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Un expert anticipe une « espèce de Ground Zero » au coeur de Lac-Mégantic

Un expert anticipe une « espèce de Ground Zero » au coeur de Lac-Mégantic
AP

Les efforts de décontamination rendus nécessaires par la tragédie de Lac-Mégantic risquent fort de transformer le centre-ville de la petite municipalité en « no man's land », voire en une « espèce de Ground Zero », estime le professeur de l'Université du Québec à Rimouski Émilien Pelletier.

Le titulaire de la Chaire de recherche en écotoxicologie des milieux marins froids réagissait aux plus récentes données du ministère de l'Environnement du Québec, selon lesquelles pas moins de 5,7 millions de litres de pétrole brut léger ont finalement été déversés dans l'environnement (air, eau et sol), soit 80 % de la quantité transportée par le convoi de la Montreal Maine & Atlantic Railway (MMA).

Le ministère de l'Environnement, qui avait évalué dans les jours suivant la tragédie que 100 000 litres de brut léger avaient été déversés dans la rivière Chaudière, sur une base préliminaire, n'a pas répondu aux appels de Radio-Canada visant à expliquer cette nouvelle évaluation, transmise lundi par voie de communiqué.

La Sociéte d'intervention maritime Est du Canada (SIMEC), chargée de la décontamination des sols et des berges, a pour sa part refusé de commenter la nouvelle. Un relationniste, Yves Bourdon, a fait savoir que les avocats de l'entreprise lui déconseillaient de parler aux médias.

« J'imagine qu'à l'origine, c'était peut-être une erreur d'estimation de la quantité qui avait brûlé ou encore la quantité qui restait dans les wagons », avance M. Pelletier, qui ne cache pas son étonnement. « La nouvelle évaluation est probablement faite par rapport à une idée beaucoup plus claire de ce qui restait dans les wagons et ce qui a été pompé. »

La directrice du département de génie civil et de génie des eaux de l'Université Laval, Rosa Galvez-Cloutier, qui était sur place lorsque la catastrophe s'est produite, n'est pas étonnée pour sa part par les nouveaux chiffres du ministère.

« J'avais demandé où sont les 63 autres wagons [neuf d'entre eux avaient été éloignés du site, NDLR] », évoque Mme Galvez-Cloutier. « On m'avait dit il y en a quatre qui brûlent, et les autres sont là. Mais la façon dont ils étaient placés, un à côté de l'autre, tous tordus, et sachant que le matériel avec lesquels ces wagons sont faits est faible par rapport aux normes plus récentes [...], et à cause de l'impact, la vitesse de l'écrasement, puis du déraillement, alors c'est certain que le pétrole coulait. »

« J'étais surprise que les efforts pour pomper le reste du pétrole qui restait dans les wagons, même s'il y avait des fuites, n'étaient pas plus élevés que ça », poursuit la professeure. « On me disait : il y a des camions-citernes qui pompent, qui ramassent, récupèrent le pétrole, mais pour le volume que ça impliquait, c'est une file de camions-citernes dont on aurait eu besoin. [...] C'était certain que ce n'était pas suffisant. Mais je pensais qu'une partie des wagons n'avaient pas été brisés, étaient intacts. Puis finalement, malheureusement, ce n'est pas le cas », déduit-elle.

Un impact considérable

Quelles que soient les raisons expliquant cet écart, les conséquences seront « énormes » pour le secteur touché, constate Émilien Pelletier. « Plusieurs millions de litres de pétrole léger ou lourd dans des sols, surtout dans une zone urbaine, à mon avis, c'est du jamais vu, au Canada à tout le moins ».

« Tout ce qui est à la surface, qui est en contact avec l'air, va avoir tendance à s'évaporer et à s'évaporer rapidement. Grosso modo, ce qui avait à être évaporé - ce qui était à la surface de l'eau, en bordure de la rivière ou même du lac - s'est évaporé, c'est parti, ça fait déjà longtemps », explique-t-il.

« Mais ce qui est dans les sols, non. [...] S'il y en a sur plusieurs mètres en dessous - ce n'est pas impossible - c'est intact. Ça reste là. [...] En clair, ça veut dire qu'il faudra traiter probablement des milliers et des milliers de tonnes de sols, de résidus qui ont été contaminés dans la partie principale où a eu lieu l'accident », rappelle le professeur de l'UQAR.

Émilien Pelletier souligne que le pétrole transporté par les wagons de la MMA était du pétrole de schiste, ce qui vient compliquer la situation. « Les produits de fracturation, la composition des ces produits-là est généralement inconnue, donc on n'a pas idée de ce qu'ils utilisent au juste. [...] C'est un mélange généralement secret... et ça s'ajoute au pétrole lui-même. Donc c'est vraiment pas... c'est le pire », laisse-t-il tomber.

« Les hydrocarbures [...] sont généralement peu solubles dans l'eau, donc ils vont descendre. Ils ont déjà probablement déjà descendu dans le sol jusque dans la nappe phréatique », poursuit le professeur. « Les hydrocarbures ne sont pas beaucoup solubles dans l'eau mais certaines autres molécules qui vont être là-dedans vont être passablement solubles dans l'eau. Donc, ça va atteindre et certainement contaminer la nappe phréatique qui est en dessous de la zone la plus touchée. »

Un avis que partage Mme Galvez-Cloutier. « C'est déjà dans la nappe phréatique », croit-elle. « Je ne connais pas la formation géologique dans le secteur, mais puisqu'il y a un lac, j'imagine que tout ce sol-là est très perméable ».

« Tous ces millions de litres ne peuvent pas disparaître », ajoute-t-elle. « Chaque jour, chaque heure qu'on n'arrête pas ça, ça continue. Et c'est un effet de dilution. Il y a de la dilution dans l'eau de la rivière, dans l'eau souterraine, dans l'atmosphère. Dilution is not solution. »

Une longue et coûteuse décontamination

Émilien Pelletier prévient que la décontamination du secteur ne pourra être que longue... et coûteuse. « On ne pourra pas à moyen terme laisser des sols contaminés dans ce secteur-là même si c'est des centaines de milliers de tonnes de sols, de rocs, de matériaux qu'il va falloir déplacer. Il n'y a rien à faire, il va falloir tout enlever ça. Ça veut dire des mois, même des années de décontamination de tout ce secteur-là », souligne-t-il.

La facture se calculera en centaines de millions de dollars. « J'ai entendu quelqu'un parler d'un demi-milliard, et à mon avis, ça reste même modeste en terme d'évaluation. [...] Il va falloir enlever ça, il va falloir traiter ça. Ça va prendre une usine presque complète pour traiter ça », croit M. Pelletier.

« On ne peut pas laisser ça là, on ne peut pas construire là-dessus. Donc, il va y avoir une sorte de no man's land, une espèce de Ground Zero, un trou à mon avis énorme au centre de cette ville pendant peut-être des années. Ça dépend à quelle vitesse ça va aller », envisage-t-il. « Ça me semble impensable, même à court terme, dans quelques mois, de penser reconstruire dans ce secteur-là. »

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