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Drag-King, l'atelier où les filles apprennent à se travestir (VIDÉO)

Drag-King, l'atelier où les filles apprennent à se travestir (VIDÉO)
Sandra Lorenzo

DRAG KING - Elles sont une petite quinzaine dans le grenier de la Maison Muller, dans le 18e arrondissement de Paris. Consciencieusement, chacune se bande la poitrine. Elles appuient le plus fort possible. Il faut à tout prix cacher l'une des dernières preuves de féminité. Sous l'œil aussi attentif qu'expert de Camille et de Louise, les candidates à la transformation y mettent tout leur cœur.

Pendant deux heures, toutes ces filles vont laisser de côté leurs petites robes d'été et leurs talons hauts pour devenir un vrai drag-king, le pendant masculin de la drag-queen. Les deux organisatrices de l'événement, Camille Delalande et Louise de Ville nous accueillent, chemise hawaïenne et fine moustache pour l'une, panoplie du parfait biker pour l'autre. Le premier contact est troublant. Au sol des soutiens-gorge et des sacs à main sont les dernières traces de féminité.

Mini Valentine, une grande blonde de 26 ans, lisse son pantalon encore et encore. Cette adepte du burlesque, a voulu y mettre les formes. Pantalon smoking, chemise blanche, et haut de forme. Ses cheveux rassemblés en catogan, elle se verrait bien Leonardo Dicaprio. Mais en pratique, pas facile de se faire à l'idée que l'on a quelque chose entre les jambes. Louise vient à sa rescousse et lui explique comment faire de cette chaussette rembourrée, un élément du paysage. La leçon de choses commence : "Les couilles c'est en-dessous et la bite par-dessus". Les élèves sont appliquées, mais pas franchement à l'aise. "C'est votre sexe, vous pouvez le toucher", rassure-t-elle ses élèves.

Toutes ensemble, elles apprivoisent cette nouvelle partie de leur anatomie: s'asseoir sur le canapé, marcher, se tenir debout, tout est à revoir. "On dirait que j'en ai une vraie", s'écrit l'une d'entre elle, pas peu fière. Autour d'une petite table basse, une bière à la main, elles s'assoient. Louise, la reine du maquillage leur professe ses meilleurs conseils. Un fard clair, un fard foncé, du mascara. La séance de camouflage commence. Sous les traits de pinceaux, la fine mâchoire prend de la place, l'arcade sourcilière devient néandertalienne, la pomme d'Adam surgit, l'arrête du nez se fait plus saillante. Les traits durcis, les filles deviennent garçonnes.

"Oh mon dieu, s'écrie un apprenti drag-king, je ressemble à mon frère. Mais pas à celui auquel je pensais" ajoute-t-il un peu déçue. L'heure du menscara est venue. Le menscara, comprenez le mascara pour hommes, c'est l'accessoire ultime pour devenir un plus sauvage et un peu moins sage. "J'ai lutté contre mon petit duvet toute ma vie, raconte Louise avec un plaisir non dissimulé, on m'a dit 'aaaah tu as de la moustache', on s'est moqué de moi, maintenant je sais le mettre en valeur." Alors la règle est simple, il ne faut pas lésiner pas sur le menscara, jamais. On en met sur la moustache, et sur la barbe s'il on veut aussi.

Avant d'arriver Camille et Louise ont débité deux perruques, une blonde, une brune pour celles qui voudraient utiliser de la colle et se faire une vraie barbe. "Ça te va super bien", s'exclame l'une des participantes, Delphine, un biker aux cheveux gominés, en regardant Camille. L'organisatrice s'est collée des poils sous les bras. "J'adore, je vais sortir comme ça!" dit-elle en exhibant fièrement ses aisselles. Les vêtements, le maquillage, les poils. La transformation est presque achevée, ne reste plus qu'une chose pour que ces filles ne deviennent des hommes. L'attitude.

"Tu vas pouvoir te draguer, tu vas devenir skyzo." plaisantent-elles. L'atelier théâtre commence et l'on comprend mieux ce que les deux organisatrices avaient en tête. La question du genre et des conventions sociales qu'il présuppose est au centre du débat. "Il y a deux façons de s'asseoir quand on est un mec, les jambes écartées, vous pouvez mettre votre main au-dessus du sexe ou sur les genoux." Une règle à respecter, il faut prendre de la place, "Un homme ça prend de la place, c'est comme ça". Les jambes croisées, c'est terminé.

"Faites la gueule". Les sourires, les minauderies au placard. "Si vous n'y arrivez pas, serrez la mâchoire, concentrez-vous". Les sourcils froncés, les filles se prêtent au jeu. Les derniers rires sont étouffés. Troisième commandement pour devenir un vrai drag king, " quand vous prenez quelque chose, ne le faites pas du bout des doigts. Le poignet n'est pas souple, le geste vient de l'épaule." Ok les mecs? On passe à la pratique.

Lucile, alias Matteo et Cécile, alias Cédric s'élancent dans l'arène. Elles doivent se croiser, se saluer et se présenter. Les apprentis drag king sont un peu fébriles. Au second passage, l'un d'entre eux, Amerit (alias Emma) détonne. Le maquillage, les vêtements, la démarche et le ton de la voix, tout sonne juste. À 33 ans, cette danseuse burlesque n'est pas là par hasard. "Depuis un an, je réfléchis à un numéro de drag-king." Elle espère bientôt se produire sur une scène ouverte de la capitale. Son profil n'est pas très original. Dans la quinzaine de participantes, la grande majorité d'entre elles font en effet du burlesque.

Une jeune femme sort du lot, Emmanuelle, 24 ans, venue de Toulouse spécialement pour l'occasion ne connaît rien au burlesque. Bonnet, bermuda large, baskets, Manu comme elle s'est fait appeler pendant l'atelier n'a pas du tout envie de quitter sa tenue de drag king. "J'ai toujours joué sur l'ambiguïté homme-femme dans mon apparence. Aujourd'hui par exemple ce sont mes habits que je porte, mes jambes ne sont pas épilées et je compte bien sortir avec ma moustache et ma barbe ce soir."

Les paroles de Louise sur la théorie des genres séduisent les participantes. Mais attention, il ne faut pas trop se prendre au sérieux pour être un vrai drag-king. Comme pour les drag queen qui exagèrent leur féminité, les drag king n'évitent pas les clichés et en jouent même. "Dans cet atelier, on a voulu vous montrer que tous les comportements qui font de telle ou telle personne une femme ou un homme ne sont pas innés mais appris à l'enfance. C'est avec cette série de codes qu'il faut que vous vous amusiez." Louise se retourne vers nous, une fleur dans les cheveux. Elle a juste oublié d'enlever sa moustache.

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