Etant donné le quasi-monopole médiatique dont jouit le régime à échelle nationale, le média étranger représente, aujourd’hui, la menace principale. Pour les journalistes qui tentent de se rapprocher des coins chauds, des "gars agressifs" ont "une mission", explique le journaliste Etienne Morin pour le magazine La Presse: "éloigner les journalistes des points les plus sensibles".

Ainsi, très peu d’informations impartiales ont filtrées sur le déroulement du siège de la mosquée Al-Fath, samedi, pendant lequel certains journalistes, dont ceux de France 2, auraient même été détenus.

Le quotidien Al-Ahram, réputé proche du gouvernement, rapportait ainsi que l’armée aurait "été surprise par des tirs intenses" et aurait dû "charger la mosquée pour arrêter ces tirs". La plupart des médias étrangers ne pouvaient, de leur côté, rapporter bien plus que le constat de la victoire, à terme, des autorités.

Une campagne de diabolisation qui frôle le burlesque

La propagande n’en reste pas au matraquage des "terroristes". Afin de délégitimer le gouvernement Morsi et, par voie de fait, légitimer l’établissement du nouveau régime, ce dernier procède à une campagne de diabolisation allant du sensationnel au brutalement comique.

Lors d’une interview donnée à la télévision nationale, l’ancienne juge de la Cour suprême égyptienne Tahani Al-Jebali a ainsi accusé le demi-frère kenyan du président Barack Obama de financer les Frères musulmans.

Le Monde rapporte de son côté les propos étonnants d’un haut cadre de l’armée égyptienne, le général Amr:

"Nous sommes 90 millions d'Egyptiens et il n'y a que 3 millions de Frères musulmans. Il nous faut six mois pour les liquider ou les emprisonner tous. Ce n'est pas un problème, nous l'avons déjà fait dans les années 1990."

Au sujet de Mohamed Morsi, le général ne peut plus retenir son ardeur:

"C'est un espion du Hamas. Il a voulu vendre 40 % du Sinaï pour 8 milliards de dollars afin de le rattacher à la bande de Gaza. C'est Barack Obama qui a proposé ce deal. Morsi a d'ailleurs creusé mille tunnels vers Gaza. Il était aussi sur le point de vendre le sud de l'Egypte au Soudan et a donné son feu vert à l'Ethiopie pour construire un barrage qui allait réduire de trois quarts l'eau du Nil. Il avait interdit le tourisme (sic) et avait prévu de louer, pour cinq ans, au Qatar tous les sites antiques, les pyramides, le sphinx, les temples. Il a versé 2 milliards de dollars à la presse étrangère pour qu'elle chante les louanges des Frères musulmans."

De démocrates à dictateurs?

La propagande de masse n’est pas juste une phrase en l’air. La population égyptienne, révolutionnaire, démocrate et droit-de-l’hommiste en 2011, répond aujourd'hui souvent favorablement sinon passivement au discours de haine, signe de l’efficacité de cette politique des images et du mot.

Un hashtag ayant récemment fait son apparition sur Twitter, "MB_are_terrorists" ("Les Frères musulmans sont des terroristes") rencontre ainsi de plus en plus de succès.

Plus que simple crédulité, ce type de réaction est réflexe naturel d’une population habituée, après trente ans de dictature, à aligner son opinion sur la propagande médiatique. Le discours touche d’ailleurs toutes les couches sociales. Comme Amir Salim, ce jeune avocat égyptien spécialisé dans les droits de l’homme et révolutionnaire de 2011, qui affirme aujourd’hui au magazine allemand Der Spiegel: "Les Frères musulmans sont une maladie et la police doit tous les éradiquer".

Selon Khaled Daud, porte-parole du Front pour le salut national, coalition de partis libéraux, "la majorité des égyptiens pense qu’on devrait être encore plus ferme avec les Frères musulmans".

En 2001, la guerre contre le terrorisme avait mobilisé tout un peuple, sinon tout un monde, sous une même bannière aux contours flous. Le mot terrorisme fait toujours aussi peur. La réaction à ce mot aussi.

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